Prise de position sur la création d’un tribunal relatif aux investissements dans le cadre du PTCI

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DRB | février 2016

Prise de position sur la création d’un tribunal relatif aux investissements dans le cadre du PTCI – la proposition de la Commission européenne des 16.09.2015 et 11.12.2015

Traduction par Raoul Marc Jennar

N° 04/16

A. Idée maîtresse de la prise de position

L’Association des Magistrats allemands (DRB) rejette la proposition de la Commission européenne visant à établir une Cour pour les Investissements dans le cadre du Partenariat Transatlantique pour le Commerce et l’Investissement. La DRB ne voit ni la base légale, ni la nécessité d’une telle Cour.

La supposition selon laquelle les tribunaux des Etats membres de l’UE ne réussissent pas à accorder une sécurité juridique effective aux investisseurs étrangers, clairement implicite dans la proposition d’une Cour Internationale sur l’Investissement, ne s’appuie pas sur des observations objectives. Si les partenaires à la négociation identifiaient des faiblesses dans ce domaine dans chaque Etat membre de l’UE, ces faiblesses devraient être abordées dans la législation nationale et clairement définies. Il appartiendrait aux législateurs et aux responsables du système judiciaire de fournir des solutions dans le cadre national et européen du système éprouvé de protection juridique. C’est seulement de cette manière que peuvent être garantis les pleins droits légaux auxquels tout justiciable a droit en Allemagne et dans l’Union européenne. La création de tribunaux spéciaux pour des groupes particuliers de justiciables est la mauvaise voie.

B. Evaluation détaillée

Le « Investment Court System » (ICS) proposé par la Commission européenne, qui doit être intégré dans un système de médiation et de consultation, serait responsable pour les plaintes concernant les violations des dispositions relatives à la protection de l’investisseur prévues par le Traité (art 1 ; 1). Selon la définition proposée dans le texte, la notion d’investissement s’étend à tout type de biens, en ce compris les titres, les participations dans des compagnies, les droits de propriété intellectuelle, les biens meubles et les créances (Chapitre II, Définition x2). La protection juridique de l’investissement s’étend depuis le droit civil jusqu’au droit administratif, la législation sociale et la législation fiscale. La proposition de la Commission signifie qu’un ICS pourrait acquérir une compétence judiciaire dans ces domaines de sorte d’assurer une protection complète de l’investisseur, qui serait en mesure de recourir à l’ICS quand un manquement aux droits protégeant l’investisseur pourrait lui faire encourir des pertes (Art. 1 (1) ).

Absence de compétence législative

L’Association des Magistrats allemands exprime de sérieux doutes sur la compétence de l’Union européenne à instituer un ICS. La création d’un tel ICS obligerait l’UE et ses Etats membres, lors de la conclusion de tout accord, de soumettre celui-ci à la juridiction de l’ICS et à la compétence de certaines procédures internationales soulevées par le plaignant (Art.6, para 5 sous para 1 ; art 7 , para 1). Les décisions de l’ICS sont contraignantes (Art.30, para 1).

Un ICS ne limiterait pas seulement les pouvoirs législatifs de l’UE et des Etats membres ; il affecterait également le système judiciaire existant au sein des Etats membres et de l’Union européenne. C’est l’opinion de l’Association des Magistrats allemands qu’il n’y a pas de base légale pour un tel changement par l’UE. Comme la Cour de Justice de l’UE l’a déclaré dans son Avis 1/09 du 8 mars 2011 sur la création d’une Cour européenne des Brevets, « Le système juridictionnel de l’Union est par ailleurs constitué par un ensemble complet de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes des institutions » (para 70 de l’avis). Comme la Cour des brevets qui était alors examinée, l’ICS serait un tribunal qui se situerait « en dehors du cadre institutionnel et juridictionnel de l’Union. » (para 71 de l’avis).

