Bruxelles rassure Washington et Ottawa sur les perturbateurs endocriniens

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EurActiv | 12 décembre 2016

Bruxelles rassure Washington et Ottawa sur les perturbateurs endocriniens

Par James Crisp

La Commission européenne estime que sa proposition législative sur les pesticides répond aux inquiétudes du Canada et des États-Unis concernant l’interdiction possible d’exportation de produits exposés à des perturbateurs endocriniens.

En juin, la Commission a proposé une nouvelle méthode d’évaluation du risque des perturbateurs endocriniens dans certains cas particuliers. Une fois approuvée par le Parlement et le Conseil, cette proposition fera du système européen le tout premier à définir scientifiquement les perturbateurs endocriniens dans la législation. Selon les informations obtenues par EurActiv, cette nouvelle méthode aurait cependant été soufflée de l’étranger.

Le 13 juillet, un mois après la publication de nouveaux critères de définitions des perturbateurs endocriniens potentiellement dangereux, Vytenis Andriukaitis, le commissaire à la santé, a rencontré les ambassadeurs canadien, américain, argentin, brésilien et uruguayen. L’UE vient de finaliser le CETA, l’accord de libre-échange avec le Canada, et négocie un accord similaire avec les États-Unis (TTIP). Bruxelles tente en outre de développer des relations commerciales plus étroites avec les pays du Mercosur, qui incluent le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay.

Le compte-rendu de cette réunion ne devait pas être divulgué. Mais le document, qu’EurActiv a consulté, révèle que le Canada et les États-Unis ont fait pression sur l’UE en ce qui concerne sa méthode d’évaluation du risque pour les perturbateurs endocriniens, des produits chimiques notamment présents dans les pesticides et certains plastiques et dangereux pour la santé humaine.

« La Commission assure que les modifications de la gestion des perturbateurs endocriniens ont pour objectif de mieux protéger les citoyens européens. Or, il apparait qu’elle ne tentait que de satisfaire ses potentiels partenaires commerciaux étrangers », dénonce Vito Buonsante, avocat pour l’ONG ClientEarth. « Ces nouvelles règles faciliteraient l’exportation d’aliments de pays ayant des normes de protection plus faibles, comme le Canada ou les États-Unis, vers l’UE. »

Les critères de définition et d’évaluation des perturbateurs endocriniens ont entrainé un débat houleux en Europe. En général, l’UE préfère appliquer le principe de précaution que les méthodes d’évaluation du risque utilisée dans d’autres pays. Selon le principe de précaution, les substances sont évaluées en fonction de leur dangerosité potentielle. En cas de risque, des mesures de restriction sont imposées, comme l’interdiction d’exportation d’aliments exposés vers l’UE.

L’approche fondée sur le risque ne permet l’imposition de restriction que s’il a été scientifiquement prouvé que les substances sont dangereuses. Cette approche est donc moins restrictive, mais n’offre pas le même degré de protection des consommateurs.

Inquiétudes commerciales

Les États-Unis ont déclaré que tous les États représentés lors de la réunion du 13 juillet étaient inquiets des critères d’évaluation des perturbateurs endocriniens utilisés par l’UE, en raison de « leur impact sur la tolérance à l’importation ».

L’ambassadeur canadien a pour sa part estimé que « l’UE se distanciait d’une évaluation scientifique du risque, en contradiction » avec les accords de l’Organisation mondiale du commerce.

Le commissaire Vytenis Andriukaitis a répondu que le principe de précaution était inscrit dans le droit européen et que la Commission n’avait « aucun moyen de dévier de cette approche ». Les représentants de l’exécutif européen ont cependant souligné l’existence de deux exceptions proposée le mois précédent.

Les deux propositions juridiques qui fixent les critères d’identification des perturbateurs endocriniens entrent dans le cadre du règlement européen sur les produits biocides et une proposition de règlement qui tombe sous le coup du règlement sur les produits de protection des plantes.

Ces propositions prévoient l’établissement de doses résiduelles maximales (DRM) de pesticides dans les produits agricoles, à priori une bonne nouvelle pour la protection des consommateurs. Sauf que ces DRM sont fixées selon l’approche du risque, favorisée par Washington et Ottawa.

Un représentant de la Commission a « clarifié que la proposition prévoit la possibilité d’établir des DRM, une mesure qui devrait être considérée comme ambitieuse et ayant pour but de répondre aux inquiétudes exprimées par les ambassadeurs ».

Obstacles commerciaux

L’approche choisie a donc des conséquences sur les accords de libre-échange que l’UE négocie. Pour l’obtention d’un accord supprimant les droits de douane, les parties prenantes peuvent considérer leurs normes sanitaires et environnementales respectives comme équivalentes.

Cette « coopération réglementaire » permet la suppression des obstacles au commerce, mais a été accusée par la société civile et certaines personnalités politiques d’affaiblir la protection des citoyens. La Commission réfute systématiques ces allégations.

« La volonté de la Commission de répondre aux inquiétudes canadiennes et américaines est un exemple parfait des dangers de la soi-disant coopération réglementaire dans le CETA », assure Laurens Ankersmit, avocat pour ClientEarth.

La Commission se défend

La Commission a assuré à EurActiv que les règlements sur les produits biocides et e protection des plantes protégeaient totalement le principe de précaution. Les propositions présentées en juin n’y changent rien, a insisté un porte-parole.

Le principe de précaution était l’approche logique tant que les informations disponibles n’étaient pas complètes ou qu’il existait une incertitude scientifique, a-t-il ajouté, mais son application devrait être revue dès lors que de nouvelles données scientifiques sont disponibles. Les modifications des exceptions existantes tiennent compte des connaissances scientifiques actuelles, a-t-il ajouté.

« En appliquant des dérogations fondées sur un ‘risque négligeable suite à l’exposition’ plutôt que sur une ‘exposition négligeable’, les décisions européennes seront justifiées par des informations scientifiques plus complètes », assure le porte-parole.

Selon lui, cela permet d’assurer que des substances hautement dangereuses ne peuvent être approuvées en vertu des dérogations, même si l’exposition est négligeable. Cette méthode est par ailleurs déjà incluse dans le règlement sur les produits biocides, adopté en 2012.

« Les organes scientifiques européens, et notamment l’autorité européenne de sécurité des aliments, ont conclu en 2013 que les perturbateurs endocriniens pourraient faire l’objet d’évaluations, ce qui prouve que la dérogation est applicable », assure le porte-parole.

Giovanni La Via, président de la commission parlementaire sur l’environnement, a cependant écrit à Vytenis Andriukaitis en septembre, après avoir pris l’avis des juristes du Parlement. Selon lui, la Commission a dépassé son mandat en rédigeant les actes légaux de dérogation.

Contexte

Les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques qui influencent le système endocrinien (ou système hormonal). L’impact de ces interférences avec le système endocrinien se ressent encore bien après la fin de l’exposition. Ces substances sont très présentes dans notre quotidien, puisqu’elles se retrouvent dans certains aliments, produits de nettoyages, contenants alimentaires, cosmétiques, etc. L’exposition aux perturbateurs endocriniens lors de la grossesse peut avoir des effets de très longue durée et affecter les générations suivantes.

La Commission européenne aurait dû créer une définition officielle des perturbateurs endocriniens avant fin 2013. En juin 2016, l’exécutif européen a finalement présenté une série de critères d’identification des substances ayant des propriétés de perturbation endocrinienne. Si ces critères sont adoptés, l’Europe sera la première entité à définir légalement ces substances.

source : EurActiv

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