Que se passe-t-il avec le nouvel ALENA?
Photo: Doug Mills/The New York Times

Radio Canada | 10 avril 2019

Que se passe-t-il avec le nouvel ALENA?

Philippe-Vincent Foisy

L’ALENA 2.0 est « mort dans sa forme actuelle », affirme l’ex- ambassadeur américain au Canada Bruce Heyman. Selon lui, l’administration Trump n’aura pas le choix d’offrir aux démocrates des concessions. Cédera-t-elle à temps pour que le nouvel accord entre en vigueur avant les élections canadiennes? Rien n’est moins sûr, plus de six mois après l’entente conclue entre les trois amigos.

Le dimanche 30 septembre dernier, les États-Unis, le Canada et le Mexique s’entendaient in extremis sur un accord de libre- échange. Deux mois plus tard, en Argentine, en marge du G20, les trois dirigeants signaient la nouvelle mouture de l’accord.

Le président mexicain sortant, Enrique Peña Nieto, souriait, lui qui accomplissait l’un des derniers gestes importants de son mandat.

Le triomphalisme du président américain Donald Trump contrastait avec le peu d’enthousiasme du premier ministre Justin Trudeau.

Le Canada apposait sa signature, sans avoir pu retirer l’épine dans son pied : les tarifs douaniers américains sur l’acier et l’aluminium.

Cette signature symbolisait la fin d’un marathon de négociations ardues, qui ont monopolisé l’attention du gouvernement Trudeau.

Elle pourrait toutefois n’être que symbolique, si les gouvernements de chaque pays ne ratifient pas l’accord.

« Pour l’instant, ce n’est qu’un morceau de papier qui est signé, explique Patrick Leblond, professeur à l’Université d’Ottawa spécialisé en commerce international. L’accord peut très bien mourir au feuilleton si les Américains ne s’entendent pas. »

De nouvelles demandes américaines

Chaque pays a un processus de ratification différent. Au Canada, c’est le gouvernement qui doit ratifier le texte, mais la Chambre des communes a aussi son mot à dire. Elle doit adopter un projet de loi afin que l’accord soit mis en oeuvre.

Le gouvernement Trudeau peut, s’il le veut, déposer son projet de loi de mise en oeuvre et utiliser sa majorité à la Chambre pour le faire adopter avant la fin des travaux parlementaires, en juin. Par contre, il attend.

Aux États-Unis, la ratification passe par le Congrès, qui a changé depuis l’élection de mi-mandat de novembre dernier. La Chambre des représentants, qui doit adopter l’accord est maintenant contrôlée par les démocrates. Ils réclament des modifications au président américain avant de donner leur feu vert.

La semaine dernière, Nancy Pelosi, la leader démocrate à la Chambre, rappelait qu’elle était préoccupée par les droits des travailleurs au Mexique, l’environnement et le prix des médicaments.

L’ex-ambassadeur Bruce Heyman, qui publiera bientôt L’art de la diplomatie, un livre sur la relation canado-américaine, explique que le Canada devrait être favorable aux modifications demandées par les démocrates puisqu’elles sont alliées avec ses intérêts.
Par contre, la ministre responsable de la négociation de l’ALENA, Chrystia Freeland, répète qu’elle n’a pas l’intention de rouvrir l’accord, ce qui serait comme « ouvrir une boîte de Pandore ».

Tarifs douaniers

Ce n’est pas le seul élément qui retarde la signature. Plusieurs voix se lèvent pour demander au gouvernement de ne pas signer l’accord tant que les tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium sont en place.

« Il est important d’utiliser ce dernier levier de négociation afin d’obtenir non seulement la levée des tarifs, mais l’absence totale de quota potentiel, explique le président de l’Association de l’aluminium du Canada, Jean Simard. Si on ratifie l’accord, il n’y a plus de leviers possibles. »

Il mentionne que les tarifs douaniers en place depuis bientôt un an font mal à l’industrie. On parle d’environ 60 millions de dollars par mois en perte de revenus. Les investisseurs aussi sont plus prudents. Par exemple, Rio Tinto Alcan a mis sur la glace le développement d’un projet à Alma.

Même son de cloche du côté du Parti conservateur du Canada.

« Tant et aussi longtemps que les tarifs douaniers ne sont pas enlevés, il n’est pas question de signer le nouvel ALENA, lance le député Pierre Paul-Hus. C’est une condition sine qua non . »

Publiquement, Chrystia Freeland refuse cependant de promettre que l’accord ne sera pas ratifié sans la levée des tarifs douaniers.

« Ce que je dis aux Américains, c’est que pour nous, pour beaucoup de Canadiens, c’est très difficile de comprendre comment on peut ratifier le nouvel accord quand les tarifs sont toujours en place » , dit-elle.

En coulisses, une source libérale au courant des négociations soutient cependant que les représentants canadiens affirment que le Canada « ne déposera pas de projet de loi de mise en oeuvre tant que les tarifs y seront ».

Le gouvernement soutient aussi que le sujet est abordé chaque fois qu’un ministre se rend aux États-Unis .

Et alors?

« En ce moment, rien ne pousse le Canada à ratifier l’accord, explique Patrick Leblond. Tant que les trois pays ne l’ont pas ratifié, il est caduc, il ne sert à rien et on continue d’appliquer l’ALENA 1.0. »

Si l’entente est « reléguée aux oubliettes », les entreprises vont continuer de faire affaire selon les anciennes règles et certains groupes comme les producteurs laitiers, qui ont fortement critiqué l’accord, pourraient y trouver leur compte.

Toutefois, « l’incertitude va revenir » si le président américain met sa menace à exécution de déchirer l’ALENA 1.0. Pour l’instant, il la brandit dans l’espoir de forcer les démocrates à adopter l’accord rapidement.

Si les élections canadiennes approchent à grands pas, l’élection présidentielle américaine de 2020 commence déjà à occuper une grande partie de l’attention aux États-Unis.

« Une fois la campagne électorale lancée pour 2020, il y a un danger qu’on n’aille pas de l’avant », soutient Patrick Leblond.

source : Radio Canada

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