« L’accord de libre-échange entre Londres et Canberra permet de mesurer les extrêmes difficultés qui attendent le Royaume-Uni avec le Brexit »

Le Monde | 25 mai 2021

« L’accord de libre-échange entre Londres et Canberra permet de mesurer les extrêmes difficultés qui attendent le Royaume-Uni avec le Brexit »

par Eric Albert

Chronique. Presque cinq ans après le vote en faveur du Brexit (23 juin 2016), le Royaume-Uni semble proche d’en retirer son tout premier bénéfice. Un accord de libre-échange avec l’Australie est sur le point d’être conclu. « Nous sommes dans un sprint, avec l’objectif d’obtenir un accord de principe début juin », affirmait, mercredi 19 mai, Liz Truss, la ministre britannique du commerce international.

Pour les brexiters, qui se raccrochent depuis le début à la possibilité de signer des accords de libre-échange avec le reste du monde hors de l’Union européenne (UE), le symbole est fort. S’il est signé, l’accord serait la preuve que leur promesse de « Global Britain », ce Royaume-Uni tourné vers l’international, n’est pas complètement vide de sens.

Ce premier cas concret permet pourtant de mesurer les extrêmes difficultés qui attendent le Royaume-Uni. Il se heurte en effet à deux dures réalités.
Hausse du PIB entre… 0,01 % et 0,02 %

La première, la plus évidente, est que l’Australie, c’est loin : 17 000 kilomètres entre Londres et Canberra pour être exact. Les échanges commerciaux sont donc relativement limités : l’Australie compte pour 0,4 % des exportations britanniques de biens et 1,3 % de ses importations. De l’aveu même du gouvernement britannique, qui a fait tourner ses modèles, cet accord permettrait une hausse du produit intérieur brut situé entre… 0,01 % et 0,02 %. Trois fois rien.

L’autre dure réalité concerne les conséquences d’un éventuel accord avec l’Australie pour les agriculteurs britanniques. Le bœuf australien est extrêmement compétitif et les éleveurs britanniques risquent de ne pas pouvoir résister. Minette Batters, la présidente du syndicat des agriculteurs (NFU), sonne l’alarme : « Un accord de libre-échange avec l’Australie va mettre à mal notre industrie agricole et causer la faillite de très nombreux élevages de bœufs et de moutons. »

Le problème divise profondément le gouvernement britannique. D’un côté, les partisans du libre-échange menés par Liz Truss ; de l’autre, les défenseurs des agriculteurs, menés par Michael Gove, un influent ministre et brexiter de la première heure. A en croire la presse britannique, le gouvernement britannique a demandé à l’Australie une période de transition de quinze ans, pendant laquelle le bœuf australien n’aurait pas un accès complet au marché britannique. Canberra serait prêt à accepter dix ans, toujours selon les mêmes fuites dans la presse britannique.

Perte presque impossible à compenser

L’exemple australien permet de mesurer la montagne que s’apprête à gravir le Royaume-Uni. Le pays s’est détourné de l’UE, qui représente un peu moins de la moitié de son commerce. Il lui sera presque impossible de compenser cette perte. Certes, l’Australie ne se veut qu’une première étape. Londres espère ensuite devenir membre de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (CPTTP, de son acronyme anglais), un traité commercial signé en 2018 entre onze pays situés sur les deux rives du Pacifique (Australie, Brunei, Canada, Chili, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour, Vietnam).

Les signataires représentent 13 % du PIB mondial, un demi-milliard d’habitants et 8 % du commerce britannique de biens. Mais la route s’annonce longue. Quant au rêve de Londres de signer avec les Etats-Unis, il est pour l’instant inaccessible. Les négociations sont au point mort, les Américains voulant imposer leurs normes alimentaires aux Britanniques. Là encore, les agriculteurs d’outre-Manche risqueraient d’en souffrir.

Ces avantages lointains et incertains sont à mettre en regard des problèmes actuels, déjà bien concrets : un Royaume-Uni profondément divisé, avec une Ecosse et une Irlande du Nord qui ont des velléités d’indépendance ; de sérieux problèmes à la frontière entre Douvres et Calais, les PME faisant les frais des nouvelles paperasseries ; et enfin la création d’une frontière commerciale interne entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord. Le Brexit n’est décidément pas un projet économique.

source : Le Monde

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