J. Stiglitz met en garde le Maroc contre un accord de libre échange mal négocié

J. STIGLITZ, prix Nobel d’économie, met en garde le Maroc contre un accord de libre échange mal négocié

Actuellement en visite dans le royaume pour une série de conférences, Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’économie s’est exprimé sur l’accord de libre échange actuellement en négociation entre le Maroc et les Etats Unis.

L’économiste a préconisé aux pays qui sont engagés dans des négociations de prendre le temps nécessaire pour bien étudier les accords et mener la négociation. En général, les raisons pour garder le secret sur un texte d’accord se révèlent par la suite toujours reposer sur le fait que ce texte contient des éléments problématiques et fâcheux. C’est pourquoi il semble indispensable que les textes des accords soient rendus publics afin que les experts dans les différents domaines de compétences concernés (et y compris les experts de la société civile) puissent apporter leur contribution à l’étude des textes d’accord et des propositions.


Compte rendu de la conférence de J. E. Stiglitz le 17 février 2004 à Casablanca

Joseph Stiglitz a donné lundi 17 février 2004 une conférence à l’hotel Hyatt Regency de Casablanca à propos de son livre « La grande désillusion » à l’invitation du journal « La vie éco ». Le prix Nobel d’économie, ancien conseiller de Bill Clinton et ancien vice-président de la Banque mondial - d’où il a démissionné en novembre 1999 - intervenait au sujet de la mondialisation, des échecs auxquels ont conduit les politiques menées ces dernières décennies et des répercussions particulièrement dommageables qui s’en sont suivies dans les pays pauvres.

Il a notamment insisté sur le fait que les réformes qui peuvent ou doivent être entreprises ne peuvent se faire du jour au lendemain, mais doivent s’étendre raisonnablement sur des décennies. Il a également fait remarqué que si les réglementations internationales imposées à tous les pays du monde peuvent entraîné un transfert de risques dans les pays pauvres, en revanche les dégâts qui en découlent ne sont eux jamais transférés dans les pays riches.

A l’occasion de la conférence Joseph Stiglitz a été interrogé par de nombreux participants sur la question de l’accord de libre échange entre les Etats-Unis et le Maroc qui est actuellement en fin de négociation, mais comme le faisait remarquer le chairman de la conférence n’est pour le moment pas encore signé.

Concernant les accords de libre échange avec les Etats-Unis en général, Joseph Stiglitz a donné de nombreux exemples au sujet des accords signés avec le Mexique et le Chili. L’expérience dans ces deux cas permet en effet de montrer que d’une façon générale les accords sont bénéfiques aux Etats-Unis sur les sujets sur lesquels ils insistent pour qu’ils soient inclus dans les négociations. En revanche sur certains domaines qui importent pour les pays pauvres les effets qui suivent les accords sont souvent décevants voir négatifs.

Globalement, on est très loin des effets bénéfiques attendus pour le Mexique qui se retrouve en revanche totalement dépendant de l’économie américaine. Il est encore difficile de faire une évaluation précise de l’effet de l’accord signé par le Chili puisque la signature est récente, mais certains signes sont d’ores et déjà assez pessimistes.

A propos du Mexique en dépit des perspectives d’exportation sur le marché américain, les études montrent que les importations après la signature des accords ont chuté (l’étude portait sur une période de 10 ans).

Dans le domaine de la Banque les conséquences de l’accord on également été assez négatives. Aujourd’hui il ne reste plus qu’une banque mexicaine dans le pays. Or, et c’est un des problèmes, les banques étrangères sont plus réticentes à financer les petites ou moyennes entreprises mexicaines qu’elles ne sont prêtes à soutenir les multinationales étrangères.

A propos de l’emploi, de nombreux emplois ont disparu après la signature de l’accord. Dans certains domaines des emplois ont été créés immédiatement après l’accord mais au bout de quelques années ils ont également disparus, et on a vu les licenciements se multiplier.

Joseph Stiglitz a beaucoup insisté sur la nécessité de transparence lors des négociations. Les positions américaines sont très souvent le reflet d’intérêts particuliers (il a notamment cité l’exemple des compagnies pharmaceutiques).

Dans les pays en développement, les positions des négociateurs doivent aussi pouvoir être le reflet d’intérêt particulier ou généraux.

