Memorandum de la société civile contre les restrictions à l’accès aux génériques dans l’ALE US-Maroc

MEMORANDUM DE LA SOCIÉTÉ CIVILE CONTRE LES RESTRICTIONS À L’ACCÈS AUX GÉNÉRIQUES DANS L’ALE

L’ALCS invite toutes les composantes de la société civile au Maroc à se mobiliser et à signer un memorandum adressé au gouvernement pour sauver l’accès aux médicaments génériques, aujourd’hui sérieusement menacé par l’accord de libre échange que le Maroc est en train de négocier avec les Etats Unis.

MEMORANDUM

Alors que l’humanité commençait à jouir, depuis les années quatre vingt dix, des avantages induits des médicaments génériques, les multinationales pharmaceutiques, productrices des médicaments de marque, ont engagé un processus visant la limitation de la propagation de ces génériques, voire leur extermination pure et simple particulièrement à l’endroit des pays en développement.

Plus que tout autre pays du Nord, les États-Unis ont utilisé tous leurs moyens de pression sur les pays du Sud et particulièrement les plus pauvres, sur lesquels ils pouvaient le plus aisément exercer une certaine pression économique. Ainsi, l’accord sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC), un des accords multilatéraux négociés dans le cadre du cycle de l’Uruguay (1986-1994) a été le résultat d’une longue campagne essentiellement menée par les grands laboratoires pharmaceutiques américains et l’industrie informatique américaine, pour imposer le système des brevets aux pays en développement. En même temps le gouvernement américain s’active à négocier des accords bilatéraux et même régionaux qui renforcent la protection de la propriété intellectuelle dans les pays du Sud. Sous prétexte de veiller à la protection de la propriété intellectuelle par les États membres de l’OMC et par les gouvernements avec lesquels il a signé des accords commerciaux bilatéraux, les Etats-Unis d’Amérique exigent souvent un niveau de protection bien supérieur à celui exigé par l’ADPIC. En particulier, l’administration américaine a chargé le commissaire au commerce international de négocier dans le monde entier des accords de libre-échange comportant des clauses plus restrictives que celles de l’ADPIC. Depuis, les États-Unis ont négocié un accord avec Singapour, et ont entamé des pourparlers avec les 5 pays de la communauté économique d’Amérique centrale, les 5 pays de l’Union douanière d’Afrique australe, le Maroc et l’Australie. En même temps, de façon moins ouverte, le gouvernement américain s’emploie à introduire subrepticement des clauses "ADPIC-plus" dans la législation de pays africains. Le plus souvent, sous couvert d’assistance technique, le gouvernement américain et l’agence internationale chargée de conseiller les pays du Sud en matière de législation sur la propriété intellectuelle, l’OMPI, poussent à la rédaction de lois qui privent les pays du Sud du droit d’utiliser des génériques.

Paradoxalement, sous l’impulsion des compagnies d’assurances et surtout des Etats, de nombreuses initiatives sont prises par les Etats-Unis à la fois pour diminuer le coût des médicaments princeps mais aussi pour augmenter la vente des médicaments génériques sur leur propre territoire. C’est ainsi qu’un projet de texte prévoit de limiter les obstacles à la mise sur le marché des produits génériques. Ceux-ci bénéficient aujourd’hui cependant de ventes importantes en volume (42% du marché), même si elles sont faibles en valeur (moins de 10%). Pouvant profiter de la fin du monopole de nombreuses molécules vedettes dans les années qui viennent, ces médicaments génériques devraient ainsi se développer en gagnant d’une part, de nouvelles parts de marché et d’autre part de nouveaux clients si les parlementaires votent une couverture médicaments dans le cadre de Medicare, qui en toute logique devrait favoriser les génériques.

La même chose s’applique également aux pays européens et la plupart des pays de l’UE favorisent le développement d’un marché du médicament générique. La proposition de directive européenne pour un amendement de la législation relative aux produits pharmaceutiques (2001/83/EC) recherche dans ce cadre un délicat compromis entre les intérêts des fabricants de génériques et ceux des sociétés innovatrices.

