Accord UE-Japon : le deal qui va changer le commerce mondial

Les Echos | 18 janvier 2018

Accord UE-Japon : le deal qui va changer le commerce mondial

par Richard Hiault

La signature de l’accord commercial et de coopération entre l’Union européenne et le Japon, qui crée l’une des plus grandes zones de libre-échange économique au monde, pourrait peser lourd dans la reconfiguration du commerce international. Au détriment des Etats-Unis.

Donald Trump est-il le « bon génie » de l’Union européenne ? La probabilité est forte. Son prisme protectionniste va reconfigurer pour longtemps les relations commerciales internationales. En décidant unilatéralement, l’an passé, de se retirer du Partenariat transpacifique (TPP) réunissant douze pays riverains de l’océan Pacifique, non seulement il a sabordé le plus grand accord commercial jamais conclu jusqu’’ici, mais il a précipité un mouvement de bascule en faveur de l’Europe.

Inquiets d’un éventuel basculement du centre de gravité économique et financier vers le Pacifique qu’aurait précipité le TPP, les Européens ont accueilli avec un certain ravissement la décision de Donald Trump . D’autant qu’elle a eu pour effet d’accélérer leurs négociations avec le Japon, pourtant partenaire du TPP. L’accord de libre-échange entre les deux puissances économiques a été conclu le 8 décembre dernier.

Placé sous la compétence exclusive de la Commission européenne, le texte n’aura pas besoin de passer devant les parlements nationaux et régionaux européens pour être mis en application. Un simple feu vert du Conseil européen des chefs d’Etat et du Parlement européen suffira. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, espère une mise en oeuvre avant la fin de son mandat l’an prochain.

Cet accord, passé inaperçu du grand public à la différence de celui signé avec le Canada (Ceta) ou des négociations, interrompues aujourd’hui, avec les Etats-Unis, n’en est pas moins essentiel. Pour Shinzo Abe, le Premier ministre japonais, il crée « la plus grande zone économique industrielle et libre au monde ». C’est le « plus important accord commercial bilatéral jamais conclu par l’Union européenne », a souligné Jean-Claude Juncker.

Un TPP réduit à la portion congrue

L’accord supplante en cela le TPP, réduit à la portion congrue après le retrait américain. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. L’Union européenne et le Japon représentent près d’un tiers du PIB mondial. Ensemble, les deux blocs sont fortement impliqués dans le commerce mondial. C’est ce que relève Sébastien Jean, directeur du Cepii dans une note récente . « En excluant les échanges intracommunautaires, le Japon et l’Union européenne ont conjointement produit plus de 21 % des exportations mondiales de marchandises et reçu plus de 20 % des importations », remarque-t-il. Et de poursuivre que l’un ou l’autre bloc était impliqué soit comme importateur soit comme exportateur dans plus de 40 % des échanges mondiaux. Cette part dépasse même 70 % dans les secteurs de haute technologie, comme l’aéronautique et la pharmacie, et plus de 55 % dans plusieurs secteurs comme les machines-outils, machines spécialisées, instruments de précision et voitures et cycles. C’est tout simplement énorme.

Un milliard d’euros d’économie

Bien évidemment, les deux partenaires mettent en exergue les facilités de commerce entre eux. Bruxelles assure que, chaque année, les exportateurs européens vers le Japon économiseront un milliard d’euros de droits de douane. La Commission européenne s’attend à une hausse de 16 % à 24 % des exportations européennes vers le Japon. La hausse atteindrait même entre 170 % et 180 % pour les produits agroalimentaires transformés. Bruxelles insiste également sur l’ouverture des marchés publics japonais après vingt-cinq ans d’efforts en ce sens. L’Union a notamment obtenu une ouverture des marchés publics pour 48 villes de plus de 300.000 habitants, 87 hôpitaux et universités.

Une coopération prometteuse

Mais au-delà des gains purement commerciaux attendus à plus ou moins long terme, c’est surtout la coopération réglementaire entre les deux blocs qui pourrait faire la différence. Aujourd’hui, alors que les négociations au sein de l’Organisation mondiale du commerce sont bloquées et que les Etats-Unis tournent le dos au libre-échange, le Japon et l’Union européenne se retrouvent être les seuls défenseurs d’un système commercial fondé sur des règles d’économie de marché. Dans bien des domaines, la coopération envisagée permettra d’éviter des différences inutiles qui entraînent des coûts et nuisent à l’innovation.

L’Accord de Paris au programme

Si l’on tient compte du fait qu’Européens et Japonais partagent dans la plupart des domaines des préférences collectives similaires par des exigences élevées en matière de santé, d’environnement et de sécurité alimentaire, les craintes de nivellement par le bas qui ont été brandies lorsqu’Européens et Américains négociaient leur accord sont bien moins élevées.

A cet égard, la Commission européenne souligne que l’accord conclu avec le Japon fait une référence explicite à l’Accord de Paris sur le climat. Une première.

L’Australie et la Nouvelle-Zélande en ligne de mire

L’Union européenne et le Japon ont une responsabilité historique. Leur partenariat peut produire des normes techniques pouvant s’imposer au niveau mondial. Pour l’industrie automobile par exemple. Le Japon est l’un des membres du groupe de travail de la Commission économique des Nations unies pour l’Europe sur les véhicules à roues aux côtés de la Corée du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud. C’est l’un des moyens de renforcer les normes techniques européennes aux marchés mondiaux. Peu à peu, l’Union européenne fait basculer dans son camp de plus en plus de pays. Comme le souligne encore Sébastien Jean, « les normes ou les règles convenues conjointement par le Japon et l’Union européenne pourraient devenir d’autant plus attrayantes pour les pays tiers, que leur adoption faciliterait l’accès à ces grands marchés et réduirait les importations de leurs produits ». A Bruxelles, certains ne manquent pas de faire valoir que le mouvement a déjà commencé. L’Australie, la Nouvelle-Zélande, eux aussi membres du TPP, ne veulent-ils pas se rapprocher de l’Union européenne et entamer des discussions pour un accord de libre-échange ? Oui, Donald Trump a sans doute fait un beau cadeau aux Européens.

source : Les Echos

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