La Zone de Libre-Echange (ZLE) tripartite en question !

Diasporas News | 8 Septembre 2015

La Zone de Libre-Echange (ZLE) tripartite en question !

Alex Zaka

Les 26 signatures apposées au bas de ce nouveau traité économique ont-elles été obtenues sous la contrainte ? Dans le contexte géopolitique et les guerres larvées impliquant plusieurs pays membres de cette nouvelle chimère, nos populations ne méritent-elles pas une meilleure considération de la part de nos dirigeants et de nos institutions.

D’ici quelques décennies, l’histoire retiendra peut-être que les fonts baptismaux de la renaissance africaine furent érigés sur les bords de la mer Rouge ou plus exactement à Charm-El-Cheikh (Egypte). Le 10 juin 2015, a eu lieu la signature de l’accord de Zone de Libre-Echange (ZLE) tripartite de l’Afrique australo-orientale. Il s’agit de l’antépénultième étape vers la création d’un vaste marché commun économique qui va du Cap de Bonne-Espérance à Alexandrie ! Cette nouvelle entité sera constituée de 26 pays ; tous membres des trois Communautés Economiques Régionales (CER) : la Comesa, la SADC et la CAE. La population de la « Tripartite » est estimée à 581 millions soit environ 57% de la population totale du continent. Son poids économique est jaugé à l’aune du PIB consolidé de l’ordre de 1.200 milliards $, soit plus de la moitié du celui de toute l’Afrique réunie.

Concrètement, l’objectif vise la réduction voire la suppression des barrières douanières pour fluidifier les échanges commerciaux ; mais également de permettre la circulation des capitaux… et des hommes ! Aujourd’hui, le commerce intra-africain est estimé à seulement 12% contre 55% en Asie et 70% en Europe. En outre, le regroupement de ces différents blocs régionaux résoudra-t-elle enfin l’adhésion multiple des Etats ? En effet, plus de 50% des pays d’Afrique sont membres à la fois de deux CER ; et plus de 30% sont adhérents à trois CER. Cette incongruité reste une entrave majeure au processus d’intégration économique régionale. Rappelons également qu’il existe en Afrique une quinzaine d’Organisations Intergouvernementales (OIG) chargées de la même mission économique que les huit CER. La dilution des ressources financières, la prolifération des organisations et l’adhésion multiple sont des contingences qui limitent la portée de cette harmonisation continentale que nos hommes politiques souhaitent voir le jour.

Pourtant, l’idée semble de prime abord séduisante. Face un monde multipolaire et les défis de la globalisation, aux changements climatiques, la recherche d’une synergie, la mutualisation des ressources deviendront la seule voie possible pour l’émergence de l’Afrique. C’est pourquoi l’initiative prise en 2008 à Kampala (Ouganda) par la Comesa, la SADC et la CAE de créer une ZLE tripartite fut inédite. Elle a d’ailleurs été encouragée par l’Union Africaine (UA) et la BAD durant toutes les phases de négociation et de préparation de la Tripartite Trade Negotiation Forum (TTNF). Reste encore deux écueils à franchir : l’élaboration de programmes destinés à créer les structures coordonnatrices et exécutives ; et la mise en place de la stratégie globale pour la zone commerciale de libre-échange entre les trois blocs.

Cette ZLE n’en finit pas de ramener des questionnements…

Les difficultés politiques, idéologiques sont légion. Mais l’Homme a toujours eu besoin d’une espèce d’utopie pour avancer, relever le défi. Imaginez que la création d’une ZLE prospère serait le remède pour résoudre à terme les myriades de conflits sociopolitiques, frontaliers voire confessionnels ! Cela tiendrait d’un miracle. Mais face à une planète en pleine mutation, un nouvel ordre économique mondial, un minimum de cohésion et de solidarité ne nuirait pas au continent.

Une dynamique d’intégration impulsée par les institutions relève-t-elle vraiment d’une volonté politique consensuelle ? Les pays membres d’une CER ont-ils vraiment le choix d’adhérer ou non à cette ZLE tripartite ? Deux années de délai de réflexion pour la ratification du Traité « ZLE Tripartite », pour chaque parlement de pays signataire, est-elle suffisante avant d’engager son peuple dans cette épopée ; tel est le dilemme de chaque chef d’Etat ? D’autant plus que chaque pays n’a pas le même niveau de développement. Techniquement, la mise en conformité de ces réglementations internes, le manque à gagner au niveau des recettes fiscales et douanières deviennent des difficultés supplémentaires pour des pays déjà exsangues. D’autant plus que l’insuffisance d’infrastructures (transports, énergie, NTIC) ne favorisera pas la libre circulation des biens et des personnes. Le colonisateur britannique rêvait d’une continuité territoriale – un chemin de fer reliant le Cap au Caire - de ses condominiums au XIXème siècle ; les leaders africains prétendent pouvoir relever ce défi. Avec quels moyens ?