Au Maroc, les dépenses en médicaments représentent une part très importante dans les dépenses de santé : 37%, comme dans la plupart des pays en développement, avec la caractéristique suivante : une part très importante des dépenses de médicaments (en officine) est effectuée par les ménages et une part assez faible par les assurances maladie : 88,6% par les ménages et 11,6% par les assurances maladie. La dépense totale en médicaments a connu une croissance modérée jusqu’en 1997 et elle est stable depuis (par habitant et à prix constant). Sur les dix dernières années, la croissance de la dépense a été probablement de l’ordre de 2 à 3% par an, chiffre à comparer avec une croissance de l’ordre de 10% par an dans les pays développés. La faible croissance des dépenses peut s’expliquer par la faible croissance du PIB et par la faible proportion (15%) de la population bénéficiant d’une assurance pour payer les dépenses en médicaments. Le montant des dépenses de médicaments est deux fois plus bas au Maroc que dans les pays comparables, alors que les prix ne sont pas deux fois plus bas. Dans le secteur public, 61 provinces et préfectures ont un total de 13 millions d’habitants ruraux et un budget pour les médicaments de 25 millions de dirhams, soit environ 1,92 dh/habitant/an (0,17 $/habitant/an) alors que l’OMS estime qu’un montant de 1,50-2,00$/habitant/an est nécessaire pour offrir des médicaments et consommables essentiels inclus dans les services de santé de base. Pour réduire les inégalités d’accès aux services de santé de base pour la population rurale, un budget pour les médicaments compris entre 216 et 288 millions de dirhams devrait être mobilisé chaque année. L’insuffisance des budgets hospitaliers pour ce qui concerne les médicaments est connue. Durant les quatre dernières années, l’Etat a augmenté le budget total de 55 millions de dirhams à 86 millions. Cela signifie que le budget médicament représente 20 à 25% du total du budget des hôpitaux, sans que cela soit encore suffisant. L’accès de la population aux médicaments est très inégal selon le milieu urbain ou rural et selon le niveau de revenu. En 1997-1998, les achats de médicaments se montent en moyenne à 209 dh par habitant, contre 168 dh en 1990-1991. Les citadins dépensent environ deux fois et demi plus que les ruraux et cet écart s’est accru pendant les années 1990. L’écart est du à la fois à des différences d’accessibilité (proximité de la pharmacie) et des différences de revenu. Les différences de dépense par habitant selon le revenu sont très importantes : en 1997-98, les 20% de la population les plus riches dépensent 541 dh par habitant, soit 13,6 fois plus que les 20% les plus pauvres (40dh). Dans les années 90, cette différence s’est creusée, l’écart n’était plus que de 5,7 fois en 1990-91. cela est du à ce que les dépenses des 20% des plus riches se sont accrus de près des deux tiers, alors que celles des plus pauvres a baissé de plus d’un tiers, tant en ville qu’en milieu rural.

L’absence jusqu’en 2000 de législation sur les brevets a permis au Maroc l’introduction sur le marché de nouvelles variétés de médicaments dont le prix s’avère plus accessible à la population et qui ont certainement contribué à l’amélioration relative des indicateurs. Et, si la consommation privée des produits génériques reste timide, en l’absence de mesures d’incitation, le secteur public a profité de la mise sur le marché de produits génériques en augmentant substantiellement les volumes de médicaments achetés avec un budget constant. Globalement, on estime à 266 millions de dirhams les économies faites en 1999 grâce au recours aux produits, soit 5% des dépenses totales en médicaments.

Par ailleurs, le Maroc dispose d’un laboratoire de contrôle de qualité de haut niveau qui l’assure contre tout dérapage. Le LNCM a constamment élargi ses activités au cours des six dernières années et a engagé un processus pour être aux normes ISO. Il est une référence pour la Ligue Arabe, membre d’un réseau d’enseignement du Conseil de l’Europe et observateur à la Commission Européenne de la Pharmacopée.

D’un autre côté, comparé à la Tunisie ou à l’Algérie, le Maroc a une importante industrie pharmaceutique dont certaines sont productives de génériques et se place en deuxième position sur le plan africain, juste derrière l’Afrique du sud. L’industrie pharmaceutique marocaine fait un chiffre d’affaires global de plus de 4 milliards de dh alors que les investissements réguliers ont dépassé les 1,2 milliards de dirhams entre 1995 et 2000. Toutefois, cette industrie semble aujourd’hui préoccupée par son niveau élevé d’investissement comparé à la stagnation de la croissance du marché et du pouvoir d’achat et dans un contexte incertain à cause des négociations menées particulièrement avec les Etats-Unis. Le taux de la couverture des besoins nationaux en médicaments habituellement cité est celui de 80%, ce qui est très élevé. Mais en 2000, cette part a été seulement de 72,2%.

Confronté aux enjeux du développement et à l’orée de réformes visant la mise à niveau sectorielle susceptible d’enclencher le processus où la santé doit jouer un rôle de catalyseur de la productivité, le Maroc est appelé à adapter sa législature, qualifiée d’obsolète et reconnue comme telle, à ces enjeux.

Disposant de firmes nationales qui produisent et commercialisent des médicaments génériques pouvant offrir des prix moins cher que l’original de 10 à 80% et une série de brevets importants arrivant à échéance, dans les mois à venir, le Maroc justifie d’avantages substantiels et d’acquis certains pour élaborer une politique du médicament qui puisse favoriser l’accès de la population aux médicaments.

