Le TCE, cet accord international contraignant qui protège les énergies fossiles

Libération | 17 octobre 2022

Le TCE, cet accord international contraignant qui protège les énergies fossiles

par Sascha Garcia

#ExitTCE. Depuis plusieurs jours, les gouvernements européens sont la cible d’une véritable campagne d’interpellation sur les réseaux sociaux. Le but : sortir du Traité sur la charte de l’énergie (TCE). L’appel est lancé par cinq étudiants qui ont déposé plainte à la Cour européenne des Droits de l’homme pour le faire interdire. Relayée par Greta Thunberg ou encore l’activiste du climat française Camille Etienne, cette soudaine levée de boucliers fait sortir de l’ombre un traité qui, lui, agit sous les radars depuis des années contre le changement climatique.

Le TCE, un vestige du siècle passé

Le Traité sur la charte de l’énergie est un «accord d’investissement plurilatéral, avec une cinquantaine d’adhérents, dont la plupart sont européens», résume auprès de Libération Nicolas Roux, membre d’Attac, association française pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne.

Créé en 1994 et entré en vigueur en 1998, le TCE est un véritable vestige du siècle passé. Alors que l’Union soviétique disparaît, l’Europe de l’Ouest tient à sécuriser son approvisionnement en pétrole et en gaz. Loin de toute préoccupation climatique, le TCE permet donc à une entreprise énergétique de poursuivre un Etat qui opterait pour des lois qui pourraient avoir un impact négatif sur ses profits.

L’économiste Maxime Combes, du collectif STOP CETA-Mercosur, juge le TCE comme «l’un des pires traités d’investissements internationaux», de par son inadéquation avec l’urgence climatique. Le rapport 2022 du GIEC mentionne explicitement le TCE comme d’un traité qui «s’attache toujours à promouvoir le développement des combustibles fossiles, […] conçu pour protéger les intérêts des investisseurs dans des projets énergétiques contre les politiques nationales», selon le texte.

Des Etats déjà ciblés

Plusieurs pays européens en ont déjà fait les frais. En 2016, l’Italie met fin à l’exploration et à la production de pétrole et de gaz au large de ses côtes. Au nom du TCE, Rockhopper, compagnie pétrolière britannique, poursuit l’Italie : l’entreprise avait obtenu des autorisations pour exploiter un gisement sous-marin dans le périmètre italien. En septembre dernier, Rockhopper annonce qu’elle recevra une compensation de 180 millions d’euros de la part de l’Etat.

Même répercussion aux Pays-Bas en 2021. Après la volonté affirmée du gouvernement d’éliminer progressivement le charbon pour l’électricité, la société Uniper poursuit le pays. L’entreprise a réclamé une compensation financière suite à la fermeture de centrales au charbon. Du côté de l’Espagne, le pays a été ciblé une cinquantaine de fois par des plaintes d’investisseurs. Le traité n’encourage donc pas les Etats à s’investir dans la transition énergétique, étant sous la menace continuelle du TCE.

Réformer ou quitter le traité ?

L’Union européenne ouvre peu à peu les yeux. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a affirmé dans une réponse au Sénat que «la France a envoyé, en décembre 2020, un courrier à la Commission européenne pour faire part de son insatisfaction quant au processus de modernisation en cours». Pour la première fois, un «retrait coordonné de l’UE et de ses Etats membres» est évoqué par un pays membre du TCE. Depuis, silence radio.

Mais la conférence annuelle du traité, qui se tient ce 22 novembre en Mongolie, pourrait bien changer la donne. Une modernisation du TCE est sur la table. «C’est positif que le débat émerge et qu’une réforme a lieu. Mais la proposition est négative», nuance Maxime Combes. Pour le membre d’Attac Nicolas Roux, «le texte ajoute encore plus de protection. Des secteurs qui n’étaient pas protégés par le TCE le deviennent, comme la capture du carbone».

Après l’Italie en 2016, c’est aujourd’hui la Pologne et l’Espagne qui s’apprêtent à sortir du TCE. Mais ils n’en ont pas fini pour autant : une clause de survie rend les investissements valables pendant encore vingt ans après la sortie du traité. Selon de nombreux collectifs pour le climat, la meilleure solution reste celle qu’avait envisagée la France : le retrait coordonné de l’Union européenne du TCE. L’enjeu reste à convaincre, et à lever les réticences des pays restants.

source : Libération

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