Accord UE-Mercosur : Première analyse de « l’instrument conjoint » proposé par Bruxelles
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AITEC | 5 avril 2023

Accord UE-Mercosur : Première analyse de « l’instrument conjoint » proposé par Bruxelles

Un tour de magie qui ne change rien à l’économie générale de l’accord UE-Mercosur

Synthèse : un tour de magie qui ne change (presque) rien

Introduction : manque de transparence

La version provisoire du document que la Commission européenne propose afin de ressusciter l’accord UE-Mercosur a fuité dans la presse le 22 mars (1). Intitulé « Instrument conjoint Accord UE-Mercosur », ce document, daté du mois de février, correspond visiblement à celui qui a été présenté, sous secret et sans aucune transparence, aux Etats-membres de l’UE courant février. A l’occasion de son déplacement à Buenos Aires début mars, le négociateur en chef de l’UE doit également en avoir présenté les grandes lignes aux négociateurs des pays du Mercosur. Ni les Parlementaires européens, ni les parlementaires nationaux ne disposent officiellement de ce document pourtant clef quant au futur de l’accord UE-Mercosur. Le gouvernement français n’a toujours pas publiquement réagi au contenu de cet instrument conjoint. Sans cette fuite, ce document serait toujours secret puisque la Commission européenne refuse de le rendre public, ainsi que le contenu des échanges en cours, retrouvant là les pires pratiques mises en œuvre lors des négociations du TAFTA avec les États-Unis (lire ici). Le document fuité n’est pas définitif puisqu’il est désormais soumis à négociation : plusieurs rounds sont prévus d’ici au sommet UE-CELAC des 17 et 18 juillet à Bruxelles (voir Encadré 1). A l’ambition très limitée, il soulève de nombreuses questions que nous essayons de rassembler dans ce document provisoire.

Rappel du contexte : ne pas rouvrir les négociations

La Commission européenne et plusieurs États-membres de l’UE souhaitent profiter de l’élection de Lula au Brésil pour ressusciter l’accord de libéralisation du commerce entre l’UE et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay). Depuis 2019, ce projet d’accord avait de fait été gelé en raison de la mobilisation de la société civile dénonçant les conséquences de l’accord tant sur le plan écologique et social, qu’en termes de violations des droits humains, ainsi qu’en raison de la situation politique au Brésil. A ce stade, la Commission européenne a exclu de rouvrir les négociations sur le contenu de l’accord. Elle espère pouvoir finaliser ce travail au premier semestre 2023 et ainsi ouvrir ainsi le processus de ratification. C’est aussi l’objectif que se donnent la Suède et l’Espagne qui vont successivement avoir la charge de la présidence de l’UE en 2023. Une inconnue porte sur la position que le Brésil et Lula vont réellement adopter : si Lula a indiqué qu’il souhaitait la réouverture des négociations sur le contenu d’un accord jugé déséquilibré au détriment de l’industrie brésilienne, d’autres échos laissent entendre que le Brésil pourrait s’accommoder d’une document annexé sans changement du contenu de l’accord. Selon des échos de presse, les pays du Mercosur perçoivent la position de la Commission européenne comme du « protectionnisme écologique », tandis que Brasilia souhaiterait que les marchés publics, que l’accord UE-Mercosur ouvre aux entreprises européennes, soient objet de négociations, et Buenos Aires, de son côté voudrait plus de garantie en termes de coopération (transferts financiers, etc).

Encadré 1 : Quel agenda des discussions ?

La Commission européenne n’ayant pas officiellement rendu public cet « instrument conjoint », il n’existe pas d’agenda officiel de négociations. Néanmoins, les échanges semblent s’accélérer autour des rendez-vous suivants :

  • 19 avril, 24 mai et 29 juin : trois rounds de négociations avec déplacement des négociateurs européens à Buenos Aires (l’Argentine préside le Mercosur) ;
  • 17-18 juillet : Sommet UE-CELAC (Communauté d’États latino-américains et caraïbes) au cours duquel la Commission européenne souhaiterait pouvoir annoncer des progrès, si ce n’est la finalisation des négociations ;

Portée et structure générale de l’instrument conjoint

Cet instrument conjoint ne modifie pas le contenu de l’accord UE-Mercosur lui-même, déclaré comme finalisé et « accordé en principe » en juin 2019. Il s’agit d’un texte visant à éclairer les intentions des parties prenantes à l’accord, ici les pays du Mercosur et l’Union européenne, qui n’altère pas le contenu du traité lui-même. Il donne du contexte, fournit des éléments additionnels pour l’interprétation en cas d’éventuels contentieux, mais ne change rien au traité lui-même. Ce texte ne crée aucune véritable obligation nouvelle, ni aucun nouveau mécanisme disposant d’une force exécutoire. Le seul objectif intermédiaire nouveau en matière de lutte contre la déforestation pourrait ne pas être maintenu. L’instrument conjoint ne crée pas non plus de disposition nouvelle qui permettrait de sanctionner les États qui ne respecteraient pas les intentions générales qu’il comprend : les dispositions du chapitre sur le commerce et le développement durable (CDD) ne pourront toujours pas être mobilisés pour justifier un différend entre les parties prenantes à l’accord.

