En marge de l’OMC, les accords fleurissent

SIXTINE LÉON-DUFOUR.

Publié le 11 septembre 2006

LES ÉCONOMISTES ont coutume de comparer l’enchevêtrement des accords de libre-échange à une assiette de spaghettis.

Mais avec l’échec des négociations à l’OMC (Organisation mondiale du commerce) l’été dernier, on serait tenté de parler, désormais, de double ration... Car en décidant de « mettre au congélateur » cinq années de pourparlers autour de la libéralisation des échanges, Pascal Lamy, le directeur général de l’institution genevoise, a ravivé la tentation protectionniste de certains pays et son corollaire, la multiplication des accords bilatéraux.

Le phénomène n’est pas nouveau car la part des échanges effectués dans le cadre d’accords dits préférentiels avoisinerait les 40 %. Il a commencé dans les années 1990 avant de prendre un sérieux coup d’accélérateur après le fiasco de Cancun en 2003. Depuis cette date, une cinquantaine de nouveaux accords ont été enregistrés à l’OMC, ce qui porte leur montant total à près de 200 aujourd’hui. Et il devrait s’en signer une centaine de plus avant 2010.

Cela peut se comprendre. Las de l’embourbement dans lequel se trouve le multilatéralisme, les États essayent tout simplement de continuer à commercer en tentant d’obtenir l’accès à des marchés, de gré à gré. Mais pour certains, c’était la bonne excuse toute trouvée : l’OMC, c’est le cadre des concessions, les traités bilatéraux, c’est la voix du plus fort. Le raisonnement vaut particulièrement pour les États-Unis.

Irritée par les sanctions commerciales infligées par Genève ces trois dernières années, l’Administration Bush n’a jamais caché son peu de goût pour l’OMC, tout au plus « une ONU commerciale », une sorte de système multilatéral antiaméricain.

Encourager différemment la mondialisation

Néanmoins, après l’échec l’été dernier des négociations menées dans le cadre du cycle de Doha, Washington a manifesté son désir de « chercher une issue pour faire avancer les négociations internationales » tout en étant clair : « Nous continuerons de pousser la mondialisation par le biais d’importants accords régionaux et bilatéraux », expliquait le secrétaire américain au Trésor, Henry Paulson, en réponse au FMI et ses mises en garde contre les « tentations protectionnistes ».

Dans un passé récent, les États-Unis ont conclu des accords avec, pêle-mêle, Oman, le Pérou ou la Colombie qui viennent s’ajouter à une kyrielle d’autres comme le Maroc ou la Jordanie. D’autres négociations sont en cours avec la Corée du Sud, la Malaisie, Panama, la Thaïlande, les Émirats arabes unis...

À chaque fois, l’Amérique se débrouille pour que cela se fasse à son avantage. C’est ainsi par exemple que le Chili et Singapour, qui ont signé un accord avec Washington, « ont dû accepter de lever les quelques contrôles de capitaux dont ils disposaient pour laisser les banquiers et les investisseurs américains opérer à leur guise sur leur marché », écrit Christian Chavagneux, économiste dans Alternatives économiques.

Si Washington veut boucler un maximum d’accords bilatéraux, le plus rapidement possible, c’est qu’à la mi-2007 expire la Trade Promotion Authority qui accorde au président américain le pouvoir de négocier des accords commerciaux et de les soumettre ensuite au Congrès pour approbation sans que celui-ci puisse les amender.

Même l’Union européenne, pourtant très « légitimiste » quand il s’agit de défendre le multilatéralisme, change subrepticement de vision. Dans la mesure où d’autres sont en train « de mettre en place un plan B en négociant de tels accords, l’Union européenne ne doit pas rester à la traîne », suggérait cet été Christine Lagarde, ministre délégué au Commerce extérieur.

La loi de la jungle menace les échanges mondiaux

Quant aux pays asiatiques, ils devraient signer près de trois cents accords de grande ou de moindre envergure cette année ! Le Japon, qui n’avait jamais signé de traité bilatéral avant 2002, multiplie les négociations avec la Chine, l’Inde ou encore l’Australie. Le phénomène a pris assez d’ampleur pour que la Banque asiatique de développement y ait consacré un chapitre dans son rapport annuel au mois d’avril.

« Les pays de la région ne privilégient pas forcément le commerce intra-asiatique. En témoigne la Corée du Sud qui a signé un accord avec le Mexique. En fait, ils veulent commercer. Donc si cela coince à l’OMC, ils optent pour une autre solution », prévient Franck Harrigan, économiste à la BAD. Pour la banque, dont la mission première est de réduire la pauvreté en Asie, une telle tendance, si elle perdurait, profiterait aux pays les plus développés mais nuirait sans doute aux plus faibles économiquement « car cela coûte plus cher ».

Pour les pays africains, ce constat est particulièrement vrai. Ils auront plus de mal à négocier en tête en tête avec des puissances telles que les États-Unis, sans la « protection » de l’OMC. La multiplication des accords bilatéraux outre qu’elle remet en cause le multilatéralisme, et son semblant d’équilibre, risque d’ouvrir la voie à une véritable « loi de la jungle ».

source : Le Figaro

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