Des partenariats économiques encombrants

CATDM

10 janvier 2007

Des partenariats économiques encombrants

par Claude Quémar

Pour comprendre les enjeux des Accords de partenariat économique (APE) entre l’Union européenne (UE) et les pays ACP (Afrique Caraïbe Pacifique), il faut resituer le contexte. Le cycle de Doha ‘pour le développement’ de l’organisation mondiale du commerce (OMC) est bloqué depuis plusieurs années. Les derniers sommets de l’OMC à Cancun et à Hong-Kong n’ont pas permis aux pays du Nord d’imposer la libéralisation totale du marché mondial.

Il reste donc à l’Union européenne, dans le cadre d’une concurrence internationale entre pays du Nord, à utiliser l’arme qu’est l’accord de Cotonou. Depuis une trentaine d’années, en effet, l’UE a mis sur pied des accords de libre-échange avec 75 pays (dont 39 pays moins avancés, PMA), anciennes colonies, qu’on appelle ACP (Afrique Caraïbe Pacifique). Après les conventions de Lomé, en 2000 l’accord de Cotonou recadrait ces relations commerciales mais maintenait un cadre de non-réciprocité.

Avec les conventions de Lomé, les pays ACP se voyaient octroyer un accès au marché de l’UE en pouvant maintenir des protections sur des produits-clés. L’accord de Cotonou maintenait un système préférentiel. Il s’agissait d’accords de libre-échange dont les effets ont déjà été largement déstructurants pour les économies du Sud, en particulier en privilégiant les productions d’exportation, notamment agricoles, dans le but pour les pays du Sud d’obtenir les devises nécessaires au paiement du service de la dette. La dépendance agricole vis-à-vis des exportations s’est accrue, à l’encontre de leur souveraineté alimentaire.

Le représentant mauricien à l’ONU, porte-parole des pays ACP, souligne ce bilan en disant que les pays ACP ont déjà beaucoup ouvert leurs marchés et leur situation économique et sociale s’est dégradée.

Les dispositions adoptées par l’OMC rendent impossible le maintien des accords UE/ACP existants. Ceux-ci sont, en effet, trop peu libéralisés. Un accord ne peut avoir lieu qu’avec tous les pays en voie de développement, éventuellement tous les PMA, pas uniquement les 75 pays, l’accord se passant à l’échelle régionale. L’OMC fait obligation aux deux régions concernées de libéraliser ‘dans un délai raisonnable’.

Le premier problème de fond qui apparaît est que ces accords ne font que renforcer le commerce inéquitable, en inondant les marchés du Sud de produits fortement subventionnés, cassant les productions locales. L’UE a ainsi dépensé 1,43 milliard d’euros en 2005 en subventions à l’exportation pour le lait et les produits laitiers. De plus, OMC oblige, ces accords incluent les services, la propriété intellectuelle, le respect des programmes d’ajustement structurel imposés par le FMI.

Tout d’abord, ces accords sont inéquitables de par la taille même des protagonistes. Les disparités économiques sont telles que le PNB de la zone Pacifique représente 0,07% du PNB de l’UE (1 400 fois moins !). Comment peser dans des négociations ?

41 % des exportations des ACP sont à destination de l’Europe, d’où une très forte dépendance, mais vu de l’autre côté, les pays ACP ne représentent que 3% des importations de l’UE. Oxfam donne une comparaison encore plus éclairante : ‘le montant des primes versées par les entreprises de la City de Londres à leurs dirigeants est ainsi plus élevée que ce que l’Europe dépense pour acheter des produits issus de l’ensemble des pays ACP’.

Pour les pays moins avancés, les APE ne représentent pas une amélioration de leurs relations commerciales avec les pays du Nord. Le programme ‘tout sauf les armes’ qui date de 2001 leur donnait déjà un accès sans droits de douanes pour la très grande majorité de leurs exportations vers l’UE. Mais les pays non PMA n’y gagneront rien, ils y perdront même du fait de l’intégration régionale.

Si on ajoute les mesures sanitaires et phytosanitaires qui s’ajoutent aux obstacles, le coût de la mise en place des mesures, on recherche les gains annoncés. Des droits de douane plus importants sont imposés sur les produits transformés, décourageant par là même les pays ACP de transformer leurs propres produits.

Certes, l’UE accepte d’ouvrir 100% de ses marchés, les règles de l’OMC étant d’une moyenne de 90% mais dans une situation tellement favorable que cela lui coûte peu, sur des produits qu’elle ne possède pas.

