Accord de libre-échange avec l’Indonésie: pourquoi nous conseillons le non

Le Temps | 22 février 2021

Accord de libre-échange avec l’Indonésie: pourquoi nous conseillons le non

par Dr Alain Frei et Michel Stevens*

Parmi les objets qui seront soumis au peuple le 7 mars prochain figure l’accord de libre-échange avec l’Indonésie. Comme tous ces traités, cet accord a pour but d’encourager le commerce entre les parties signataires, l’expansion attendue des exportations devant contribuer à une croissance d’ensemble de l’économie.

Dans son message au parlement du 22 mai 2019 «concernant l’approbation de l’accord de partenariat économique de large portée entre les Etats de l’AELE et l’Indonésie» (§4.2.), le Conseil fédéral énumère les objectifs de l’accord. Sur ces six objectifs, les cinq premiers auraient essentiellement pour résultat d’accroître la profitabilité des entreprises exportatrices. Le dernier objectif est libellé ainsi: «Assurer la coopération et le renforcement des capacités afin de réduire la pauvreté tout en promouvant la concurrence et le développement économique durable, et… contribuer à l’essor du commerce international en tenant compte des principes du développement durable.»

Seul ce dernier objectif évoque des considérations sociales et environnementales. Il constitue d’ailleurs une sorte de fourre-tout où l’on rencontre des attentes contradictoires: assurer la coopération… en… promouvant la concurrence; contribuer à l’essor du commerce international… en tenant compte des principes du développement durable. Cette place dérisoire laissée aux considérations sociales et environnementales montre bien le peu de cas que les rédacteurs de l’accord en font.

On tend à croire que l’amélioration de la profitabilité des entreprises, qui résulte de la croissance, accroît la prospérité de l’ensemble de la population, et donc que la croissance économique est une bonne chose pour tous, sans s’interroger sur ses conséquences concrètes. Or la croissance des exportations de machines et de biens de consommation suisses vers l’Indonésie se traduirait inévitablement par un accroissement des matières premières extraites et de l’énergie consommée, notamment des énergies fossiles. Le transport de ces marchandises, par mer ou par air, sur plus de 10 000 kilomètres, se traduirait de surcroît par une utilisation supplémentaire d’énergies fossiles.

Hausse de l’empreinte carbone suisse

Cet accord, comme tous les accords de libre-échange, contribuerait ainsi à augmenter l’empreinte carbone de notre économie. Ses conséquences vont donc à l’encontre de la politique climatique officielle de la Suisse, incarnée par la loi sur le CO2. La mise en œuvre de ce traité avec l’Indonésie, ainsi que le type de politique qu’il représente compromettraient encore un peu plus les chances, déjà minces, de la Suisse de concrétiser les engagements qu’elle a pris dans le cadre de l’Accord de Paris de 2015. Cela ne nous semble pas raisonnable, sachant que, en définitive, le traité soumis au peuple bénéficierait essentiellement aux entreprises d’exportation, soit à très peu de monde en Suisse.

Il y a aussi la question de l’huile de palme, souvent évoquée. Même si une faible part de la production indonésienne de cette huile est exportée vers la Suisse, il n’est guère souhaitable de favoriser sa culture. Sur le plan sanitaire, en effet, la consommation de cette huile, qui contient des acides gras saturés et des contaminants potentiellement cancérigènes, n’est pas recommandée. Sur le plan de l’environnement, le développement de l’exportation d’huile de palme provoque une déforestation à grande échelle qui détruit les habitats naturels de plusieurs espèces, telles que l’orang-outan et le gibbon.

Insécurité juridique

Les traités de libre-échange, qui se sont multipliés dans le monde ces dernières décennies, posent de surcroît de réels problèmes de sécurité juridique. L’accord, sur lequel le peuple devra se prononcer, confie le règlement des principaux différends à un tribunal arbitral dont les membres seraient en principe désignés par les parties en litige (art. 11.1 à 11.10). Le recours, pour régler les différends, à des tribunaux arbitraux, composés, non de juges professionnels, mais le plus souvent d’avocats d’affaires, pose problème:

  • Pourquoi instaurer une justice d’exception alors qu’il existe dans la plupart des pays, mais également sur le plan international, une organisation judiciaire performante qui serait tout à fait capable d’appliquer les dispositions de ces traités?
  • Contrairement à la justice conventionnelle, les audiences des tribunaux arbitraux ne sont pas publiques et leurs procédures manquent de transparence, masquant de très probables conflits d’intérêts.
  • Ces tribunaux ne s’inscrivant pas dans la hiérarchie judiciaire ordinaire avec ses possibilités de recours et, n’étant pas tenus de respecter la jurisprudence établie, leur existence fait planer un risque d’instabilité juridique. Dès lors l’affirmation selon laquelle l’accord avec l’Indonésie permettrait d’accroître la sécurité juridique est à accueillir avec la plus grande circonspection.

Vous l’aurez compris, les Grands-parents pour le climat conseillent de rejeter cet accord.

*Dr Alain Frei et Michel Stevens, co-président et membre des Grands-parents pour le climat

source : Le Temps

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