Le Mercosur, nouvelle source de tensions entre la France et l’Union européenne

Le Monde | 16 octobre 2017

Le Mercosur, nouvelle source de tensions entre la France et l’Union européenne

Par Cécile Ducourtieux

Si la « Macronmania » perdure à Bruxelles, le slogan de « L’Europe qui protège » commence à créer des tensions dans la capitale institutionnelle de l’Union, où certains estiment désormais qu’à trop vouloir préserver les citoyens des excès du libre-échange et de la mondialisation, le président de la République française contrarie la politique commerciale de ladite Union.

Le gouvernement français, lui, estime que la Commission européenne charge trop la barque, en profitant du vide laissé par le président des Etats-Unis, Donald Trump, sur le terrain commercial pour signer à tour de bras des traités avec le Japon, le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay…) et bientôt la Nouvelle-Zélande ou l’Australie. Sans tenir assez compte, estime-t-on à Paris, de l’extrême sensibilité du public à ces sujets et alors que la France n’a même pas ratifié le CETA (l’accord avec le Canada), qui promet de créer un vif débat au sein de l’Assemblée nationale.

Le commerce et les réticences hexagonales devaient faire partie des principaux sujets abordés, lundi 16 octobre, par le premier ministre, Edouard Philippe, de passage à Bruxelles pour rencontrer Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, réputé proche de la ligne française.

Le locataire de Matignon devrait aussi échanger avec Cécilia Malmström, la commissaire au commerce, et son collègue Jyrki Katainen, chargé de la croissance, deux responsables politiques pressés, en revanche, de conclure le plus possible d’accords de libre-échange.

Ce sont surtout les négociations actuelles avec le Mercosur qui inquiètent Paris. «J’ai bien compris la volonté forte de la Commission européenne d’achever les discussions commerciales en cours avec le Mercosur », a ainsi lancé Emmanuel Macron dans son discours au marché de Rungis, le 11 octobre. Mais la France est hostile à toute « précipitation ». Relevant que le mandat de négociation [confié par les Etats à Bruxelles] « a été donné en 1999 », le président de la République a jugé indispensable de « réactualiser » les négociations.

Intérêt « offensif » majeur

Signer avec le Mercosur est jugé globalement très positif pour l’Union. A Bruxelles, on rappelle que les exportateurs de biens et de services dépensent encore 4 milliards d’euros par an en droits de douane avec ces pays. L’automobile, le BTP, le vin et les fromages français tireraient un fort bénéfice si ces taxes étaient levées.

Là où le bât blesse, c’est qu’un accord serait impossible si l’Europe n’octroyait pas en échange au Mercosur des quotas d’importation d’éthanol et surtout de bœuf détaxés. La région étant la plus compétitive au monde en matière agricole, exporter ses produits représente pour elle un intérêt « offensif » majeur. « Difficile de lui proposer moins que ce que l’Union a octroyé dans le CETA [environ 60 000 tonnes de bœuf annuelles], le Mercosur exportant cinq fois plus que le Canada », selon une source proche des discussions.

Début octobre, Bruxelles a donc formulé une proposition de quotas jugée minimale : 70 000 tonnes de bœuf par an pour toute l’Union, selon nos informations, alors que le Brésil tablerait sur un minimum de 100 000 tonnes. L’accord de libre-échange serait à portée de main, à condition que les deux parties s’entendent sur ces sujets agricoles. La Commission espère conclure avant fin 2017, la fenêtre de tir risquant de se fermer mi-2018, avec l’élection présidentielle au Brésil.

Mais la France proteste, tout comme l’Irlande. Le quota de 70 000 tonnes de bœuf est certes modeste, mais « c’est toute la filière élevage française qui risque d’être déstabilisée », juge Luc Vernet, du cercle de réflexion bruxellois Farm Europe. « Car ce quota touche un segment à forte valeur ajoutée [viande hors abats]. Et il y a le futur Brexit : si l’Irlande est privée de l’accès au marché britannique, elle va aller chercher des débouchés ailleurs en Europe. »

Que souhaite Paris ? Renégocier un mandat datant du siècle dernier ? Bruxelles freine, car la procédure est lourde et implique une nouvelle discussion à 28 Etats membres. « Les Français demandent surtout à être rassurés. Ils ne veulent pas que la Commission augmente son offre à 70 000 tonnes. Et ils veulent une évaluation fine du total des quotas de bœuf qu’on aura autorisés au bout du compte, avec le CETA puis le Mercosur », veut croire une source à Bruxelles.

source : Le Monde

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