Selon Oxfam : ‘Les gouvernements ACP, eux, devront choisir entre maintenir les droits de douane sur les importations sources de recettes fiscales essentielles comme les voitures ou l’électronique, protéger des denrées de base telles que le maïs, mettre quelques industries existantes à l’abri de la concurrence européenne, ou maintenir leur capacité à soutenir le développement industriel futur du pays.’

Pour ce qui concerne l’Afrique subsaharienne, la Banque mondiale estime que les recettes douanières représentent en moyenne entre 7 et 10% des revenus fiscaux de l’Etat, 20% pour la Gambie et le Cap Vert. Les produits importés de l’UE représentant 40% des importations, c’est une chute située entre 10 et 20% de leurs recettes fiscales totales que ces pays subiraient, avec les conséquences sur leur budgets et donc leurs dépenses sociales. Pour le Congo, la perte de recettes douanières dues aux APE est estimée à la valeur des dépenses publiques de ce pays en matière d’éducation.

La Commission européenne en rajoute une couche en mettant comme condition à la signature des APE la mise en place de règles sur l’investissement incluant une réciprocité totale. La priorité pour l’UE ne réside pas, en effet, dans l’agriculture mais dans le domaine des services, où elle propose d’aller encore plus loin que l’AGCS.

Elle met en avant que les accords entraîneraient une hausse des investissements étrangers. La Banque mondiale, dans ses études, ne confirme pas ce pronostic. Les principaux facteurs décourageant les investisseurs en Afrique subsaharienne sont les préoccupations relatives à la stabilité politique, à la sécurité ou aux incertitudes concernant l’approvisionnement en électricité, plutôt que l’absence d’accords d’investissements contraignants.

Les APE s’opposent également à l’intégration régionale, c’est-à-dire à la mise en place de marchés régionaux ou sous-régionaux qui ne sont pas consolidés et qui présentent l’avantage de lier des pays de force économique et commerciale plus égale. Si les marchés régionaux sont ouverts aux importations européennes, cela va saper leur consolidation. Tout d’abord, tous les pays de la zone seront traités de manière identique. Ainsi, dans le Cariforum, Haïti serait traité comme les autres pays membres, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui au vu du délabrement de la société haïtienne. Oxfam à nouveau illustre le risque encouru : ‘Si le Kenya choisit de ne pas libéraliser la farine et maintient ses niveaux tarifaires sur ce produit mais que l’Ethiopie supprime tous ses droits sur la farine, les commerçants pourront contourner les restrictions établies par le Kenya en important depuis l’Ethiopie des biens bon marché (et potentiellement « bradés ») importés d’Europe.’

La présence conjointe de PMA et de non PMA dans les groupes de négociation pose également problème. Les PMA ont déjà accès aux marchés européens, les non PMA se verront appliquer les mêmes règles douanières.

Enfin l’UE refuse de renforcer son dispositif d’aide (FED, Fonds européens pour le développement) lors de la signature d’APE pour accompagner la mise en place de ces accords.

Au vu des conséquences de ces accords, permettant à l’UE de contourner les négociations de l’OMC dans l’impasse, on comprend les mobilisations des mouvements sociaux dans les pays concernés et les réserves émises par les gouvernements eux-mêmes. Les agriculteurs et producteurs seront soumis à une concurrence inégale, venue de producteurs fortement subventionnés.

L’intégration régionale, étape indispensable pour des politiques de développement au Sud, sera sévèrement affectée. Les gouvernements ACP se verront privés d’une part importante de leurs ressources et de leurs possibilités de mener des politiques publiques de développement.

Le refus des APE sera donc un thème central du prochain FSM de Nairobi, de par l’enjeu qu’ils représentent en Afrique. Les mobilisations sociales devront mettre en avant non pas seulement la nécessité de négocier de meilleurs accords mais la priorité donnée à la satisfaction des populations locales, la souveraineté alimentaire, des politiques régionales ou sous-régionales de développement intégré, avant de pouvoir négocier avec les pays du Nord. L’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui l’OMC doit permettre de renverser la vapeur, c’est la logique globale qui doit être refusée. Les prochaines campagnes électorales en France doivent nous permettre de rappeler notre refus de cette politique de l’UE, comme sur l’ensemble des relations Nord-Sud.

source : CADTM

Printed from: https://www.bilaterals.org/./?des-partenariats-economiques