Un accord de commerce menace les services publics en Europe

L’Humanité | 2 février 2016

Un accord de commerce menace les services publics en Europe

par Jean-Jacques Régibier

A l’occasion de la présentation devant le Parlement européen des négociations de l’accord sur le commerce des services ( TISA ), de nombreux députés ont dénoncé le danger que cet accord faisait courir aux services publics dans les pays européens.

Viviane Reding, la rapporteure du rapport exposant les recommandations du Parlement européen pour les négociations de TISA, a bien été obligée de le rappeler : l’accord sur le commerce des services, actuellement en cours de discussion, est absolument inconnu du grand public. C’est dommage, parce des pans entiers de leur vie de tous les jours vont bientôt en dépendre. Mais c’est compréhensible puisque, dès le départ, le plus grand secret entoure les négociations, c’est même obligatoire, comme pour toutes les négociations commerciales. On ne voit donc pas comment les citoyens pourraient être au courant, à moins de commettre une effraction permettant de forcer les portes secrètes derrières lesquelles se déroulent les discussions entre les représentants de l’Europe et ceux des multinationales, car c’est bien pour elles que cet accord est dans les tuyaux. Et si le site Wikileaks n’avait pas divulgué en juin 2014 l’annexe de l’accord qu’il avait réussi à se procurer, en le publiant sur Internet, on n’en saurait certainement pas grand’chose . Il y a donc une légère tartuferie à déplorer le peu de popularité d’un débat sur lequel il est interdit, par ses promoteurs et par ceux qui y participent, de dire quoi que ce soit.

Pour mieux comprendre l’enjeu des débats actuels au Parlement européen, rappelons ce qu’est ce TISA, objet de tant de mystères et de toutes les craintes.
L’accord sur le commerce des services (ACS, qu’on appelle TISA en anglais pour : Trade in Services Agreement ), est un accord commercial négocié actuellement par 23 membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont l’Union européenne (UE). Ces pays représentent 70 % du commerce mondial des services, c’est dire l’importance des décisions qui vont être prises, très spécialement pour l’Europe, puisque les services constituent un élément fondamental de l’économie des pays de l’UE. L’Europe est le premier exportateur mondial de services, des dizaines de millions de personnes occupent un emploi dans ce secteur.

Pour les Américains et les Australiens, à l’origine des négociations du TISA en 2013, l’objectif est clair : il s’agit de poursuivre la libéralisation des services commencée dès le début des années 90, de combattre le protectionnisme des états, et d’ouvrir à la concurrence tous les secteurs qui en étaient jusqu’alors protégés. En bref, de démanteler les barrières aux échanges dans tous les services, qu’il s’agisse des transports, des télécommunications, des services financiers, mais aussi de l’eau ou de l’éducation. Professionnels et ONG ont également dénoncé dès le début des négociations, les risques que le TISA faisait courir à la santé, puisque selon les critères de l’OMC, ce secteur, comme celui de l’éducation ou de l’eau, sont des services économiques, et donc ouverts au marché.
En résumé, en dehors de la justice, de l’armée, de la police et de la diplomatie, tous les autres services peuvent être libéralisés, c’est-à-dire, ouverts à la concurrence.

Dès le début des négociations, le TISA a fait l’objet d’un tir croisé de nombreuses ONG et de responsables politiques qui pointaient, outre le déroulement opaque et antidémocratique de la négociation, l’ultralibéralisme de ce traité qui empêcherait toute régulation de la part des États dans des secteurs relevant jusqu’à présent des services publics. Une autre critique forte concerne la pression exercée par les membres de la négociation sur les pays les plus faibles, notamment ceux en voie de développement, contraints de rejoindre le traité alors qu’il les défavorise largement. De nombreuses professions réglementées, comme les médecins, les pharmaciens, les notaires, les experts-comptables, les dentistes, les avocats, etc… verraient également leur métiers, considérés comme une simple activité commerciale, perdre leurs protections et s’ouvrir à la concurrence.

Le voile que vient de lever la Commission européenne sur les négociations en cours, et les préconisations de Viviane Reding ( PPE ) pour la suite, n’ont pas rassuré de nombreux députés, même si les conservateurs ont massivement apporté leur soutien à leur représentante.

« C’est une sorte de chirurgie esthétique pour rendre le TISA plus agréable à regarder « , déplore Stélios Kouloglou ( GUE/GVN ), « d’ailleurs malgré les nombreuses réticences exprimées par le Parlement, la commissaire Cecilia Malmström a dit qu’elle continuerait à négocier sans apporter plus de précisions. C’est business as usual. »

José Bové ( Verts/ ALE ) explique de son côté : « ça fait 30 ans qu’on essaie de nous imposer ces accords de libéralisation.. personne dans le monde n’en veut, l’Uruguay vient de sortir des négociations, nous devrions faire pareil. Le TISA va à l’encontre de l’intérêt général, ce n’est pas vrai que nous allons être protégés ! »

Cette déréglementation promise par le TISA, Thomas Händel ( GUE/GVN ) n’en veut pas non plus. Rappelant que cet accord est un projet des multinationales contre l’état, contre les PME, contre le droit des électeurs et des citoyens, il précise : « l’Union européenne attend des profits exhorbitants de cet accord. On ne doit pas saper les droits des citoyens et les services publics au nom d’un commerce juteux… L’éducation, la santé, la prévoyance doivent être exclues de cet accord de libre échange, nous ne voulons pas que la cantine de l’école soir gérée par Mc Do . » D’autant qu’au terme des négociations en cours, tout ce qui aura été privatisé dans l’accord ne pourra plus être renationalisé. « Il ne faut pas de privatisation irréversible », insiste Thomas Händel.
Pour Stélios Kouloglou, cet accord est inutile, « il aurait suffi d’actualiser le GATT « ( Accord Général sur les tarifs douaniers et le Commerce NDLR ).
Laura Sanchez, elle aussi député GUE/GVN, voit dans le TISA un risque majeur pour les économies européennes, « un accord sans transparence «, et elle se pose la question : « comment construire un rapport de force pour s’opposer à la droite libérale et aux multinationales ? »

On l’a vu, une grande partie de leur force souterraine, les négociations l’ont tirée de leur opacité et du silence qui les a entourées. Les lanceurs d’alerte de Wikileaks, en révélant le contenu des discussions en cours, ont été les premiers à permettre l’ouverture d’un débat public sur le TISA. Des élus ont pris le relais, et c’est sans doute l’élargissement du débat public qui permettra de construire ce rapport de force contre un accord commercial qui, en l’état, ne bénéficierait qu’aux multinationales, et certainement pas aux citoyens.

source : L’Humanité

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