Les impacts de l’Accord de libre-échange Colombie-États-Unis sur l’agriculture. Portraits.

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The predictions of hard times for the peasant economy were not exaggerated.

La Silla Rural | 8 mai 2015

(traduction de bilaterals.org)

Les impacts de l’Accord de libre-échange Colombie-États-Unis sur l’agriculture. Portraits.

Aurelio Suárez

En 2004, le ministère de l’Agriculture avait identifié « les produits agricoles qui feraient face à de sérieux risques » avec l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange entre la Colombie et les États-Unis (ci-après, l’Accord). [1]

Ultérieurement, OXFAM (Garay, Barberi, Cardona) a mené des études afin d’« estimer » les impacts prévisibles – particulièrement sur l’économie paysanne-, sur la base des résultats de la négociation ; une négociation, lors de laquelle, selon l’ONG, « ne furent pris en compte ni la reconnaissance des asymétries […], ni la présumée importance politique de la Colombie, ni la co-responsabilité des États-Unis dans la lutte contre le trafic de drogue et le terrorisme […] mais seulement des considérations de type commercial » [2]

En 2013, plus d’un an après l’entrée en vigueur de cet accord de libre-échange, à nouveau sur l’initiative d’OXFAM (Barberi et autres), dans le document intitulé « Expectativas frustradas », fut établi « un index des risques et un système d’alerte » pour les revenus des familles paysannes, dans le contexte de l’Accord. [3]

Par ailleurs, OXFAM et Planeta Paz jugèrent souhaitable de compiler dans un livre cette série d’études en incorporant des témoignages concrets de différents producteurs qui, de facto, auraient été exposés aux pertes annoncées. En d’autres termes, l’idée était de « mettre un visage » sur les réalités vécues après deux longues années d’effet de l’accord de libre échange.

Pour cela, dix cas de personnes ayant consacré leur vie aux activités agricoles furent sélectionnées, en tenant compte des critères de diversité ethnique, de diversité de genre et de diversité productive, parmi les catégories pour lesquelles l’examen de 2013 avait déjà tiré la sonnette d’alarme : produits laitiers, riz, aviculture, maïs blanc et haricot. [4]

Parmi les facteurs communs à tous ces producteurs, l’on identifie la baisse des revenus due à la chute des prix (et conséquence directe, dans plusieurs secteurs, des importations à bas coûts), l’augmentation des coûts des intrants et le piège que constituent les crédits impossibles à rembourser ; tout cela occasionne des pertes nettes ou d’importantes baisses de la rentabilité, comme permet de le constater un exercice simple de microéconomie qui accompagne, dans le livre, chaque processus.

Ceci prouve, de manière détaillée, les impacts que l’accord de libre-échange avec les États-Unis a eu sur les filières de production les plus « sensibles », comme cela avait été prévu, et pour lesquelles l’Accord, en s’ajoutant aux défaillances structurelles, fait office de facteur déclencheur.

Les producteurs les plus vulnérables se trouvent piégés dans une spirale descendante les menant à un déplacement forcé pour des motifs économiques, en raison de la dégradation de la production due à une application moindre d’intrants, de la réduction de l’emploi, de la diminution de la consommation des ménages ou du non-paiement des crédits contractés. S’ensuivent une remise en question de la propriété et une dégradation du bien-être, assortis de facteurs aggravants tels que la violence, les projets –aussi bien miniers que d’infrastructures- à grande échelle ou les grandes plantations de monocultures qui rivalisent pour la terre et l’eau.

Les pronostics qui avaient prévu des temps difficiles pour l’économie paysanne n’étaient pas démesurés ; d’après ce que nous avons constaté ici, dans des régions telles que celle de Boyacá, où la population rurale vivant dans la pauvreté a augmenté (elle est passée, entre 2012 et 2013, de 35,6 à 39,3 %), il semblerait que l’accord de libre-échange constitue un instrument d’expulsion de milliers de familles rurales.

Dans le contexte futur de l’accord de libre-échange avec les États-Unis et des autres traités en vigueur, dont les impacts respectifs sont chaque jour plus difficiles à établir, la perspective décrite par les personnes interrogées est clairement problématique. Au sein de certains secteurs de production, comme le secteur avicole, même les entrepreneurs régionaux de taille moyenne n’ont pas un avenir garanti. Ceci porte à penser que ce secteur, et peut-être d’autres, finiront par se voir concentrés entre les mains d’une minorité, renforçant ainsi les oligopoles, qui se partageront l’approvisionnement du marché intérieur avec les importations subventionnées.

Tous les protagonistes du livre sans exception ont accusé l’État colombien de les avoir abandonnés, faute de n’avoir établi aucune politique publique agraire de promotion et de protection. Il est important de souligner, de manière importante, que les liens d’organisation, par le biais de différentes expressions syndicales, se renforcent petit à petit et l’idée selon laquelle il convient de rechercher des solutions de manière conjointe et non individuelle est en passe de s’imposer. Le défi est de taille. [5]

Footnotes

[1Ministère de l’Agriculture et du Développement rural, “El Agro colombiano frente al TLC con Estados Unidos”. Introducción.

[2L.J. Garay, F. Barberi, I. Cardona, “Impactos del TLC con Estados Unidos sobre la economía campesina en Colombia”. ILSA.

[3OXFAM, “Expectativas Frustradas”, novembre 2013.

[4Les cas ayant été sélectionnés sont : 1) pour le riz, la communauté d’ascendance africaine de Guachené (Cauca), une exploitation de taille moyenne du département du Meta et un petit producteur de Palermo (Huila) ; 2) pour les produits laitiers, un éleveur de 120 têtes de bétail –produisant du lait et de la viande– de Caparrapí (Cundinamarca) et une paysanne productrice de lait de Sotaquirá (Boyacá) ; 3) pour l’aviculture, une exploitation de taille moyenne de Rovira (Tolima) et une éleveuse de poulets biologiques de Fusagasugá (Cundinamarca) ; 4) pour le maïs blanc, FENALCE, en tant qu’association professionnelle et un petit producteur autochtone de Cereté (Córdoba) ; 5) pour le haricot, un petit producteur de Villanueva (Santander).

[5Ce texte est une adaptation de la présentation et de la conclusion de l’ouvrage « Efectos del TLC Colombia-EE.UU. sobre el agro. Los rostros », rédigé par l’auteur dans le cadre d’un projet OXFAM et Planeta Paz.

source : La Silla Rural

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