L’envers du libre-échange…

RFI | 31 mars 2018

L’envers du libre-échange…

Par Jean-Baptiste Placca

Il y a tout juste une semaine, nous nous félicitions, ici même, de l’engagement en faveur d’une Zone de libre-échange continentale, pris par quelque 44 Etats africains. Nous n’avions, cependant, rien dit des 10 ou 11 pays qui n’ont pas signé cet accord. Ou faut-il les ranger ? Parmi les adversaires du panafricanisme ?

Comme l’Afrique serait simple à comprendre s’il suffisait d’oser de telles déductions, pour espérer être dans le vrai ! Parmi les… réticents – appelons-les ainsi –, on dénombre le Nigeria, le pays le plus peuplé du continent, fidèle aux grandes causes continentales, comme le sont peu de pays, qui étaient pourtant à Kigali.

Si le Nigeria s’est abstenu à une occasion, à priori aussi cruciale pour l’unité du continent que celle-là, c’est que, vraiment, il ne suffisait pas d’avoir été au rendez-vous de Kigali, pour jouir du droit de brandir le label panafricaniste. Les dirigeants nigérians affirment se donner le temps d’analyser cet accord et ses implications pour l’économie nationale. Si vous voulez la vérité, la voici: nombre d’incontestables disciples de Marcus Garvey, Kwame Nkrumah et George Padmore, se sont félicités, en douce, de l’attitude du Nigeria. Car ils ne voient, dans cet accord, qu’une ultime illustration de la propension des dirigeants africains à mettre la charrue avant les bœufs, « pour faire de beaux terrains bourbeux », comme dit le chansonnier.

Ce que l’on sait, d’indiscrétions provenant de sources d’ordinaire fiables, c’est que c’est à la toute dernière minute que le président Buhari aurait décidé de surseoir à son voyage, sous la pression, paraît-il, de la Manufacturers Association of Nigeria, connu sous l’acronyme : MAN, comme un homme. Man, comme « garçon », dirait-on, à Abidjan, pour bien souligner le côté courageux de l’homme.

Est-ce donc un acte de courage, pour le Nigeria, de s’abstenir, dans l’intérêt des seules industries de son pays, tout en revendiquant un leadership continental ?

Nombre de panafricanistes soutiennent que tous les autres chefs d’Etat auraient avoir la même attitude. Parce que, disent-ils, une zone de libre échange n’a de sens que si les Etats ont, effectivement, des productions à échanger. Et, en l’état actuel de l’économie continentale, les pays produisent peu et n’ont rien à vendre, ou si peu, en dehors des matières premières, des ressources naturelles qu’ils exportent. A moins de se mettre à revendre, les uns aux autres, les produits que la Chine déverse sur la plupart de ces Etats. Ou de servir de cheval de Troie à telle ou telle multinationale, qui délocalise, opportunément, certaines de ses activités, pour s’approprier des marchés captifs, sans un réel projet d’industrialisation… sans une politique nationale de développement industriel.

Avec ou sans libre-échange, les éleveurs du Niger se retrouvent avec leurs troupeaux dans les pâturages, pour ne pas dire sur les bras, parce que le naïra, la monnaie du Nigeria, s’est tellement dépréciée, que les Nigérians préfèrent importer de la viande congelée d’autres continents. Le libre-échange, sans une cohérence monétaire, sans une cohérence des cycles économiques, sans la liberté de circulation des échangeurs, cette zone de libre-échange paraît tellement incongrue, aux yeux de ceux qui se considèrent comme les vrais panafricanistes.

Il n’empêche qu’avec cette abstention, le Nigeria peut bien perdre, pour de bon, le leadership continental...

Il faut bien plus qu’une telle abstention, pour faire oublier toutes les nobles actions que le Nigeria a posées en faveur de toute l’Afrique. Dans les années 70, lorsque le prix du baril permettait à ce pays d’engranger de colossales ressources, les autorités avaient, spontanément, constitué, en 1976, un Fonds spécial, renouvelable et auto-entretenu, auprès de la Banque africaine de développement, pour aider les pays les plus démunis du continent à accéder à des prêts, à des taux concessionnels, pour financer leurs efforts de développement.

Pour le reste, nous n’avons que des situations qui prêteraient à sourire, si elles ne révélaient les déconcertantes carences de certains dirigeants politiques africains.

Des premiers producteurs mondiaux de bauxite, qui n’ont aucune usine d’alumine. Des producteurs de fer, qui n’ont pas d’industrie sidérurgique. Premier et deuxième producteurs mondiaux de cacao, qui importent du chocolat, fabriqué avec leurs fèves, à 5 000 ou 6 000 kilomètres de leurs plantations. La liste est interminable, et c’est cela que l’on appelait, jadis, le « pacte colonial » : le colonisé fournit les matières premières - et du travail aux ouvriers de la métropole, pour fabriquer des produits finis, que le colonisé importe, cher, très cher.

source : RFI

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