Ceci est d’autant plus nécessaire que les accords sont en général constitués de centaines de pages de textes juridiques dans lesquels chaque mot ou chaque note compte. Il a donné des exemples à propos des accords du Chili et du Mexique où de petites notes qui sont passées inaperçues se sont par la suite traduites par de très importantes conséquences pour les pays.

Il est donc essentiel que les experts dans les différents domaines de compétences concernés (et y compris les experts de la société civile) puissent apporter leur contribution à l’étude des textes d’accord et des propositions.

C’est pourquoi il semble indispensable que les textes des accords soient rendus publics. Il a d’ailleurs remarqué qu’en général les raisons pour garder le secret sur un texte d’accord se révèlent par la suite toujours reposer sur le fait que ce texte contient des éléments problématiques et fâcheux.

Joseph Stiglitz a également préconisé aux pays qui sont engagés dans des négociations de prendre le temps nécessaire pour bien étudier les accords et mener la négociation.

L’agenda des pays en développement et celui des Etats-Unis n’est souvent pas le même et les pays doivent s’en tenir à leur agenda dans leur intérêt.

Dans le cas actuel, pour le Maroc, il a également souligné le fait que les Etats-Unis allait bientôt élire leur futur président. Or les positions défendues par les Républicains et les Démocrates ne sont pas les mêmes en matière de libre échange. Si le candidat Démocrate est élu à la Maison Blanche en Novembre prochain les conditions de négociation seront alors très différentes pour le Maroc. Ceci milite en faveur d’un report de la signature de l’accord.

Concernant, la santé et l’accès aux médicaments, Joseph Stiglitz a insisté sur le fait qu’il s’agit d’un domaine dans lequel les pays en développement ne devraient pas être amenés à faire de concessions.

Reprenant la chronologie des évènements, il a rappelé que les négociations de l’accord ADPIC sur la propriété intellectuelle de l’OMC, qui ont été ratifiées fin 1994 à l’issue de l’Uruguay round, avaient été menées sous la pression des multinationales pharmaceutiques. Lui même et d’autres étaient alors opposés à l’inclusion de cet aspect dans les accords de l’OMC. Ils n’ont malheureusement pas été entendus à l’époque. Par la suite, les effets négatifs de ces dispositions sur la propriété intellectuelle ont été démontrés par plusieurs institutions internationales (FMI, Banque mondiale notamment). Ceci a conduit l’OMC à réaffirmer et élargir à Doha en 2001 certaines flexibilités prévues par les accords de l’OMC de façon à ce que les pays pauvres ne soient pas pénalisés en matière d’accès aux médicaments et puissent bénéficier de génériques. Ces progrès ont été insuffisants mais sont cependant importants. Si ces avancées sont maintenant remises en question par des accords de libre échange cela sera très dommageable aux pays pauvres.

Joseph Stiglitz a noté au passage que les compagnies pharmaceutiques ne faisaient pas leurs bénéfices dans les pays pauvres mais de façon quasi exclusive sur les marchés riches (le marché américain représente 44% du marché mondial des médicaments). Ainsi le fait que les pays pauvres aient recours à des génériques ne grève pas de façon notable leurs profits puisque de toute façon la majorité des populations ne peuvent acheter des médicaments chers (0 multiplié par x millions est toujours égale à 0).

A la question « un pays a-t-il le choix face à un accord de libre échange » il a répondu qu’on avait toujours le choix et que les pays, quand bien même il existe une très importante disparité économique entre eux et les Etats-Unis, ont toujours la possibilité de négocier et de refuser certaines dispositions.

Pour Joseph Stiglitz des règles commerciales internationales sont nécessaires mais elles doivent être équitables.

L’idéologie qui sous tendaient les positions des institutions internationales a souvent conduit leurs représentants à pousser des mesures et des réglementations qui ne servaient que les intérêts des pays les plus riches.

Les accords de libre échange imposent des règlementations qui sont plus sévères et plus restrictives que les standards internationaux de l’OMC, par exemple, ce qui est souvent problématique. En outre, dans le cadre de ce type de négociation les rapports de force sont encore plus déséquilibrés. D’où la nécessité pour les pays en développement d’agir avec prudence.

source :

Printed from: https://www.bilaterals.org/./?j-stiglitz-met-en-garde-le-maroc