Élections brésiliennes : la victoire de Lula relancerait l’accord UE-Mercosur

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Euractiv | 28 octobre 2022

Élections brésiliennes : la victoire de Lula relancerait l’accord UE-Mercosur

Par : Hugo Struna et Paul Messad

Pour l’instant au point mort, le très critiqué accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur serait relancé en cas de victoire du socialiste Lula aux élections présidentielles brésiliennes ce dimanche (30 octobre).

Bien que soutenu par Jaïr Bolsonaro, l’accord a été bloqué par les pays européens, en raison de l’aggravation de la déforestation en Amazonie causée par la politique du président brésilien.

La France a opposé son véto dès août 2019, puis l’Allemagne en août 2020, avant que les parlementaires européens ne votent une résolution à son encontre en octobre de la même année. Depuis, leurs positions n’ont pas varié.

Mais avec les élections brésiliennes à venir, l’accord pourrait bien ressusciter. Surtout en cas de victoire du challenger, Lula da Silva.

Un accord dans les six mois

L’ex-président (2003-2010), qui brigue un troisième mandat, a déclaré vouloir parvenir à un accord « dans les six mois » s’il est élu dimanche, comme l’a relayé l’agence Reuters. Une position qu’il a maintenue peu ou prou pendant toute la campagne électorale.

« Il l’avait déjà affirmé pendant sa précédente mandature : pour lui, le Brésil payera sa dette avec le soja », abonde l’eurodéputé Les Verts-ALE Claude Gruffat auprès d’EURACTIV France. L’écologiste admet que l’arrivée au pouvoir du socialiste risque d’accélérer le processus de ratification.

L’élu s’était rendu fin juillet dernier au Brésil avec ses collègues Michèle Rivasi et Anna Cavazzini pour dénoncer les effets dévastateurs de l’accord sur l’environnement et les droits humains.

Cet accord UE-Mercosur est souvent présenté comme un échange « voitures contre viande bovine ». L’UE exportera en effet ses voitures, mais aussi des vêtements et des médicaments vers le Brésil, lequel renverra aux Européens ses produits agricoles.

Selon la Commission, « les exportateurs de l’UE tireront profit de la réduction progressive des droits de douane qui permettra, à terme, aux entreprises européennes d’économiser plus de 4 milliards d’euros par an ».

Grandes retombées économiques

Si Lula met un point d’honneur à relancer le processus de négociation, c’est en raison des retombées économiques pour les pays du Mercosur — Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay.

« Le Brésil veut être à la hauteur des pays riches » déclare Claude Gruffat. « II [le Brésil] espère augmenter le niveau de vie des cadres moyens dans la société ».

« On ne peut pas les blâmer », ajoute Manon Aubry, coprésidente du groupe de la Gauche au Parlement européen, contactée par EURACTIV France.

« L’UE, en revanche, a la responsabilité d’impulser un nouveau modèle en tant que première puissance économique mondiale », assume-t-elle.

Près de 99 000 tonnes de viande bovines pourraient être exportées vers l’Europe, en raison de la baisse des tarifs douaniers. Les associations écologistes dénoncent un désastre environnemental et les éleveurs une concurrence déloyale.

En revanche, pour Maxime Combes, économiste et coordinateur du réseau Stop CETA-Mercosur, une réélection de Jaïr Bolsonaro laisserait les négociations au point mort : « s’il est élu, il voudra aller plus loin dans ses politiques favorables à l’agribusiness, qui provoqueront plus de déforestation ».

Dans ces conditions, M.Combes « ne voit pas comment la Commission pourrait avancer, compte tenu des prises de position des pays européens ».

La victoire de Lula serait donc une bonne nouvelle pour Bruxelles qui porte le projet depuis 20 ans. D’après Reuters, des émissaires auraient d’ailleurs approché le gouvernement brésilien cet été pour relancer les négociations.

Pour satisfaire les attentes environnementales des dirigeants européens, la Commission prévoit un protocole additionnel contenant des engagements environnementaux supplémentaires. Rien de contraignant néanmoins.

L’eurodéputée Renew Marie-Pierre Vedrenne rapporte à EURACTIV France que la Commission attendrait le résultat des élections brésiliennes pour faire connaître sa position.

Garanties sur l’industrie automobile

Mais pour Lula, ce protocole pourrait ne pas suffire. Selon M. Combes, le candidat « souhaiterait aussi des garanties sur les aspects industriels et la propriété intellectuelle ».

« On le sait peu mais Lula est sensible aux questions liées à l’industrie automobile et aéronautique. C’est lié à son histoire, ses engagements, ce n’est pas secondaire pour la gauche », ajoute l’économiste.

Un autre risque émerge pour l’UE. Alors que Bolsonaro a durci les relations avec la Chine, son rival socialiste pourrait rouvrir le dialogue.

Pour les défenseurs de l’accord, une ratification rapide éviterait ainsi de jeter le Brésil dans les bras de l’Empire du Milieu.

C’est en substance ce qu’a rappelé le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, appelant les États membres à accélérer le pas, avant que « d’autres acteurs n’interviennent ».

La France campe sur sa position

Si les deux parties se mettent d’accord, le texte doit encore être validé par tous les États membres.

Le processus de ratification pourrait donc prendre du temps, à l’image de l’accord avec le Canada (CETA) signé en 2016, et qui, malgré son application partielle, n’a toujours pas été ratifié.

Pour accélérer le processus, la Commission pourrait scinder en deux l’accord en isolant le volet commercial, compétence exclusive de l’UE, ce qui lui éviterait de passer par les parlements nationaux. Le texte serait validé uniquement par le Parlement européen et le Conseil de l’UE, à la majorité qualifiée.

Une hypothèse « antidémocratique » que des syndicats d’éleveurs – qui sont en première ligne – et des associations opposées au traité ont dénoncé récemment.

La manœuvre est néanmoins légale si la Commission dispose d’un accord à l’unanimité des États membres. Or, la France ne s’est toujours pas positionnée. Pour Manon Aubry, « le silence d’Emmanuel Macron sur cette procédure interroge », même s’il s’est précédemment prononcé contre le traité « en l’état ».

Accord suspendu aux élections

En attendant, la reprise des négociations est suspendue aux résultats des élections de ce week-end. Dans la perspective d’une victoire de Lula, la France changera-t-elle son fusil d’épaule ?

« Difficile de voir les lignes que nous défendrons à ce moment », s’interroge l’élue centriste Marie-Pierre Vedrenne.

De son côté, sa collègue de gauche Manon Aubry assure que « l’élection de Lula ne changera rien à la position de [son] groupe politique ».

Pour le Vert Claude Gruffat, un accord signé sous présidence Lula respectera davantage les droits des peuples autochtones malmenés sous Jaïr Bolsonaro.

La présidence espagnole de l’UE au deuxième semestre 2023 s’annonce également cruciale.

Avec le Portugal, l’Espagne voudra renforcer les ponts avec les pays du sud-américains du Mercosur, selon M. Combes. « Le moment sera alors opportun pour faire avancer l’accord ».

source : Euractiv

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