Algérie – UE : un accord d’association controversé et déséquilibré

TSA | 14 mai 2018

Algérie – UE : un accord d’association controversé et déséquilibré

Par Hassane Haddouche

Fausse alerte. L’Accord d’association avec l’Union européenne ne sera pas remis en cause. Pour preuve, c’est aujourd’hui-même que s’ouvre à Bruxelles le 11e Conseil d’association annuel entre l’Algérie et L’UE. Les travaux de ce Conseil, la plus haute instance de concertation et de dialogue politique instituée par l’Accord d’association Algérie-UE, seront co-présidés par le ministre des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, et la Haute Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de Sécurité, Mme Federica Mogherini.

Le rendez-vous d’aujourd’hui a été précédé depuis plusieurs semaines par de nombreuses annonces, officielles ou non, ainsi que des réactions des partenaires sociaux qui ont parfois donné l’impression que le torchon brulait entre Alger et Bruxelles. Elles ont eu au moins le mérite de remettre sur le devant de la scène un accord très controversé et finalement assez peu connu du grand public.

En dépit des déclarations souvent abruptes des dernières semaines de la part des responsables européens et algériens eux-mêmes, les initiés sont convaincus qu’il n’y aura pas de clash entre Alger et la Commission de Bruxelles. Des messages ont été transmis par les autorités algériennes qui renouvellent l’assurance que l’Accord d’association reste pour Alger un “axe stratégique” de sa démarche de coopération.

Une « évaluation commune » en 2016…

En réalité s’il devait y avoir eu un clash, il aurait eu lieu en… 2016. Dès octobre 2015, un célèbre Conseil des ministres algérien en présence du président de la République affichait dans un communiqué officiel l’« insatisfaction des autorités algériennes » face aux résultats jugés « décevants et asymétriques » de 10 années d’application de cet accord international négocié et ratifié au pas de charge au début de la décennie écoulée.

La partie algérienne annonçait la couleur : les Européens auraient été les seuls bénéficiaires grâce à l’augmentation de leurs exportations vers l’Algérie. Les sacrifices consentis par notre pays à travers la réduction des droits de douane n’auraient, en outre, pas eu les contreparties attendues en termes d’investissements européens en Algérie. Une demande officielle d’évaluation de l’Accord était alors transmise à la Commission européenne et plus d’une année de négociations s’en est suivie.

…Et un Accord sauvé en 2017

Un contexte dans lequel les médias nationaux évoquaient une « renégociation » et à tout le moins une « révision » de l’Accord. En mars 2017, fin du suspense. Le ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra annonçait que l’évaluation conjointe de l’accord d’association avait permis de « faire une lecture commune » des dispositions de l’accord afin qu’il « profite davantage au développement de l’Algérie ».

« Nous avons constaté qu’il y a une asymétrie structurelle dans la manière dont l’accord a été appliqué. Nous estimons que s’il doit y avoir une asymétrie à l’avenir, elle doit être au bénéfice de l’Algérie et de l’économie algérienne », avait-t-il indiqué relevant néanmoins que l’Algérie est « respectueuse de sa signature et de ses engagements ».

Amar Belani, ambassadeur d’Algérie Bruxelles et chef de mission auprès de l’Union européenne, faisait le point sur cette évaluation commune . « C’est la confirmation de la volonté politique et de l’engagement de l’Algérie et de l’UE d’imprimer un saut qualitatif à la relation bilatérale globale pour consacrer son caractère stratégique ».

Pour préciser le contenu de ce saut qualitatif , le diplomate algérien évoquait « la décision de multiplier la fréquence des contacts à un haut niveau » ainsi que « la densification de la coopération qui s’est accompagnée de la conclusion de nombreux instruments et conventions qui pavent la voie de manière concrète à cette nouvelle dynamique » .

Un partenariat qui « progresse et se consolide »

Le communiqué officiel rendu public hier par le ministère algérien des Affaires étrangères se réfère très significativement à cette « refondation » de l’Accord intervenue en mars 2017 en précisant que la réunion d’aujourd’hui « intervient dans le sillage des conclusions de l’évaluation conjointe de la mise en oeuvre de l’Accord d’Association ».

De son côté, Mme Federica Mogherini faisait état, il y a quelques jours, de l’intensification, depuis une année, des relations entre les deux parties . « Depuis le Conseil d’association de mars 2017, nos relations se sont intensifiées, tant sur les questions bilatérales que régionales. Notre partenariat progresse et se consolide », a-t-elle déclaré.

Même si les enjeux sont ainsi balisés, beaucoup de choses restent encore à négocier et à éclaircir dans les relations entre les deux parties. Dans son volet économique , le menu de cette 11e session du Conseil d’Association devrait être dominé par les échanges commerciaux , les questions énergétiques et la coopération technique .

Commerce : le sujet qui fâche

Au chapitre des échanges commerciaux, les raisons de la mauvaise humeur des responsables européens ne sont presque jamais exposées publiquement. Officiellement, il s’agirait de décisions prises dans l’urgence par les autorités algériennes en matière de contrôle des importations et sans respecter les procédures de concertation préalable avec le partenaire européen prévues explicitement par l’Accord d’association.

C’est ainsi que le 3 mai dernier, l’Union Européenne épinglait l’Algérie dans un rapport préparatoire à la 11e session du Conseil d’Association, affirmant que « l’instabilité législative et le déficit de communication de la part des autorités algériennes ont amplifié l’effet négatif » des décisions introduites pour réduire les importations.