Comme la Cour des Brevets, il s’agirait d’une « organisation dotée d’une personnalité juridique propre en vertu du droit international. » Il est manifeste que si une décision de l’ICS venait à être prise en violation du droit de l’UE, cette décision ne pourrait faire l’objet, « d’une procédure en manquement » ni entraîner « une quelconque responsabilité patrimoniale dans le chef d’un ou de plusieurs États membres. » (para.88 de l’avis). En conséquence, un ICS priverait « les juridictions des États membres de leurs compétences concernant l’interprétation et l’application du droit de l’Union ainsi que la Cour de la sienne pour répondre, à titre préjudiciel, aux questions posées par lesdites juridictions et, de ce fait, dénaturerait les compétences que les traités confèrent aux institutions de l’Union et aux États membres qui sont essentielles à la préservation de la nature même du droit de l’Union. » (para.89 de l’avis).

L’Association des Magistrats allemands ne voit aucune nécessité de créer une juridiction spéciale pour les investisseurs. Les Etats membres sont tous des Etats de droit qui fournissent et garantissent l’accès à la Justice dans tous les domaines où l’Etat est compétent pour toutes les parties requérantes. Il appartient aux Etats membres d’assurer l’accès à la Justice pour tous et de garantir un accès possible aux investisseurs en fournissant aux tribunaux les moyens pertinents. Pour cette raison, la création d’un ICS est la mauvaise solution pour garantir la sécurité juridique.

De plus, l’Association des Magistrats allemands demande aux législateurs d’Allemagne et d’Europe de restreindre de manière significative le recours à l’arbitrage dans le cadre de la protection des investisseurs internationaux.

L’indépendance des juges

Ni la procédure proposée pour la nomination des juges de l’ICS, ni leur statut ne satisfont les exigences internationales pour garantir l’indépendance des tribunaux. Comme tel, l’ICS apparaît, non pas comme une Cour internationale, mais plutôt comme un tribunal permanent d’arbitrage.

La Magna Carte des Juges du 17 novembre 2010 (CCJE (2010/3) [1] demande que l’indépendance du juge soit statutaire, fonctionnelle et financière (para.3). Les décisions sur la sélection, la nomination et la carrière doivent être fondées sur des critères objectifs et prises par l’instance chargée de garantir l’indépendance (para.5). L’ICS ne rencontre ni l’un, ni l’autre de ces critères. Les décisions qui seraient prises par l’ICS ne relèveraient pas seulement du droit civil, mais également du droit administratif, du droit du travail, du droit social et du droit fiscal. Choisir les juges de l’ICS parmi un groupe d’experts en droit international public et en droit international de l’investissement avec une expérience dans le règlement des conflits commerciaux internationaux (art.9 para 4 du projet de la Commission) réduit considérablement le groupe des candidats et laisse de côté l’expertise indispensable sur chaque législation nationale pertinente dans chaque secteur. Le groupe des juges sera limité au même cercle des personnes qui sont déjà engagées de manière prédominante dans l’arbitrage international. Cette impression est renforcée par le fait que la procédure de sélection n’est pas encore définie dans le détail. Néanmoins, la garantie d’une sélection d’éminents juristes nationaux dotés d’une connaissance précise des différents domaines du droit dépendra du degré d’indépendance du comité qui procèdera au choix et de son autonomie par rapport à l’arbitrage international. A ce stade-ci au moins, aucune garantie n’est offerte.

De plus, un mandat de six ans avec la possibilité d’un nouveau mandat consécutif, un salaire mensuel de base d’environ 200O € pour les juges de première instance et de 7000 € pour les juges de l’instance d’appel, auquel s’ajoute une indemnité pour services effectifs (art. 9 para 12 et art. 10 para. 12) fait douter que les critères pour l’indépendance technique et financière des juges d’un tribunal international soient satisfaits.

Footnotes

[1A l’occasion de son 10ème anniversaire, le Conseil Consultatif des Juges Européens qui relève du Conseil de l’Europe, a adopté, lors de sa 11ème réunion plénière (Strasbourg, 17-19 novembre 2010), une Magna Carta des Juges (Principes fondamentaux) synthétisant et codifiant les principales conclusions des Avis qu’il avait au préalable adoptés à l’attention du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. (Note du traducteur).

source : DRB

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