Accord UE-Canada. Pourquoi la France doit s’opposer au Ceta

L’Humanité | 9 juillet 2019

Accord UE-Canada. Pourquoi la France doit s’opposer au Ceta

par Alexandra Chaignon, Gaël de Santis, Lola Ruscio, Eric Serres et Maud Vergnol

Le projet de ratification de ce traité commercial « climaticide » et antidémocratique est examiné aujourd’hui en commission à l’Assemblée nationale, avant un vote le 17 juillet. Associations, syndicats et ONG appellent les députés à s’y opposer.

C’est un démenti cinglant au prétendu « virage écologique » d’Emmanuel Macron. En donnant le feu vert à la ratification du Ceta, le président de la République non seulement donne carte blanche aux multinationales pour imposer leurs lois, mais porte la responsabilité d’aggraver encore le réchauffement climatique. Depuis le début de son application partielle, en 2017, ses conséquences néfastes sur l’environnement et la santé ont été largement documentées, notamment dans un rapport commandité par le premier ministre lui-même… La France peut encore s’y opposer. C’est le sens de l’appel de 72 organisations, associations et syndicats, qui exhortent les parlementaires à ne pas le ratifier. D’autant que, après un premier recul sur le Mercosur, la majorité macroniste peine à justifier ce passage en force. À une semaine du vote, voici cinq bonnes raisons d’exiger de vos députés qu’ils s’y opposent.

1. Le pouvoir aux multinationales

C’est l’un des points les plus controversés du traité. Si une entreprise estime qu’un État prend une décision en matière environnementale ou sociale qui nuit à ses investissements, elle pourra porter l’affaire devant un mécanisme d’arbitrage. « Ces tribunaux risquent d’être préjudiciables aux mesures prises par les États dans l’intérêt général, comme en matière de santé ou d’environnement », avertissait la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) en 2016. Et c’est déjà le cas. En 2012, le groupe Veolia a attaqué l’Égypte pour avoir augmenté son salaire minimum et exigé 140 millions d’euros de compensation, argumentant une perte de rentabilité de sa filiale dans ce pays, en vertu d’un accord commercial entre Paris et Le Caire datant de… 1974. En juin, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi) a rendu une décision en faveur de l’Égypte. Même si c’est souvent les États qui remportent les arbitrages, l’intimidation demeure. Et parfois, les firmes transnationales remportent la mise, telle Cargill, qui s’est vu verser 80 millions d’euros de la part du Mexique, lequel avait eu le malheur d’instaurer un impôt sur les sodas pour des raisons de santé publique.

2. Un traité « climaticide »

Le Ceta est en totale contradiction avec les engagements pris par la France pour lutter contre le changement climatique. « En important plus de biens et de services des deux côtés de l’Atlantique, on émet plus de gaz à effet serre. Le réchauffement va s’accélérer. C’est incompatible avec l’accord de Paris », juge Maxime Combes, économiste à Attac. D’autant que le Canada est « l’un des pires élèves du G20 en matière de lutte contre le réchauffement », dénonce l’ancien ministre de la transition écologique Nicolas Hulot. Il faut dire que le pays de l’érable est loin de donner l’exemple. Alors que la Chambre des communes du Canada a décrété, il y a quelques jours, « l’état d’urgence climatique », ni une ni deux, le premier ministre, Justin Trudeau, a posé la dernière pièce à l’édifice pour le démarrage cet été de l’allongement de l’oléoduc Trans Mountain. Ce projet devrait permettre aux pétroliers de tout poil de tripler la capacité d’extraction – près de 890 000 barils par jour – des sables bitumineux de l’Alberta. Alors que le plan climat en France, présenté en 2017, prévoit l’interdiction de la recherche et de l’exploitation des hydrocarbures sur le territoire français – une première mondiale –, le pétrole canadien ne rencontrera donc plus d’obstacle pour finir dans le réservoir de nos voitures.

3. Des OGM dans nos assiettes

En juin dernier, le ministre de l’Agriculture français déclarait qu’il refuserait tout « accord qui nuirait aux intérêts des agriculteurs et consommateurs français, aux exigences de qualité sanitaire et alimentaire des standards européens, et à nos engagements environnementaux de l’accord de Paris ». Didier Guillaume a-t-il vraiment pris la mesure des conséquences du Ceta, qui ouvrira le marché européen à 65 000 tonnes de viandes canadiennes issues de bovins engraissés au maïs OGM, aux farines animales et aux antibiotiques ? En clair, les dispositions du texte risquent de réduire la possibilité de réglementer les OGM ou les perturbateurs endocriniens en Europe. Et la forte baisse des barrières tarifaires va affecter de plein fouet le secteur agricole, créant une concurrence déloyale. Une fois n’est pas coutume, syndicats agricoles et ONG sont sur la même position : le Ceta « met en concurrence deux modèles agricoles qui ne jouent pas à armes égales, dénonce ainsi Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, le principal syndicat agricole français. D’un côté, on demande aux agriculteurs européens de monter en gamme, avec des produits plus sains, d’avoir des pratiques plus respectueuses de l’environnement. De l’autre, on ouvre nos frontières à des produits agricoles qui n’offrent aucune garantie en matière sociale, sanitaire et environnementale ». Pour résumer, les intérêts commerciaux et des investisseurs primeront sur les considérations quotidiennes de la plupart des Européens et des Canadiens, à savoir une alimentation saine et de qualité.

4. Une aberration démocratique

Concocté dans la plus grande opacité, le Ceta, grâce à une anomalie démocratique tout européenne, est déjà appliqué de manière « provisoire » depuis le 21 septembre 2017, avant même le feu vert du Parlement européen et le vote dans chacun des États membres. Pire, la Commission européenne aura tout fait pour désinformer les citoyens, en affirmant notamment que ce traité ne prévoit aucun mécanisme d’arbitrage. Ce qui est vrai, puisque les auteurs du texte lui ont substitué le terme de « système de cour sur l’investissement » (ICS), qui donnera exactement le même pouvoir aux multinationales. Tout retour en arrière pourrait s’avérer extrêmement ardu puisque des clauses – dites « crépusculaires » – prévoient que ces tribunaux pourraient exister encore vingt ans après une éventuelle dénonciation de l’accord ! Ou comment donner les clés des décisions politiques aux multinationales…

5. Une machine à fabriquer de la précarité

La liberté de circulation des marchandises, des services et des capitaux est inscrite dans l’ADN du Ceta. Le Medef y voit déjà des opportunités à saisir pour les entreprises. Et pour cause : dans un contexte de concurrence accrue, les multinationales seront en position de force pour rafler les marchés au détriment des PME. Côté perdants, on compte aussi les travailleurs. En effet, la mise en concurrence des entreprises va entraîner une fuite des capitaux et des investissements là où la fiscalité et les protections sociales sont les plus faibles. Conséquence : le dumping social et fiscal va s’accentuer. Dans leur lettre ouverte, 72 organisations, dont la CGT et Attac, pointent un traité qui « facilite l’entrée sur le marché européen de produits qui ont été élaborés selon des normes inférieures aux standards européens ». Pour les salariés, la prospérité promise ne traversera pas l’Atlantique.

source : L’Humanité

Printed from: https://www.bilaterals.org/./?accord-ue-canada-pourquoi-la