Zone de libre-échange continentale (ZLEC): Mises en garde sur les questions de propriété intellectuelle

L’Economiste du Faso | 26 avril 2021

Zone de libre-échange continentale (ZLEC): Mises en garde sur les questions de propriété intellectuelle

Article tiré d’un document réalisé par l’Union Africaine(UA), la Commission économique pour l’Afrique(CEA) et la Banque africaine de développement (BAD) intitulé : Vers la création de la Zone de libre-échange continentale : État de l’intégration régionale en Afrique (ARIA VIII, octobre 2017).

III. Troisième partie

Cadre de la ZLEC pour la résolution des questions de la propriété intellectuelle

Tout accord de la ZLEC sur la protection de la propriété intellectuelle résultera d’une initiative intra-africaine, en ce sens qu’il constituera une déclaration juridiquement contraignante sur la position des pays signataires. Il sera également un guide important à l’étranger, lorsque ces pays négocieront des accords de libre-échange avec des pays non africains. En d’autres termes, les questions nationales guideront les États membres dans les négociations qu’ils conduiront avec d’autres pays ou groupes régionaux en vue d’accords commerciaux. Sur le fond, l’accord de la ZLEC sur la propriété intellectuelle devrait favoriser la souplesse, souligner l’importance d’une période de transition et préserver la marge d’action en créant des limites et des exceptions adaptées aux pays, quel que soit leur niveau de développement. L’accord devrait également prendre acte des difficultés et opportunités de la protection de la propriété intellectuelle en Afrique. Toute approche élaborée par des Africains en vue d’un accord est acceptable, du fait que les parties à la négociation partagent les mêmes valeurs et priorités « afro centriques » et affrontent les mêmes difficultés en matière de propriété intellectuelle. Des propositions de principes sont formulées pour l’accord-cadre de la ZLEC sur la propriété intellectuelle dans les deux sous-sections suivantes.

Principes de forme

Au regard des erreurs commises dans les accords commerciaux bilatéraux, plurilatéraux ou multilatéraux au sujet des questions de propriété intellectuelle, l’accord-cadre de la ZLEC devra être négocié dans le souci d’assurer sa légitimité démocratique. Les causes profondes d’illégitimité incluent :

• La confidentialité et le manque de transparence des négociations ;

• L’absence de consultations ouvertes aux principales parties et l’organisation d’un processus consultatif sélectif pour les parties à la négociation excluant la société civile ;

• La tenue de négociations en dehors d’organismes internationaux tels que l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle et l’Organisation mondiale du commerce qui sont dotés de règles sur la mobilisation du public et le partage de l’information ;

• La négligence, la dissimulation ou la minimisation des incidences des textes sur les libertés des personnes telles que la liberté d’expression et la vie privée ;

• Le bâclage des processus, ces derniers semblant proposer des solutions simplistes à des problèmes complexes.

Les mêmes inquiétudes avaient été exprimées en Afrique en 2012, au sujet du projet de statuts de l’OPAPI. Les experts africains de la propriété intellectuelle avaient ainsi affirmé que « le projet de statuts de l’OPAPI résultait d’un processus opaque qui n’avait prévu aucune consultation ouverte aux acteurs concernés incluant la société civile. Aucun projet de statuts n’avait été précédemment édité ni même examiné publiquement ». Cette approche (passée) doit céder le pas à un processus global, transparent et ouvert aux acteurs concernés. Face aux changements survenus dans la dynamique en cours, aux attentes accrues des populations dans le domaine du droit international et de la formulation des politiques, et à la nécessité de réduire au minimum le risque d’un rejet des populations ou d’un échec, les négociations sur la ZLEC doivent veiller à l’équité, à l’équilibre et à la légitimité des politiques. Elles organiseront ainsi une procédure démocratique, transparente, diligente et ouverte à tous. Cette procédure inclura des consultations et des débats publics. Les processus et méthodes des législateurs nationaux et des organisations internationales telles que l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle autorisent l’accès des personnes aux projets de documents et la tenue d’audiences publiques. Il convient de faire de même.

Principes de fond

Les questions de fond qui devront être traitées par le cadre africain de la propriété intellectuelle sont, notamment, les suivantes.

Droit d’auteur. Des cadres nationaux seront établis en vue d’encourager l’innovation et la créativité. Ils seront équilibrés, solides, cohérents, applicables pratiquement, adaptés au contexte et ouverts aux technologies numériques. Il convient ainsi d’adopter des dispositions sur-le-champ et les modalités de la protection du droit d’auteur en prévoyant des exceptions et des limites. Au sujet des exceptions et des limites, l’inclusion de dispositions expresses est impérieuse (pour les personnes handicapées, les reproductions temporaires, les importations « parallèles », les textes et œuvres orphelins et l’extraction de données).

Brevets. L’accord ne devrait pas seulement chercher à sécuriser la délivrance de brevets à la seule fin de l’amélioration du classement de l’Afrique. Il doit améliorer les brevets délivrés selon le droit des brevets, lequel encadre par exemple adéquatement l’accès aux médicaments. Cela nécessitera d’adopter une approche plus rigoureuse pour l’utilisation des flexibilités et l’exploitation de la marge d’action (comme indiqué précédemment, plusieurs communautés économiques régionales ont fourni des orientations à ce sujet). L’accord sur la ZLEC devra consolider les efforts accomplis en les intégrant, et ne réinventer aucune politique ou directive. Les lois nationales sur les brevets nécessitent d’être examinées sur le fond et les capacités et procédures des offices de brevets, renforcées, de façon que les examens soient crédibles et efficaces.

Marques commerciales

Les stratégies sur les marques commerciales moins conventionnelles, notamment, les marques communales, sont mieux à même de transformer la vision du développement des producteurs africains en inventions commercialisables. Elles combinent, en effet, des éléments de protection externe et des éléments d’ouverture interne, d’inclusion et de collaboration adaptés aux conditions locales. Ces stratégies sont toutefois peu utilisées en Afrique. Il n’existe aucun cadre national encourageant leur utilisation et les mesures de protection sont inexistantes. Les cadres juridiques sont adaptés à la protection des marques commerciales conventionnelles. Les négociations sur la ZLEC offrent l’occasion de promouvoir les politiques de propriété intellectuelle susceptibles de créer une forme de cadre sui generis pour la protection des marques commerciales moins conventionnelles à l’échelle nationale.

Savoirs traditionnels

Les savoirs traditionnels demeurent une force majeure de l’Afrique au niveau de la propriété intellectuelle et des politiques commerciales. Ils s’expriment dans les principaux secteurs de l’innovation et des connaissances, notamment, dans la médecine, l’agriculture, la biotechnologie et l’alimentation. L’Afrique a été influente à l’échelle mondiale pour mobiliser des appuis en faveur de la protection des savoirs traditionnels. Des initiatives existent également pour harmoniser les efforts à l’échelle régionale. Les négociateurs sont ainsi priés de tenir compte des positions et des déclarations politiques présentées dans les protocoles et directives, lors de l’élaboration de la politique de la ZLEC sur la propriété intellectuelle.

source : L’Economiste du Faso

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