Dans un tel exercice, bien entendu, on ne peut faire abstraction des engagements internationaux du Maroc, en particulier ceux pris dans le cadre de l’OMC. Etant admise la « protection d’une durée de 20 ans accordée pour toutes les inventions, qu’elles se rapportent à un produit ou à un procédé, dans presque tous les domaines technologiques », l’accord sur les ADPIC prévoit toutefois qu’un pays peut prendre une licence obligatoire, c’est-à-dire, sans l’autorisation du détenteur du brevet, pour faire fabriquer par un industriel le produit dont il a besoin dans deux cas : soit l’échec de négociations avec le détenteur de brevets, soit en cas d’urgence nationale ou autre situation d’extrême urgence. La 4ème Conférence ministérielle de Doha est allée encore plus loin en affirmant "que l’ADPIC peut et devrait être interprété et mis en oeuvre d’une façon favorable au droit des États membres de protéger la santé publique et en particulier de promouvoir l’accès de tous aux médicaments". C’est dire si un pays comme le Maroc dispose de marges de manœuvre pour ne pas pénaliser sa politique nationale du médicament et pour mettre à profit les interstices que l’accord sur les ADPIC lui ménage.

Compte tenu de ce qui précède et à la lumière des données ainsi exposées, les Associations soussignées exhortent le gouvernement à manifester l’intérêt qu’il porte au secteur de la santé et au bien être des marocains de manière générale en se dressant contre toute tentative qui viserait l’introduction de dispositions juridiques et réglementaires susceptibles de réduire les capacités de l’industrie pharmaceutique nationale à produire des médicaments génériques et, par voie de conséquence, d’empêcher les marocains d’avoir accès aux médicaments.

Les Associations soussignées saisissent cette occasion pour exprimer leur rejet catégorique de l’accord d’étape auquel seraient parvenu les négociateurs marocains avec leurs homologues américains lors du dernier round de négociations dans le cadre de l’accord de la ZLE et le considèrent préjudiciable aux intérêts nationaux.

Les Associations soussignées appellent le gouvernement à impliquer les intervenants dans le domaine de la santé, représentants des malades et des industriels nationaux, lors de ces négociations afin de s’entourer de toutes les assurances nécessaires pour la sauvegarde des intérêts nationaux en la matière.

De manière plus générale, les Associations soussignées invitent le gouvernement à organiser un débat national sur les problèmes de la santé au Maroc en tant que préalable à la définition d’une politique nationale de la santé au niveau des ambitions du pays.


Liste des signataires
fin janvier 2004

 AFAK Civisme et développement
 Alliance Nationale de Santé Libérale
 Association « Sanad Ibn Rochd »
 Association de Lutte Contre les Maladies Infectieuses
 Association de soutien aux malades du sang (AGIR)
 Association de soutien des personnes atteintes de maladies dermatologiques (GILDI)
 Association des Critiques de Cinéma
 Association des enseignants du CHU Ibn Rochd
 Association des Ingénieurs du Secteur Agricole de l’Oriental
 Association Marocaine de Lutte Contre le Sida (ALCS)
 Association Marocaine de Prévention de l’Education pour la Santé
 Association Marocaine de Solidarité et de Développement (AMSED)
 Association marocaine des Arts Plastiques
 Association Marocaine des Droits Humains
 Association Marocaine des Professionnels de la Radio et Télévision
 Association Marocaine des sciences infirmières et techniques sanitaires
 Association Marocaine pour l’Appui au développement Local(AMAL)
 Association Marocaine pour une Vie Meilleure
 Association Mouvement TWIZA
 Association Nationale des Producteurs de la Radio et Télévision
 Association pour la Sauvegarde du patrimoine architectural de Casablanca (Casamémoire)
 Association Solidarité et Développement Maroc (SDM)
 ATTAC Maroc
 ATTOUFOULA ACHAABIA
 Centre National de Transfusion Sanguine
 Chambre Marocaine des Producteurs de Films
 Club de la Presse
 Collectif Démocratie et Modernité
 Espace Associatif
 Fondation Zakoura
 Forum de Citoyenneté
 Ligue Casablancaise pour la Santé Mentale
 Organisation Marocaine des droits Humains
 Programme Concerté Maroc
 Réseau Amazigh pour la citoyenneté
 Réseau Associatif pour le Développement de l’Oriental (RADO)
 Société Marocaine d’Allergologie et d’Immunologie Clinique (SMAIC)
 Société Marocaine d’Anesthésie et de Réanimation (SMAR)
 Société Marocaine d’HTA
 Société Marocaine d’Ophtalmologie
 Société Marocaine de Cardiologie
 Société Marocaine de Chimiothérapie
 Société Marocaine de Dermatologie Pédiatrique
 Société Marocaine des Sciences Médicales
 SOS Tuberculose
 Syndicat de la Santé FDT
 Syndicat de la Santé UGTM
 Syndicat Indépendants des Musiciens Marocains
 Syndicat National de la Presse
 Syndicat National de la Presse Marocaine Section Casablanca
 Syndicat National de la Santé Public CDT
 Syndicat National des Arts Plastiques
 Syndicat National des Médecins du Secteur Libéral
 Syndicat National des Professionnels du Théâtre
 Syndicat UMT du Secteur Agricole
 Union des Ecrivains Marocains

source :

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