Carte blanche: «L’accord du Mercosur-UE, une incohérence totale face au défi climatique»

Le Soir | 10 mars 2021

Carte blanche: «L’accord du Mercosur-UE, une incohérence totale face au défi climatique»

Par Adélaïde Charlier, militante pour le climat, coordinatrice francophone du mouvement Youth for Climate belge. Cosignataires: Anuna De Wever et Youth for Climate.

Il y a quelques jours, Youth for Climate a adressé un courrier à Sophie Wilmes, ministre des Affaires étrangères et aux parlementaires fédéraux, à propos de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur. Les députés fédéraux seront en effet amenés à se prononcer sur cet accord dans quelques jours.

Le Mercosur est le marché commun de l’Amérique du Sud (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay). En juin 2019, un accord de libre-échange a été signé entre l’Union européenne et le Mercosur. Cet accord porte sur la suppression des droits de douane d’un montant de plus de 4 milliards d’euros, sur 91 % des exportations de produits européens vers ces pays d’Amérique latine et sur 92 % des importations de l’Union européenne (UE) de produits sud-américains. Pour être en vigueur, l’accord doit encore être ratifié par tous les Parlements nationaux.

Pour Youth for Climate, cet accord va à l’encontre de toutes les observations et recommandations posées par les scientifiques du Giec et de l’IPBES au sujet du climat et de la biodiversité, en outre car le Mercosur augmentera la déforestation et les émissions de gaz à effet de serre.

Nous sommes à un moment politique crucial puisque la présidence portugaise met la pression pour la ratification de cet accord. La Commission européenne travaille sur un protocole additionnel ciblant spécifiquement la déforestation et l’accord de Paris. Ce protocole additionnel n’étant pas contraignant, il vise seulement à sauver l’accord mais ne permettra en rien de répondre aux enjeux climatiques et à la protection de la forêt. De plus, il nous semble incohérent de négocier un protocole d’accord additionnel avec M. Bolsonaro, qui a déjà montré son mépris total vis-à-vis des questions climatiques, de la forêt amazonienne et des droits des populations autochtones.

Pour nous, l’accord du Mercosur, même avec un protocole additionnel, ne peut pas être ratifié et ce pour au moins quatre raisons.

L’Amazonie en danger

Premièrement, cet accord prend le risque d’augmenter le dérèglement du climat et la biodiversité, car il existe un lien entre l’agriculture et l’élevage de grandes exploitations sud-américaines, en particulier le Brésil, et l’augmentation de la déforestation et les émissions de gaz à effet de serre. Jusqu’à 22 % du soja et plus de 60 % de la viande bovine exportée annuellement vers l’UE peuvent être liés à la déforestation illégale (1). Or, la forêt amazonienne a une importance indéniable pour l’Amérique latine, pour l’UE et pour le monde. Elle est l’un des écosystèmes les plus diversifiés de la planète et a une influence prouvée sur le climat du monde entier. On estime que la forêt amazonienne fournit à elle seule plus de 20 % de l’oxygène du monde par son système de capture du C02. Près de 20 % de l’Amazonie ont déjà été dévastés et nous nous rapprochons d’un point de rupture : si 20 à 25 % de la forêt tropicale était abattue, l’Amazonie orientale, méridionale et centrale basculerait vers un écosystème semblable à une savane (2).

Un impact négatif sur l’agriculture et l’élevage

Deuxièmement, cet accord augmente significativement le risque que nos agriculteurs soient confrontés à des importations inéquitables à bas coûts, d’énormes quantités de viande de qualité inférieure et à des coûts très élevés pour notre planète. Le récent rapport de l’EU sur l’impact des accords commerciaux sur l’agriculture confirme un bénéfice pour l’agro-industrie mais des conséquences négatives pour nos agriculteurs. L’analyse d’impact

du Mercosur sur l’économie belge par le SPF Economie confirme un impact négatif sur les producteurs agricoles de viande bovine, de betteraves et de viande de volaille (3). Pourquoi importer de la viande de bœuf, de la volaille et du sucre que nous produisons en Belgique et en Europe ? Pourquoi mettre en concurrence nos agriculteurs avec l’agro-business d’Amérique latine (dont les règles BEA et OGM ne sont pas du tout les mêmes) ?

