Brexit : Theresa May veut parier sur l’Afrique
Photo: EPA/MIKE HUTCHINGS

TV5 Monde | 28 août 2018

Brexit : Theresa May veut parier sur l’Afrique

par Léon Sanchez

La perspective d’un Brexit sans accord s’approche et Theresa May a fait une annonce ce mardi 28 août, en visite en Afrique du Sud : elle veut que le Royaume-Uni devienne le plus gros investisseur des nations du G7 en Afrique. Quels sont les dessous de ce projet ?

"Je peux annoncer aujourd’hui une nouvelle ambition. D’ici 2022, je veux que le Royaume-Uni devienne le premier investisseur des pays du G7 en Afrique" : la déclaration de Theresa May lors de son discours au Cap (Afrique du Sud) est lourde de sens. La perspective d’un Brexit sans accord se concrétise de jour en jour et cette annonce a comme un goût d’anticipation.

Comme l’explique Demba Moussa Dembele, économiste basé à Dakar, "avec la perte, relative, du marché européen, les entreprises britanniques veulent se redéployer, ce qui est normal et l’Afrique est un marché intéressant pour les investisseurs."

Objectif ou effet d’annonce ?

Dans le même discours au Cap, Theresa May a tenu à minimiser les conséquences d’un Brexit sans accord. Pour Elizabeth Donnelly, cheffe adjointe et chercheuse au programme Afrique de la Chattam House ("think thank" britannique), "son annonce s’adressait plus aux autres pays qu’aux Anglais. Le but est de montrer que Theresa May et le gouvernement britannique ne craignent pas un Brexit sans accord."

Dans le même temps, pour Demba Moussa Dembele, l’objectif affiché n’est pas qu’un effet d’annonce, pour plusieurs raisons. Premièrement, "le Royaume-Uni est le deuxième investisseur en Afrique parmi les pays du G7 derrière la France". Ensuite, "quand on regarde le périple de Theresa May, on se rend compte qu’elle ne visite que d’anciennes colonies britanniques qui sont aussi des économies très fortes en Afrique."

Il y a aussi les pays, comme le Nigeria, qui n’ont pas signé les Accords de partenariat économique (APE) avec l’Union Européenne. Selon Demba Moussa Dembele, ces pays peuvent se reconnaître dans le rejet, par le Royaume-Uni, de l’Union Européenne et donc favoriser un rapprochement.

Entrent aussi en ligne de compte des intérêts et stratégies géopolitiques : "pour les nations africaines, il est beaucoup plus intéressant d’entretenir un dialogue bilatéral avec une nation affaiblie (et le Royaume-Uni est affaibli par le Brexit) plutôt qu’avec l’Union Européenne qui pèse bien plus et qui impose beaucoup plus sa marque."

L’impact du Commonwealth dans la balance

Dans ce projet de Theresa May intervient l’un des atouts objectifs du Royaume-Uni : le Commonwealth. Cette organisation internationale est composée des anciennes colonies britanniques et à pour principe fondateur de faciliter les échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et les nations qui la composent.

Pour Demba Moussa Dembele, le Commonwealth aide à resserrer les liens entre le Royaume-Uni et ses partenaires économiques alors qu’il quitte l’Union Européenne. Surtout, le Commonwealth permet "de renforcer le poids de la Grande-Bretagne en Afrique car même les pays qui l’avaient quitté rentrent dans le rang et y retournent, comme la Gambie, ou veulent y retourner, comme le Zimbabwe."

Le Commonwealth est donc un levier de négociation supplémentaire pour Theresa May dans la mise en place de son projet d’investissement.

Projet réaliste ou affabulation ?

Elizabeth Donnelly explique que son discours au Cap, "dans lequel elle évoque la prospérité et la sécurité pour le Royaume-Uni s’inscrit dans son paradigme. Elle essaie de faire coïncider les engagements économiques, sécuritaires et diplomatiques du Royaume-Uni. Bien sûr, cette décision découle du Brexit et l’idée est de se projeter pour prévoir la suite."

Mais la question qui se pose est de savoir si, oui ou non, son objectif est atteignable. Pour Demba Moussa Dembele, c’est tout à fait réalisable car "Theresa May ne cherche pas à concurrencer l’Inde ou la Chine parce qu’elle sait qu’elle est trop en retard. Elle s’est montrée très réaliste. Mais même si c’est possible, reste une question : est-ce que le Royaume-Uni aura les moyens d’investir ? Si ça se fait, ce sera favorable pour l’Afrique." Comme il l’expliquait plus haut, avoir des discussions plus équitables avec des partenaires économiques permettrait aux nations concernées d’accélerer leur développement.

Une nuance partagée par Elizabeth Donnelly : "son projet est sans doute atteignable, je ne suis pas économiste mais dans le cas d’un Brexit sans accord, probablement pas. Parce que je ne sais pas si le Royaume-Uni sera suffisamment fort économiquement pour résister et pouvoir investir."

Et c’est surtout la suite des événements qui pose question : la visite de Theresa May est la première visite officielle britannique en Afrique subsaharienne depuis cinq ans, les liens entre la Grande-Bretagne et le continent sont donc plus faibles que ceux de la France par exemple. Pour renforcer ces liens, Theresa May a annoncé, ce mercredi 29 août, l’ouverture de deux ambassades au Tchad et au Niger.

Mais, comme l’explique Elizabeth Donnelly, "il y a des problèmes de politique intérieure en Angleterre, elle est dans la tourmente" et pourrait donc devoir céder sa place. "Le prochain Premier ministre ne mettra peut-être pas autant d’énergie dans ce projet que Theresa May... On ne peut qu’attendre de voir ce qui arrivera" conclut Elizabeth Donnelly.

source : TV5 Monde

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