“Ces mesures sont contraires aux clauses de l’Accord d’association qui régit, entre autres, les relations commerciales entre l’UE et l’Algérie”, ajoutait le rapport de l’UE qui rappelle par ailleurs que la balance commerciale Algérie-UE s’est équilibrée en 2017 . L’Algérie a importé l’année dernière de l’UE pour 18,8 milliards euros et a exporté pour 18,6 milliards euros.

Officieusement, la Commissaire européenne au commerce, Mme Cecilia Malmström, avait un peu vendu la mèche en estimant le 10 avril dernier devant les députés français que « l’Algérie ne respectait pas ses accords commerciaux avec l’Union européenne, ce qui in fine revenait à favoriser les intérêts de la Chine ».

Pour comprendre ce thème de la concurrence chinoise qui est la principale « préoccupation » européenne au sujet des relations commerciales avec l’Algérie, il suffit de se reporter aux résultats les plus récents de notre commerce extérieur. En 2017 les pays de l’Union européenne étaient toujours les principaux partenaires de l’Algérie. Mais globalement, la part de marché de l’UE dans les importations algériennes a régressé régulièrement au cours des dernières années, et singulièrement depuis l’entrée en vigueur de l’Accord d’association, en passant de 57,4% en 2002 à 52% en 2008 et seulement 44% en 2017 .

Cette redistribution des parts de marché s’est effectuée essentiellement au bénéfice de la Chine dont la part a sensiblement augmenté de 2,8% en 2002 à 8,6% en 2008 et près de 18% en 2017. La Chine est le premier fournisseur de l’Algérie depuis 2013, désormais très loin devant la France qui occupait traditionnellement cette position.

Les arguments algériens

Selon nos sources, les négociateurs algériens auraient fait valoir dans une période toute récente que les décisions des autorités algériennes en matière de suspension des importations se sont plutôt traduites par une réduction de la part des marché du fournisseur chinois et une progression des importations en provenance de l’Union européenne. C’est en particulier ce que montrerait les résultats de notre commerce extérieur au premier trimestre 2018.

Des évolutions récentes semblent également traduire la volonté des autorités algériennes de remplacer les mesures administratives de suspension des importations par des instruments économiques reposant sur l’augmentation des droits de douanes. C’est à la fois ce que déclarait dernièrement le ministre du Commerce , M. Said Djellab, et ce que semblent indiquer les mesures contenues dans la loi de finance complémentaire pour 2018 actuellement en préparation.

L’investissement européen à l’épreuve du 51/49

Mais du côté algérien, on préfère surtout évoquer la question des investissements européens en Algérie. Sur ce chapitre, la position algérienne a été exposée régulièrement à Bruxelles. La réduction des droits de douanes n’a pas eu les contreparties attendues en termes d’investissements européens en Algérie. « Les flux d’investissement européens sont en deçà des attentes de l’Algérie, en particulier ceux destinés à promouvoir la diversification de son économie et de ses exportations », indiquait déjà le Conseil des ministres d’octobre 2015.

La partie européenne botte en touche en évoquant le régime des investissements adopté par les autorités algériennes depuis 2009, en particulier le fameuse règle du 51/49 qui, selon les missions d’experts dépêchés à Alger, « entrave très gravement la mise en œuvre de l’Accord d’association ». Elles introduisent en outre « une incertitude dans les décisions d’investissement des entreprises européennes en Algérie en particulier dans des secteurs-clés pour le rééquilibrage de la balance commerciale ».

Le récent rapport conjoint de la Commission européenne et du Service européen pour l’action extérieure émet de ce point de vue une série de suggestions afin d’améliorer le climat des affaires en Algérie. « La création d’un cadre juridique stable et transparent, propice à l’investissement, ainsi que la réduction des subventions, la modernisation du secteur financier, et le développement du potentiel des partenariats public-privé font partie des réformes structurelles nécessaires qui doivent encore être menées », affirme l’Union européenne.

« L’investissement étranger doit également être encouragé ; dans ce sens, assouplir la règle 51/49, au moins pour les secteurs non-stratégiques, serait bénéfique », estime en outre le rapport.

La coopération technique à la rescousse

C’est dans le but de tenter de surmonter ces contradictions et ce qui apparait à certains égards comme un dialogue de sourds en matière de commerce et d’investissement que la démarche adoptée en mars 2017 met principalement l’accent sur le troisième volet du renforcement de la coopération technique.

On s’attends ainsi que le 11e Conseil d’association soit surtout marqué concrètement ce lundi par l’adoption dans ce domaine d’un cadre de programmation financière pour la période 2018-2020. Il sera doté d’une enveloppe comprise entre 108 et 132 millions d’euros qui « pourra être adaptée en fonction des développements », selon l’UE qui répond ainsi aux préoccupations algériennes concernant la modicité de ce montant .

Les axes prioritaires de ces programmes d’assistance techniques, qui s’inscrivent dans le prolongement des anciens programmes MEDA, sont très nombreux. Ils portent sur l’appui à la gouvernance, la diversification et la compétitivité de l’économie, le développement local inclusif et durable et la démocratie participative, l’environnement, et l’action climatique.

Il est également prévu de poursuivre le renforcement des capacités institutionnelles et de la société civile, avec une attention particulière accordée à la jeunesse.

source : TSA

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