Libre-échange: la Confédération paysanne squatte Cargill

Libération | 24 septembre 2014

Libre-échange: la Confédération paysanne squatte Cargill

AMANDINE CAILHOL

Les militants du syndicat agricole ont envahi ce mercredi matin le siège social de la multinationale agroalimentaire pour protester contre les accords en négociation entre Europe et continent américain.

«Stop Tafta, Ceta. Hollande, Juncker, Obama: ne livrez pas les paysans et citoyens aux multinationales.» La grande bâche noire déployée sur la façade du siège social français de Cargill à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) par la centaine de militants de la Confédération paysanne annonce la couleur. Le syndicat agricole, qui occupe le lieu depuis mercredi matin, 9h, est décidé à se battre contre les accords de libre-échange. Dans sa ligne de mire: le TAFTA bien sûr, en cours de négociation entre l’Europe et les États-Unis, mais aussi le CETA, l’accord entre l’Europe et le Canada qui doit être signé jeudi par la Commission européenne et le gouvernement canadien.
Les militants présents au sein des locaux de la première multinationale agro-alimentaire mondiale dénoncent «le contenu destructeur» de ces accords, notamment pour l’agriculture. Au sol, de la paille et des sacs de couchage ont été déposés pour marquer la détermination des militants. «On est prêt à rester et à se battre pour justement ne pas finir sur la paille», explique l’un d’eux. Le syndicat demande un rendez-vous avec Matthias Fekl, nouveau secrétaire d’Etat en charge du commerce extérieur, condition de leur départ du site. Dans l’attente d’une réponse, les militants sensibilisent les salariés du géant de l’agroalimentaire spécialisé dans le commerce de matières premières et l’agroalimentaire et bloquent l’accès au site. Un rendez-vous avec le directeur négoce de Cargill, est programmé aujourd’hui à 14h, explique une source préfectorale. Un rendez-vous avec le directeur de cabinet du secrétaire d’Etat au Commerce extérieur devrait par ailleurs avoir lieu vendredi à 16h, et la possibilité d’un rendez-vous avec Matthias Fekl est encore à l’étude.

«Cargill est d’abord un symbole, explique Laurent Pinatel, le porte-parole du syndicat. Il fait partie de ces grands groupes américains en train d’agir pour que les accords de libre-échange soient signés. Avec ces accords, c’est dans la salle des marchés de Cargill que tout va se décider, et non plus dans nos fermes». Pour le syndicat, il y a donc urgence à stopper le CETA, et mettre fin aux négociations sur le TAFTA. Même constat de Pierre Larrouturou, conseiller régional d’Ile-de-France et fondateur du parti Nouvelle Donne, venu soutenir la Confédération paysanne, qui plaide pour l’arrêt des négociations des accords. Et n’épargne pas le groupe Cargill, «une entreprise qui fait un milliard de bénéfices par an en spéculant sur les matières premières et qui a du sang sur les mains.» Pour Pierre Larrouturou «une autre mondialisation est possible». À condition que les «citoyens s’occupent de ces enjeux. Et que le gouvernement français prennent ses responsabilités», poursuit-il. «Même les Allemands ne veulent pas des tribunaux privés que ces accords veulent mettre en place.»

PRINCIPE DE PRÉCAUTION

Pas question pour la Confédération paysanne «de laisser aux multinationales le pouvoir de dicter leur avenir aux paysans, et de choisir l’alimentation des citoyens». Car les accords en cours de négociation pourrait donner de nouveaux outils aux grands groupes pour s’imposer. À commencer par les tribunaux d’arbitrage privés qui leurs permettraient de dénoncer des réglementations nationales jugées arbitraires ou contraire aux règles du commerce. De quoi donner du poids aux multinationales sur les dossiers sensibles tels que la réglementation OGM, les normes sanitaires et même les réglementations sociales. «Le principe de précaution qui existe en Europe pourrait sauter», explique une militante de la Confédération. Difficile pour l’heure d’en connaître les conséquences concrètes, mais les nouveaux dispositifs juridiques à disposition des multinationales, tout comme les efforts d’harmonisation des réglementations par les États, pourraient peser dans plusieurs domaines. «Les États-Unis et le Canada n’ont pas les mêmes réglementations que nous. Ils traitent les carcasses avec des produits chlorés et utilisent des hormones dans la filière bovine. Leurs règles en termes de pesticides sont différentes. Même chose pour les semences qui sont protégées par des brevets aux États-Unis mais pas en Europe», explique la militante.

«Le principe fondamental, c’est la souveraineté alimentaire. Bien sûr, on ne veut pas arrêter le commerce international de produits à forte valeur ajoutée, ni celui des produits que l’on ne peut pas cultiver ici. En revanche les exportations de produits à bas coûts n’ont aucun sens. À quoi bon envoyer du lait au États-Unis alors qu’ils savent en produire, et dans l’autre sens, importer de la viande américaine en Europe. C’est stupide», analyse Laurent Pinatel. «Mais ce n’est pas une question de nationalité, nuance-t-il. Avec ces accords, des géants français feront tout autant de dégâts que les américains. Le libre-échange ne profite jamais aux citoyens, où qu’ils soient». Exemple: l’accord entre le Canada et l’Europe prévoit un contingent de 18 500 tonnes de fromages européens exportés au Canada, explique le syndicat. «De quoi plomber les producteurs canadiens», note un militant.

Drapeaux jaunes de la Conf en main, réunis en assemblée générale improvisée dans le hall du bâtiment, les syndicalistes attendent une réponse à leur requête de rendez-vous avec le secrétaire d’Etat. Et jurent de ne pas lâcher ce combat.

Amandine CAILHOL

source : Libération

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