En résumé, (presque) rien de nouveau pour résoudre les problèmes soulevés :

  • cet instrument conjoint se limite à proposer une interprétation d’une toute petite partie de l’Accord UE-Mercosur, à savoir le chapitre portant sur le CDD ainsi que moins systématiquement du chapitre « coopération » de l’accord ;
  • cet instrument conjoint ne répond pas aux nombreuses objections soulevées par la société civile et les experts critiques sur le contenu de l’accord ; y répondre aurait exigé au choix d’amender le traité, soit dans le texte lui-même, soit en incluant des réserves et des exceptions nouvelles dans le cadre du présent instrument conjoint ; ce n’est pas la voie qui a été choisie par la Commission européenne ;
  • cet instrument conjoint se limite à répéter ce qui figurait déjà dans l’accord, combiné aux engagements (climat, biodiversité, déforestation, droit du travail...) pris par les différentes parties prenantes dans d’autres instances, notamment onusiennes, sans que ces engagements-là ne puissent être mobilisés pour justifier de ne pas mettre en œuvre les dispositions commerciales prévues par l’accord : cet instrument conjoint fait comme si les engagements internationaux pris en matière de climat ou de biodiversité, souvent présentés dans un langage ambitieux, pouvaient être respectés malgré l’accroissement du commerce transatlantique – et donc de l’extraction – des ressources naturelles agricoles, minières, forestières ou énergétiques ;
  • cet instrument conjoint comporte un point aveugle, comme s’il y avait un éléphant dans la pièce : alors que l’accord UE-Mercosur soulève de nombreuses objections sur son volet agricole, tant sur le plan des augmentations prévues de quotas d’importation vers l’Europe que sur celui de l’exportation vers le Mercosur de produits phytosanitaires interdits en Europe, ou, plus généralement, sur les modèles agricoles eux-mêmes, cet instrument conjoint ne comporte aucune disposition nouvelle sur les enjeux agricoles ; il ne comprend même pas une lecture enjolivée, comme c’est le cas sur d’autres sujets, des dispositions prévues en matière agricole ; il ne comprend non plus aucune référence aux « clauses miroirs » que la France dit vouloir obtenir pour imposer les mêmes standards de production aux produits agricoles importés qu’à ceux produits sur le territoire européen ;
  • cet instrument conjoint ne transforme pas la nature du chapitre sur le CDD de l’accord UE-Mercosur ; celui-ci repose sur la bonne volonté des parties prenantes à l’accord, la coopération et le rappel d’engagements pris dans d’autres espaces internationaux : donner à ce chapitre une force exécutoire aurait supposé de créer de nouvelles obligations ainsi que de garantir que les Etats puissent être sanctionnés en cas de non respect de ces obligations, i.e que le chapitre sur le CDD et l’instrument conjoint relèvent du champ d’application des dispositions relatives au règlement des différends Etat-Etat ; rien ne garantit donc des politiques climatiques ambitieuses et une non-régression en matière de protection de l’environnement.

Clairement destiné à essayer de désarmer les critiques des citoyens, des parlementaires, des universitaires et des chercheurs, notamment en matière de climat, de déforestation et de déforestation, ce document n’apporte (presque) rien de nouveau qui permettrait de résoudre les problèmes soulevés. Dans un langage dépourvu d’impact juridique effectif, ce document n’aura donc pour effet que celui qu’ont les promesses et les incantations : renforcer la conviction de ceux qui les énoncent. Mais rien sur le fond : l’économie générale de l’accord reste totalement inchangée.

Conclusion : les règles commerciales toujours prioritaires

La Commission a déjà utilisé une stratégie similaire pour les accords avec la Colombie et le Pérou, ainsi qu’avec le Canada : face aux objections soulevées, présenter un document qui n’apporte rien de nouveau sur la substance mais qui vise à tenter de démonétiser les critiques, souvent acerbes, des opposants à l’accord. Fondamentalement, il s’agit de présenter un tour de magie et d’espérer que les pays du Mercosur et de l’UE, France comprise, l’achètent. Si la discussion publique s’établit sur la substance du document, chacun pourra alors constater qu’on n’y trouve rien qui transforme l’accord UE-MERCOSUR : celui-ci, qui a été négocié côté européen sur la base d’un mandat délivré en 1999, incarne toujours parfaitement les classiques politiques de libéralisation du commerce menées depuis plus de 30 ans qui sont aujourd’hui totalement obsolètes et toujours plus dangereuses pour notre avenir collectif. Là où il faudrait que les règles du commerce et de l’investissement soient revues et limitées au nom de l’impératif climatique et écologique, l’accord UE-Mercosur fait perdurer la logique inverse : les politiques climatiques sont acceptées à condition qu’elles ne contreviennent pas aux règles qui doivent augmenter le commerce international de biens et services dont les modes de production sont par ailleurs souvent insoutenables.

Encadré 2 : cet instrument conjoint est-il juridiquement contraignant ?

Savoir si un tel document est contraignant ou ne l’est pas n’est fondamentalement pas la bonne question. Une déclaration interprétative telle que celle-ci est du même niveau juridique que le traité lui-même. La Convention de Vienne sur l’interprétation des traités considère tout document conçu par l’une des parties et reconnue par les autres parties comme pertinents pour l’interprétation par un juge : il est donc formellement contraignant. Néanmoins, la portée juridique d’un tel document restera extrêmement limitée s’il ne comporte pas, comme c’est le cas ici, d’obligation nouvelle ou de mécanisme disposant d’une force exécutoire.

Lire l’analyse détaillée (pdf)

source : AITEC

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