TTIP : le rejet (apparent) de l’arbitrage ou l’hypocrisie gouvernementale

Les Echos | 23 mai 2016

TTIP : le rejet (apparent) de l’arbitrage ou l’hypocrisie gouvernementale

par Hervé Guyader

Le gouvernement semble comprendre qu’au-delà des idéologies, l’intérêt pour l’arbitrage international ISDS est réel. Les fuites ont parfois du bon. Le journal Le Monde vient de révéler qu’un groupe de cinq pays européens, dont la France, propose l’instauration d’une juridiction d’exception européenne au service des entreprises souhaitant attaquer les décisions des États.

Les fuites ont parfois du bon. Le journal Le Monde vient de révéler qu’un groupe de cinq pays européens, dont la France, propose l’instauration d’une juridiction d’exception européenne au service des entreprises souhaitant attaquer les décisions des États.

Le document de travail rédigé par la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande et les Pays-Bas, obtenu par le réseau militant Seattle to Brussels, a été transmis le 7 avril au Conseil des ministres européens. Il répond à l’offensive lancée à l’été 2015 par la Commission européenne pour abroger les 200 traités d’investissement bilatéraux toujours en vigueur entre les "anciens" et les "nouveaux" États membres de l’Union européenne, issus des élargissements récents.

Un rejet idéologique

Depuis quelques mois, nous vivons dans une campagne de communication forgée d’une idéologie rarement vue, même si les phases préélectorales sont coutumières des outrances et autres promesses démagogiques, visant à dénoncer l’arbitrage ISDS, par lequel les investisseurs privés, américains, pourraient priver la France de son pouvoir législatif, donc d’amélioration sociale.

Un rapport de l’Assemblée nationale (n° 4367) a même été consacré à cet arbitrage afin d’en dénoncer les scandales lui préférant une justice étatique internationale dont personne n’a compris le fonctionnement outre qu’il allait s’agir d’un casse-tête chinois.

L’arbitrage serait fossoyeur de notre mode de vie, de notre modèle social, de notre démocratie. Il est l’outil de quelques puissants ultralibéraux dont le seul plaisir sera d’accumuler les richesses au détriment de l’intérêt général.

Depuis fin 2015, la Commission a proposé un "investment court system (ICS)", sorte de justice étatique internationale créée dont le caractère ex nihilo a vite été jugé comme pouvant gagner à être adossée à la Cour permanente d’arbitrage (CPA) de La Haye. Malheureusement, tout connaisseur de l’arbitrage sait que le mariage de la carpe et du lapin ne donne jamais rien de bon. Aucun des principes de cet ICS ne pourra trouver sa place au sein de la CPA tant il est impossible de remplacer les arbitres par des juges permanents, de leur interdire d’exercer des activités d’avocat... L’ADN de l’arbitrage qui fait son succès incontesté depuis plus d’un siècle ne sera pas sacrifié sur un autel néomarxiste.

Les vertus de l’arbitrage international

Si l’on écarte un instant les idéologies, deux arguments plaident pour l’ISDS. Le premier tient en ce que tout praticien du droit du commerce international sait que les systèmes judiciaires nationaux peuvent susciter de fortes préoccupations en termes de lenteur des procédures, de qualité du système judiciaire et de perception de l’indépendance judiciaire.

La récente annulation de l’arbitrage Youkos (par lequel la Russie avait été condamnée à 50 milliards de dollars de dommages et intérêts) par un tribunal étatique néerlandais laisse poser la question des pressions (géo)politiques qui ont pu peser sur nos amis hollandais pour qu’ils osent rendre une décision dont les considérations juridiques sont, pour le moins, contrariées sinon absentes.

Le second argument tient en ce que la France, en refusant l’arbitrage ISDS dans le cas transatlantique, aura quelques difficultés à vouloir les imposer dans leurs futures négociations interétatiques avec certains pays dont l’indépendance de la justice n’est pas la qualité première. Au-delà, il pourrait survenir une distorsion de concurrence vis-à-vis de pays ayant accepté la possibilité d’un ISDS dont les investisseurs disposeront d’une voie de recours que nos entreprises ne connaitront pas.

Ainsi, l’hypocrisie du gouvernement, même s’il achève d’en révéler l’incongruité, doit être oubliée en saluant, au-delà des postures gauchistes qui fleurissent en ce mois de mai, sa prise de conscience des intérêts géopolitiques et de la réalité du monde des affaires globalisé.

source : Les Echos

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