Traités de libre-échange : le coup de frein des démocrates américains

Le Monde.fr | 12.05.2015

Traités de libre-échange : le coup de frein des démocrates américains

Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen) et Gilles Paris (Washington, correspondant)

Les sénateurs démocrates ont infligé une cuisante défaite au président Barack Obama, mardi 12 mai, en rejetant une motion de procédure destinée à accélérer un projet de traité commercial, le Trans-Pacific Partnership (TPP). La Maison Blanche a aussitôt minimisé ce revers, qui met néanmoins en évidence les difficultés rencontrées par le président pour convaincre son camp des avantages de ce traité. Il l’affaiblit provisoirement face à ses partenaires potentiels, alors que le TPP constitue un élément important du « pivot » vers l’Asie souhaité par M. Obama. Ce dernier souhaite parachever cette négociation commerciale avant la fin de son second mandat, en janvier 2017.

La fronde couvait

M. Obama devait convaincre une poignée de sénateurs démocrates de rejoindre les républicains afin d’obtenir une majorité qualifiée pour accélérer l’adoption d’une disposition stratégique. Celle-ci permet à l’exécutif de disposer de pouvoirs spéciaux en matière de négociations commerciales avec des pays riverains du Pacifique concernés par le TPP. Ils autorisent l’administration à demander au Congrès d’adopter ou de rejeter le résultat de ses tractations sans possibilité de l’amender.

Depuis plusieurs semaines cependant, la fronde couvait, entretenue par la sénatrice démocrate du Massachusetts Elizabeth Warren. Cette dernière s’inquiète notamment que les harmonisations réglementaires entre pays signataires prévues par le TPP puissent remettre en cause la réglementation bancaire et financière restrictive imposée à Wall Street après la crise des subprimes (le Dodd-Frank Act), qui est son cheval de bataille. « Elle a tort », avait tout d’abord assuré le président, jugeant ses craintes « hautement théoriques ». « Elle a totalement tort », avait-il renchéri trois jours avant le vote, dans un entretien accordé à Yahoo. M. Obama avait alors adopté un ton presque cassant qui n’a été d’aucun effet sur les récalcitrants, bien au contraire, puisqu’un seul sénateur démocrate a finalement voté avec les républicains.

Alors que l’étape de la Chambre des représentants s’annonce aussi ardue qu’au Sénat compte tenu de la mobilisation entretenue par une autre démocrate, Rosa DeLauro (Connecticut), et des réticences de certains élus républicains, la rébellion démocrate au Sénat reflète les résistances émanant du camp du président, notamment de la part d’organisations syndicales qui ont gardé le souvenir de traités commerciaux coûteux, en termes d’emplois, pour les Etats-Unis.

Le silence d’Hillary Clinton

La sénatrice du Massachusetts n’avait d’ailleurs pas tardé à répliquer au président après son entretien à Yahoo, en déplorant notamment les conditions de secret jugées rocambolesques, imposées aux parlementaires pour pouvoir consulter les documents liés au TPP, et le poids jugé supérieur des juristes des grands groupes concernés par le traité par rapport aux Parlements nationaux. Des critiques adressées également aux négociations engagées avec l’Union européenne dans le cadre du Transatlantic Trade and Investment Partnership, qui est nettement moins avancé que le TPP.

Signe de cette préoccupation, la candidate démocrate, Hillary Clinton, s’est bien gardée pour l’instant d’apporter son soutien au président. Un silence d’autant plus éloquent qu’elle avait travaillé activement à ce projet lors de son passage au département d’Etat, de 2009 à 2013. Depuis qu’elle s’est déclarée, le 12 avril, Mme Clinton a pourtant souvent choisi de s’inscrire dans la trajectoire du président. Cela a été encore le cas le 5 mai sur la question de l’immigration, comme auparavant sur la nécessité de réformer un système pénal qui conduit à des incarcérations de masse. Mais sur un sujet considéré par certains démocrates, à l’inverse du président, comme potentiellement néfaste pour une classe moyenne qui a peu bénéficié de la reprise économique, Mme Clinton se garde bien d’apparaître liée aux choix de la Maison Blanche.

S’entendre sur les tribunaux d’arbitrage

Ce revers de l’administration Obama n’est pas non plus une bonne nouvelle pour les négociations sur le TTIP, le traité transatlantique, engagées depuis l’été 2013 avec l’Union européenne. A Bruxelles, on considère en effet que ces discussions, pas encore jugées prioritaires à Washington, ne décolleront vraiment que quand celles sur le TPP seront bouclées. Au début de cette année, les plus optimistes des Européens espéraient encore obtenir un accord politique sur le traité transatlantique d’ici fin 2015. C’est désormais illusoire : les plus raisonnables doutent même que les discussions aboutiront pour la fin du mandat d’Obama.

De fait, du côté des Européens, il y a aussi des difficultés à surmonter pour que ces pourparlers s’accélèrent. Il faut notamment qu’ils parviennent à s’entendre sur les tribunaux d’arbitrage entreprises-Etats, un mécanisme prévu dans le TTIP, mais très contesté au Parlement européen, et par les gouvernements français et allemands. S’ouvrira ensuite une bataille, qui s’annonce aussi très compliquée, pour obtenir des Américains des concessions sur l’accès à leurs marchés publics. « Le TTIP, ce n’est pas un chemin pavé de roses… », reconnaissait une source européenne, mercredi.

Gilles Paris (Washington, correspondant)
Journaliste au Monde Suivre Aller sur la page de ce journaliste

Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
Correspondante à Bruxelles

source : Le Monde

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