WikiLeaks : transport, énergie et environnement au menu de l’accord sur le commerce des services

Libération | 3 décembre 2015

WikiLeaks : transport, énergie et environnement au menu de l’accord sur le commerce des services

Par Amaelle Guiton, avec Julian Assange

En pleine COP 21, l’organisation de Julian Assange dévoile ce jeudi, en partenariat avec plusieurs médias européens dont «Libération», de nouveaux aspects de cette négociation multilatérale menée très discrètement entre une cinquantaine de pays, qui prévoit une libéralisation accrue du secteur.

Pendant que les négociations mondiales sur le climat battent leur plein à Paris dans le cadre de la COP 21, d’autres discussions, bien plus discrètes et très opaques, se tiennent en parallèle à Genève. Nom de code Tisa : pour Trade in Services Agreement, l’accord sur le commerce des services. Une cinquantaine d’Etats (1) – dont les 28 de l’Union européenne, mais ni le Brésil, ni la Chine, ni l’Inde – en sont parties prenantes. Ils s’appellent, entre eux, les «très bons amis des services». Objectif : mettre sur pied un accord multilatéral qui réduise au minimum les barrières à la concurrence. Puis tenter de l’étendre plus largement dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

La «libéralisation progressive» des activités de services figurait déjà dans un texte bien antérieur, l’accord général sur le commerce des services (AGCS), une annexe à l’accord de Marrakech qui, en 1994, créait l’OMC. Mais les «négociations successives» prévues pour «élever progressivement le niveau de libéralisation» n’ont pas abouti comme prévu. Après l’échec du cycle de Doha, les «très bons amis des services», Etats-Unis et Australie en tête, ont initié en 2012 des discussions multilatérales. Les négociations sur le Tisa ont officiellement commencé en 2013. En juillet 2015, 13 rounds de négociations s’étaient déjà tenus, indique le site du ministère des Affaires étrangères.

«Limiter les réglementations gouvernementales»

Du contenu même de ces discussions, rien n’avait filtré jusqu’à l’an dernier, si ce n’est les propositions initiales d’une poignée de parties prenantes. Et pour cause, les documents de travail étaient censés rester secrets pendant cinq ans après l’entrée en vigueur de l’accord final qui, seul, aurait été rendu public… En juillet 2014, WikiLeaks en révèle l’un des chapitres, celui consacré aux services financiers, dans une version datée d’avril. Depuis, l’organisation de Julian Assange a publié, en juin et juillet 2015, diverses versions de travail concernant une dizaine d’annexes au Tisa – commerce électronique, transport maritime, télécommunications, transport aérien… –, ainsi que le texte-cadre, dans son état d’avancement d’avril 2015.

Les promoteurs de l’accord insistent évidemment sur les opportunités en matière de croissance et d’emplois, comme en témoigne l’argumentaire publié sur le site de la Commission européenne. La société civile, elle, ne l’entend pas de cette oreille. Syndicats et associations, déjà mobilisés sur d’autres projets d’accords – tels le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) négocié entre l’Europe et les Etats-Unis et son équivalent transpacifique (TPP) –, dénoncent aussi bien l’opacité des discussions que leur teneur dérégulatoire. En Europe, des parlementaires commencent à demander des comptes. Au point que la Commission a déclassifié, en mars, son mandat de négociation, comme elle l’avait fait cinq mois plus tôt pour le TTIP.

Ainsi l’Internationale des services publics (ISP), une coalition syndicale qui regroupe 20 millions de travailleurs dans 154 pays, écrivait-elle en juillet que «cet accord viendrait interdire ou limiter les réglementations gouvernementales qui entravent les activités et les bénéfices des principales multinationales du secteur», et exprimait ses «craintes que les négociations n’aient d’autre objectif que d’imposer une libéralisation extrême des services publics». Ce dont la Commission européenne, notamment, se défend, arguant qu’elle exclut du périmètre les services régaliens, la santé et l’éducation publiques, l’audiovisuel et les services liés à l’eau. Loin d’être suffisant pour les opposants, d’autant que le Tisa prévoit une clause à «effet cliquet» (ratchet clause) en matière de traitement des fournisseurs de services, qui rendrait irréversible toute nouvelle libéralisation.

Harmonisation à la baisse

Les nouveaux documents publiés ce jeudi par WikiLeaks, en partenariat avec plusieurs médias européens (dont Libération), qui concernent le transport routier, l’énergie et les services environnementaux et datent de décembre 2014 et juillet 2015, ne seront pas de nature à rassurer ceux qui s’inquiètent des effets possibles du Tisa. D’ores et déjà, la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) dénonce le risque de dumping social, ses conséquences sur les conditions de travail des employés du secteur et sur la sécurité des routes. «Au prétexte de faciliter le commerce, les régulations environnementales risquent d’être "harmonisées à la baisse" pour s’aligner sur le plus petit dénominateur commun, et les services publics écologiquement sensibles courent le danger d’être privatisés», dénonce de son côté l’ONG les Amis de la Terre.

Et si la proposition de l’Islande et de la Norvège sur les services énergétiques réaffirme que chaque Etat partie prenante de l’accord doit conserver «le droit de réguler et d’introduire ou de maintenir des mesures ayant un impact sur le commerce des services liés à l’énergie, afin d’atteindre les objectifs légitimes de politique nationale», il s’agit bien, in fine, de «limiter les distorsions de marché et les barrières à la compétition», y compris celles «provenant de la position dominante des entreprises nationales du secteur de l’énergie». Au terme du texte, aucune différence n’est faite entre les énergies elles-mêmes – du fossile au renouvelable. Pour Rosa Pavanelli, la secrétaire générale de l’ISP, la publication de ces nouveaux documents met en lumière le double discours des «très bons amis des services» : «Tandis que des objectifs ambitieux sont discutés à Paris, à Genève, on renonce aux moyens d’y parvenir pour préserver les intérêts des plus grandes entreprises de la planète», a-t-elle déclaré. Et d’en appeler, de nouveau, à plus de transparence sur le contenu des négociations.

Voir l’ensemble des documents sur le site de WikiLeaks.

source : Libération

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