Encore une question, combien d’Etat membre de cette nouvelle ZLE intègrera dans sa stratégie nationale de développement pluriannuelle les programmes d’intégration préconisés dans les CER ? Qu’adviendront-ils des quelques pays francophones de la future entité à dominante anglophone ? Et les îles de l’Océan Indien regroupées au sein de la COI dont deux sont des départements français (île de la Réunion et Mayotte) ?
Par ailleurs, tous ces pays sont également liés à des accords commerciaux bilatéraux ou internationaux (ACP, AGOA, OMC…). Or ces dits-accords sont tous sauf des facteurs d’intégration régionale. Ils peuvent même détruire les tissus industriels d’un pays ou d’une région à cause de flux d’importation de produits finis moins chers. Par exemple, les Accords de Partenariat Economique (APE), l’ersatz des accords ACP c’est-à-dire le traité de libre-échange des pays d’Afrique Caraïbes et Pacifique et l’Union Européenne : les négociations menées depuis 2000 – Accord de Cotonou - se sont enchevêtrées dans ce que les économistes appellent le « spaghetti bowl ». L’UE a choisi un découpage de l’Afrique en quatre régions c’est-à-dire Afrique de l’Ouest, Afrique centrale, Afrique de l’Est et Afrique australe. Or, cette nomenclature omet de considérer la différenciation entre Pays les Moins Avancés (PMA) – revenu par habitant inférieur à 1.000$ - et les non-PMA. Sans dénominateur commun, L’UE a quand même essayé de pousser les négociations non plus avec les blocs régionaux mais avec des sous-groupes de pays voire carrément par la signature d’accord bilatéral !

L’Union Economique de l’Afrique en 2028 ?

Plus globalement, cette volonté d’indépendance économique prend sa source au début des années 1980. Le contexte de l’époque était le suivant : la plupart des pays étaient structurellement empêtrés dans des difficultés de remboursement de ses dettes extérieures et la chute des cours de matières premières. Le Plan d’Action de Lagos, plaidoyer pour un développement socioéconomique par et pour l’Afrique, traça à grands traits les solutions préconisées pour les décennies à venir. Cet ambitieux projet, adopté par les leaders africains, fut annihilé par les Plans d’ajustement structurels imposés par les bailleurs de fonds conventionnels. Quelques années plus tard, il fut alors substituer par le traité d’Abuja de 1991 c’est-à-dire la feuille de route pour la dynamique d’intégration aboutissant à un marché commun africain en 2023 ; et de l’union économique continentale en 2028. Entré en vigueur en 1994, ce processus commença par la mise en place des huit CER ; premier socle politique et géographique vers la convergence ou une Zone de Libre-Echange à l’échelle continentale !

Les techniciens et les politiciens qui sont à la tête de nos institutions ont-ils perdu tout sens de la réalité pour pouvoir se projeter sur un horizon aussi lointain ? Citons l’exemple de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine : le plan de transformation structurelle dans 50 ans ! Trouver des points de convergence pour un continent de 54 pays relève de la gageure ! Même le NEPAD, institution dédiée aux grands projets transcontinentaux peine à exister, depuis sa création au début des années 2000. Et maintenant une ZLE tripartite ! Aujourd’hui, seuls les Etats-Unis répondent à la définition d’une Zone Monétaire Optimale c’est-à-dire qu’une seule monnaie a cours sur l’ensemble du territoire et que le marché du travail n’est pas cloisonné. Et les américains ont mis près de 150 ans pour faire rentrer chaque Etat dans l’Union ; et parfois à coup de guerres de sécession.

L’entité qui mérite d’être soutenue et renforcée ne serait-elle pas justement les Communautés Economiques Régionales (CER) ? La CEDEAO souffle cette année ses 50 bougies. 15 pays d’Afrique de l’Ouest ont décidé d’unir leur destin grâce à l’intégration économique, tremplin vers une future zone monétaire commune. A cause des tensions frontalières, elle a failli voler en éclats dès ses premières années d’existence. En gestation depuis 1983, l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) ressemble à une arlésienne. Quel pays accepterait de renoncer à sa souveraineté monétaire dans la mesure où les critères de convergence pour stabiliser les taux de change ne sont même pas respectés par les uns et les autres ? Sur le papier la libre-circulation des biens et des personnes est effectif depuis quelques décennies. Mais dans la réalité, demandez aux conducteurs de camions de marchandises, qui sillonnent les hinterlands, de combien se font-ils délester aux postes frontières par des agents de la police et de la douane indélicats ? Quant au déplacement des personnes, les difficultés économiques accrues de chaque pays attisent de plus en plus des sentiments xénophobes.

Quelle est la place de l’Afrique dans le monde ?

Dans un contexte mondial où le centre de gravité de l’économie se déplace vers l’Est, L’Afrique devait pouvoir tirer son épingle du jeu. La création d’une vaste ZLE est-elle le choix le plus pertinent ?

Le continent africain ne vit pas en autarcie et suscite toujours de l’intérêt et surtout des convoitises. Pour leur développement économique, les puissances industrielles et les pays émergents lorgnent encore un peu plus sur nos ressources naturelles : environ 10% des réserves mondiales de pétrole ; 37% de terres arables de la planète ; 200 millions d’hectares de forêts rien que dans le Bassin du Congo, un potentiel de consommateurs de plus d’un milliard ; et les sous-sols. Aujourd’hui, les pays à fort besoin en matières premières, indispensables à leur croissance économique, ont tendance à diversifier géographiquement leurs sources d’approvisionnement. En matière d’hydrocarbures, les Etats-Unis, l’Europe et la Chine importent tous environ 20% de leurs besoins en provenance d’Afrique. Cette stratégie de diversification s’observe également dans l’industrie minière.

Certes, une ZLE partage cette volonté d’un dénominateur commun susceptible de mieux peser dans le concert des nations. Si tel est l’objectif politique dans un avenir lointain, le très court terme, nous commande de renforcer notre pouvoir de négociation dans chaque domaine. A l’instar de l’OPEP dans le pétrole dans les années 1970, pourquoi ne pas créer des cartels africains pour chaque matière première ?

source : Diasporas News

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