En l’honneur d’Aziz Choudry

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par GRAIN et bilaterals.org, 2 juin 2021

C’est avec une extrême tristesse que les équipes de GRAIN et de bilaterals.org partagent avec vous la nouvelle de la disparition d’Aziz Choudry, un grand camarade et un grand ami. Il est décédé très soudainement à Johannesburg, en Afrique du Sud, le 26 mai 2021, un mois avant son 55e anniversaire.

Nous avons rencontré Aziz pour la première fois à la fin des années 1990, à l’époque de la formation du mouvement altermondialiste, alors qu’il était un jeune organisateur passionné et un brillant penseur, à la tête de la résistance contre le Forum de coopération économique Asie-Pacifique (APEC), qui était alors l’un des plus importants véhicules de promotion des zones de libre-échange néolibérales.

Aziz Choudry, Carlos Vicente (GRAIN) and Paul Pantastico (bilaterals.org), Bangkok, 2006 (Source: GRAIN)

Quelques années plus tard, à Manille, au début de l’année 2004, autour d’une tasse de café près des bureaux de la Fondation IBON, nous nous sommes liés par une compréhension commune du caractère pernicieux des accords bilatéraux de libre-échange (ALE). Ayant travaillé comme activiste pendant de nombreuses années avec GATT Watchdog New Zealand, Aziz avait une compréhension aiguë de ce que ces accords signifiaient pour les travailleurs et les travailleuses, les peuples indigènes et les communautés luttant pour la justice sociale. Avec d’autres, il a déployé des efforts considérables pour stopper l’accord entre la Nouvelle-Zélande et Hong Kong (qui a réussi pendant de nombreuses années) et a joué un rôle central dans la mobilisation des populations contre l’APEC également (ce qui a poussé les services secrets néo-zélandais à saccager illégalement sa maison). Pour Aziz, comme pour nous, les accords de libre-échange étaient des outils permettant de pousser beaucoup plus loin ce que les lobbies des entreprises et les pouvoirs néolibéraux obtenaient dans des cadres multilatéraux, comme l’Organisation mondiale du commerce. Ils permettent aux pays puissants de littéralement forcer les autres à s’aligner sur leurs politiques et leurs normes, comme le brevetage des semences. Ils sont bien moins au service des objectifs économiques, que des objectifs géopolitiques impérialistes. Ils affaiblissent les systèmes démocratiques, en exigeant des négociations secrètes, et en créant des structures qui donnent aux gouvernements puissants une influence directe sur les processus d’élaboration des politiques des pays plus faibles. Aziz avait le sentiment que les ONG, en particulier, ne prêtaient pas suffisamment attention à ces accords - non pas en raison de leurs propres lacunes, mais du fait d’une conséquence délibérée de la stratégie "diviser pour mieux régner" que représentent les accords bilatéraux. [1]

Devant cette tasse de café en émail blanc épais, Aziz a songé à créer une plateforme en ligne unique, où les groupes, qui luttent seuls contre les ALE et les traités bilatéraux d’investissement - qu’il s’agisse d’agriculteurs en Colombie, de coalitions en Corée, de syndicats en Afrique du Sud ou d’étudiantes au Canada - pourraient voir ce qui se passe dans les autres pays. Ce serait un lieu de partage d’informations sur les négociations elles-mêmes, sur les impacts des accords mis en œuvre, et sur les mouvements de résistance sur le terrain. Il s’agirait d’un espace collaboratif à publication ouverte qui, disions-nous, n’appartiendrait à personne. Ainsi, les groupes pourraient non seulement être mieux informés, mais ils pourraient aussi partager directement leurs stratégies et leurs expériences, et mieux comprendre comment ces différents traités constituent, dans les faits, une attaque commune contre la souveraineté des peuples. Un mois plus tard, nous nous sommes retrouvés à Bangkok et avons littéralement esquissé, sur un bloc de papier, ce qui allait devenir le site bilaterals.org. Après un travail acharné avec des développeurs, le site a été lancé six mois plus tard, et demeure actif aujourd’hui.

Aziz Choudry and Radha D’Souza, Paris, 2011 (Source: GRAIN)

Aziz est resté depuis lors un élément central et engagé de bilaterals.org. En 2006, la coalition thaïlandaise FTA Watch, avec l’appui de Biothai, GRAIN, Médecins sans frontières et bilaterals.org, a organisé un atelier international de mouvements luttant contre les ALE dans le monde entier. Cette rencontre a permis de dégager une riche compréhension commune du fonctionnement de ces accords, et de la manière dont nous pouvons nous soutenir mutuellement pour les combattre. Elle a débouché sur la publication d’un livre collectif, Fighting FTAs, à laquelle Aziz a joué un rôle central. Et ce processus a généré de nombreuses collaborations dans les années qui ont suivi.

Au sein de GRAIN, Aziz a développé des relations de travail et des amitiés étroites avec nombre de nos collaborateurs et collaboratrices dans différentes parties du monde. Il est resté avec nous en Argentine et au Mexique, où il soutenait les luttes locales contre les ravages du néolibéralisme. Il nous mettait constamment en contact avec différents mouvements et militant-e-s à travers le monde, tels que le mouvement palestinien Boycott-Désinvestissement-Sanctions, les syndicats, les travailleurs des médias, les militant-e-s du numérique et les collectifs de travailleurs immigrés. Il nous a aidés à élaborer une stratégie pour travailler avec des organisations de vendeurs de rue en Asie, nous a rapprochés du réseau de recherche Asie-Pacifique et nous a présentés à des activistes maoris qui luttaient pour les droits collectifs des personnes en matière de semences, de biodiversité et de connaissances en Nouvelle-Zélande/Aotearoa. Tout récemment, Aziz a aidé bilaterals.org à créer une place pour une jeune membre de l’équipe en Afrique australe.

Les conseils très avisés d’Aziz, sa merveilleuse camaraderie, son humour mordant et son envergure intellectuelle vont cruellement nous manquer. Son anti-colonialisme, son anti-impérialisme et son anti-racisme faisaient partie de son ADN et nous inspiraient quotidiennement. Le départ d’Aziz laisse un vide dans nos cœurs, mais il a rempli nos vies d’ami-e-s, d’allié-e-s et de courage que nous n’aurions pas eus autrement.

Merci, Aziz, pour tout ce que tu étais. Nous ne l’oublierons jamais.

La nièce d’Aziz, Sana, et son frère Mansoor ont lancé une campagne de crowdfunding afin de créer une fondation en son nom. Tous les fonds récoltés seront distribués à des causes qui passionnaient Aziz, notamment Humanity First, le soutien aux paysans, la construction d’écoles et la situation critique du peuple palestinien. Si vous souhaitez apporter votre soutien, rendez-vous sur https://www.justgiving.com/crowdfunding/sana-ahmed-184

Footnotes

[1Aziz était néanmoins très critique à l’égard des ONG qui, selon lui, prenaient la place des mouvements sociaux, parlaient au nom des autres et travaillaient sur des "questions" d’une manière qui ne tenait pas compte de l’ensemble de la situation et qui affaiblissait la lutte.

source : bilaterals.org

Printed from: https://www.bilaterals.org/./?en-l-honneur-d-aziz-choudry