Un risque de désastre sanitaire

Troisièmement, cet accord prend le risque d’un désastre sanitaire, d’abord car nos assiettes se retrouveront encore plus envahies de produits alimentaires pulvérisés de pesticides, dont beaucoup sont interdits en Europe. Mais aussi parce que la déforestation massive couplée à l’élevage animal intensif favorise la transmission de maladies aux humains ; la pandémie Covid-19 ne peut que nous mettre en garde contre cette prise de risque. L’accord UE-Mercosur intensifiera l’agriculture industrielle, et par voie de conséquence intensifiera également la disparition de milieux naturels. Accepter cet accord, c’est nier, une fois de plus, le constat alarmant de scientifiques au sujet de la disparition de biodiversité.

Une menace pour la survie des communautés autochtones

Enfin, cet accord prend le risque d’augmenter la vulnérabilité des communautés autochtones et les défenseurs de l’environnement qui aujourd’hui paient déjà de leur vie la défense de ce bien commun qu’est l’Amazonie. La forêt amazonienne abrite plus de cinq cents communautés autochtones qui dépendent des forêts pour leur subsistance. Les droits de ces peuples sont bafoués de manière indécente sous l’administration Bolsonaro. Les peuples vivant à l’intérieur de l’Amazonie s’occupent de la forêt comme la forêt prend soin d’eux. Ils sont les gardiens, en outre, d’un système d’évaporation indispensable à l’équilibre pluviométrique de la planète. Nous devrions les remercier, or l’accord du Mercosur reviendrait, à l’inverse, à nier leur existence et leurs droits.

Il y a un an, nous avons navigué avec des jeunes activistes européens du climat (4) jusqu’au Brésil, nous avons eu l’opportunité d’échanger avec des scientifiques, des anthropologues, de jeunes Brésiliens et, surtout, des dirigeants des communautés autochtones d’Amazonie, comme le Cacique Raoni. Les témoignages que nous avons entendus là-bas étaient absolument déchirants. En leur nom aussi, nous nous battons contre cet accord. Il ne s’agit pas de condescendance ou de pitié mais de reconnaissance de droits humains.

Cette rencontre nous a permis de mesurer que les logiques scientifiques, juridiques et humaines s’entrecroisent. Nous pensons que la résistance au Mercosur n’est pas un combat rétrograde ou de repli sur soi. Nous sommes des jeunes bien ancrées dans le 21e siècle, conscientes de la nécessité des échanges internationaux mais déterminées à ne pas les accepter s’ils nient les droits humains ou le constat répété des sciences. En, refusant l’accord du Mercosur, nous sommes persuadées que la Belgique et l’Europe ont l’occasion d’engendrer de nouvelles logiques économiques qui intègrent les dimensions sociales et environnementales.

Au nom du principe qu’aucune politique ne peut aggraver la situation environnementale et sociale de notre planète pour assurer un avenir viable aux jeunes générations, nous demandons à nos responsables politiques de rejeter cet accord, même doté d’un protocole additionnel. Car, c’est notre génération qui portera les conséquences des risques, aujourd’hui connus, si cet accord est signé.

(1) Revue Science, « The rotten apples of Brazil’s agribusiness », Juillet 2020.

(2) Selon Dr A. Nobre, Université de Sao Paulo et T. Lovejoy, Université George Mason, Revue Nature, Février 2020.

(3) SPF Economie : « Accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur. Impact pour les secteurs économiques belges », Printemps 2020.

(4) Il s’agissait du projet « Sail to the Cop » dont l’objectif était de rejoindre la COP25 au Chili. Nous nous sommes arrêtés au Brésil, pour nous rendre dans la région du Xingu, Para brésilien.

source : Le Soir

Printed from: https://www.bilaterals.org/./?carte-blanche-l-accord-du-mercosur