Les Philippines, dépotoir du Japon

Libération (Paris) | samedi 23 décembre 2006

Environnement. Des écologistes philippins dénoncent le nouveau partenariat économique qui permettrait à Tokyo d’exporter des matériaux toxiques dans leur pays.

Les Philippines, dépotoir du Japon

Par Michel TEMMAN

Tokyo de notre correspondant

Les Philippines, poubelle des déchets toxiques et autres rebuts dangereux en provenance du Japon ? L’accusation n’est pas nouvelle, mais elle empoisonne de nouveau, depuis deux mois, les relations entre les deux pays. Plusieurs organisations écologistes, dont Greenpeace à Manille ou encore les Youth Green Warriors («Jeunes Guerriers verts») philippins membres de la coalition verte Ecowaste, s’inquiètent du risque de voir le chapelet insulaire philippin devenir en douce une décharge de produits toxiques et illégaux made in Japan.

Le 8 novembre, des groupes écologistes philippins ont manifesté devant l’ambassade du Japon à Manille pour dénoncer l’Accord de partenariat économique Japon-Philippines (JPEPA) signé le 9 septembre par l’ex-Premier ministre japonais, Junichiro Koizumi, et la présidente philippine, Gloria Arroyo. Censé assouplir et favoriser l’import-export de 11 000 produits entre les deux pays, il ne fait plus l’unanimité côté philippin. Parmi la longue liste de produits que le Japon pourra dorénavant exporter plus facilement aux Philippines figureraient en effet des produits et matériaux nocifs ou d’autres présentant un niveau de toxicité dangereux pour la santé et l’environnement.

Mensonge. Les autorités japonaises assurent que non. Le 30 octobre, un communiqué de l’ambassade du Japon aux Philippines expliquait que, en la matière, «le gouvernement du Japon a établi un cadre légal fondé sur la convention de Bâle [ratifiée en 1989 par les Philippines et le Japon, ndlr] et mis en place un contrôle très strict en matière d’export de déchets toxiques ou dangereux vers un autre pays, Philippines incluses, dès lors que ce pays n’approuve pas l’export en question». De son côté, un porte-parole de la présidence philippine, soucieux de rassurer la population (l’une des plus pauvres en Asie du Sud-Est), a promis que «le gouvernement philippin n’autorisera jamais, en aucune circonstance, l’entrée de déchets toxiques sur le sol philippin».

Ces déclarations n’ont pas calmé les esprits. Bien au contraire. L’affaire pourrait d’autant plus s’envenimer que, entre Tokyo et Manille, le mensonge semble bien partagé. A en croire la presse philippine, une entente a bel et bien été conclue, secrètement, entre des responsables des deux pays. La preuve en est aujourd’hui apportée par plusieurs officiels philippins décidant de briser la loi du silence pour dénoncer «le business du déchet toxique».

L’un d’eux a parlé à la presse et révélé des détails gênants de l’accord de libre-échange nippo-philippin. D’autant plus «inégal» et «biaisé», selon lui, qu’il favoriserait les intérêts japonais.

Alors que les Philippines ont accepté d’éliminer leurs barrières tarifaires à l’import sur les produits nippons clés (automobile, équipements autos, électronique...), le Japon n’a pas fait de même sur les produits philippins clés à l’export, comme les fruits et jus de fruits, soumis dans l’archipel à une rude concurrence. Tokyo s’est toutefois engagé à «importer» ces prochaines années des milliers... d’infirmières philippines pour faire face au vieillissement de sa population. A l’inverse, l’accord de libre-échange est jugé «risqué», car il autoriserait, de façon déguisée, l’importation de matériaux illicites, qu’interdit la loi philippine sur l’environnement. «Le risque d’un contournement de la loi doit être pris au sérieux», s’inquiète une association philippine du réseau Ecowaste. «Un des types de produits inclus [dans l’accord de libre-échange, ndlr] est ce qu’on peut appeler des déchets toxiques dangereux», a reconnu le mois passé Peter Favila, le secrétaire d’Etat philippin au Commerce.

Flagrant délit. D’autres officiels admettent carrément que des importations de «déchets dangereux ont été offertes au Japon comme partie prenante de l’accord». Les gouvernements japonais et philippins ont de quoi être très embarrassés. L’affaire ne devrait d’ailleurs pas en rester là. Des ONG japonaises (comme Asia Waste Watch), européennes et américaines, ont décidé de s’emparer du dossier. Elles font pression sur les deux gouvernements pour qu’ils respectent à la lettre la convention de Bâle.

Par le passé, à plusieurs reprises, le Japon a été pris en flagrant délit d’exportation de déchets illégaux vers les Philippines. «Le Japon s’est débarrassé de déchets toxiques aux Philippines avant même la signature de l’accord de libre-échange», rappelle Greenpeace, à Manille, où personne n’oublie que, il y a six ans, les autorités nippones ont dû rapatrier par bateau, aux frais du contribuable japonais, 2 700 tonnes de déchets toxiques, ménagers et hospitaliers, exportés aux Philippines par la société nippone de retraitement de déchets Nisso. Les gouvernements nippon et philippin avaient alors conclu un mémorandum s’engageant à ce qu’une telle affaire ne se répète plus. Les accords, hélas, sont eux aussi recyclables... Willy Marbella, un officiel de la province de Cavite, aux Philippines, a alerté le mois dernier les médias de son pays en prétendant qu’un terrain de 84 hectares jouxtant une rivière et des champs y avait été préparé pour l’accueil de déchets «durs» importés du Japon. Il citait le gouverneur de la province, qui venait de lui affirmer que le terrain allait servir de décharge à des tonnes de «vieux appareils et produits électroniques en provenance du Japon...» A Manille, les Youth Green Warriors dénoncent ce nouveau «colonialisme du déchet».

source : Libération

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