L’opposition des Africains aux APE dérange

Inter Press Service (Johannesburg) | 15 Juin 2007

L’opposition des Africains aux APE dérange

By David Cronin

Quand des activistes européens estiment qu’un accord de libre-échange ferait du tort aux pauvres, ils rencontrent comme d’habitude une réaction froide de la part des fonctionnaires à Bruxelles. Toutefois, personne ne tente de les bâillonner.

Par contre, quand un analyste économique namibien a insinué que l’Union européenne (UE) essayait de forcer les gouvernements d’Afrique australe à signer un Accord de partenariat économique (APE) avant qu’ils n’aient la possibilité d’analyser ses conséquences, il s’est vu licencié.

Wallie Roux, un chercheur qui fait des études de marché pour l’entreprise de viande namibienne Meatco, s’est élevé contre les APE dans un discours adressé à l’Institut de ressources humaines et de recherche (Labour Resource and Research Institute) en avril quand il a déclaré que l’UE était en train d’entrer dans le Livre de Guinness des records pour l’accord commercial le plus rapidement négocié de l’histoire.

Ses remarques ont été rapportées dans le journal namibien ’New Era’ du 18 avril. Meatco a répondu à sa déclaration en le suspendant le 11 mai.

Cet état de choses a conduit à des allégations selon lesquelles les responsables de la Commission européenne, l’organe exécutif de l’UE, ont fait pression pour obtenir sa suspension. Toutefois, Elisabeth Pape, responsable du bureau de la Commission européenne en Namibie, a déclaré que c’est "totalement faux" que quelqu’un de son personnel se soit plaint des remarques de Roux.

Son personnel croyait, a-t-elle confié à IPS, que "M. Roux devrait être en mesure d’écrire quelle que soit son opinion", mais qu’elle a compris qu’il a manqué à une exigence de Meatco qui veut qu’il soumette tout commentaire qu’il a envie de faire publiquement à la hiérarchie de la société pour approbation préalable. "Ceci est un problème entre M. Roux et son employeur", a-t-elle ajouté.

Quelle que soit la vérité, il apparaît clairement que Roux a touché un point sensible.

L’UE a officiellement lancé des négociations avec les pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) en juillet 2004; pourtant, des observateurs disent que les participants à ces discussions ne s’occupent des questions de fond réelles que maintenant. D’une manière confuse, l’UE cherche à parvenir à un accord de libre-échange séparé avec un regroupement régional se décrivant comme Afrique de l’est et Afrique australe, spécialement comme certains de ces pays appartiennent à la fois aux deux sous-régions.

En mars de cette année, la commission a exposé les critères de l’APE qu’elle veut que les huit pays de la SADC — Angola, Botswana, Lesotho, Mozambique, Namibie, Swaziland, Tanzanie et Afrique du Sud — signent d’ici à la fin de cette année. Le Malawi, un membre de la SADC, a choisi d’unir sa destinée avec celle du groupe commercial de l’Afrique de l’est et de l’Afrique australe — COMESA.

La publication de la commission est venue comme une réponse à la demande d’information venant du regroupement de la SADC, formulée 11 mois plus tôt.

Roux a exhorté les gouvernements de la SADC à ne pas céder aux exigences de signer un APE hâtivement. "Si vous êtes assez imprudents pour vous précipiter pour un délai sans voir le contenu de l’accord, alors vous hypothéquez votre avenir", a-t-il écrit.

De son côté, l’UE dit qu’un APE doit être signé cette année pour faciliter les discussions à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Une dérogation aux règles de l’OMC a été accordée aux préférences actuelles sur des exportations africaines vers l’UE, mais cette dérogation va expirer le 1er janvier 2008.

Le gouvernement namibien est particulièrement préoccupé par ce qui adviendrait si l’UE décidait d’imposer des taxes sur ses exportations, en l’absence d’un APE.

La Namibie risque de perdre 45 millions d’euros (60 millions de dollars) si un terme est mis à ses préférences commerciales. Ces préférences l’autorisent, par exemple, à exporter 13.000 tonnes de viande de boeuf hors taxes vers l’UE chaque année et à vendre assez de raisin pour soutenir les moyens de subsistance de 16.000 personnes.

La somme de 45 millions d’euros fait quatre fois plus que le montant de l’aide au développement que la Namibie reçoit de l’union.

"La menace d’imposer des taxes est en train d’être subtilement proférée, mais pas si subtilement du côté de lUE", a confié à IPS, Herbert Jauch de l’Institut de ressources humaines et de recherche, à Windhoek, la capitale namibienne. "Sur la possibilité de parvenir à un accord équitable, cette situation est en train de créer une mauvaise atmosphère".

De même qu’en recherchant la libéralisation sur la majeure partie du commerce entre l’Afrique australe et l’UE, Bruxelles est en train de préconiser qu’un APE devrait couvrir des questions telles que l’investissement, la compétition, l’approvisionnement public et la propriété intellectuelle.

En privé, de grandes figures du gouvernement sud-africain se demandent pourquoi l’UE est en train d’insister pour que le commerce de biens et de services puisse commencer. Certains soulèvent des inquiétudes selon lesquelles l’union essaie de s’assurer que les entreprises européennes pourront prendre pied dans les sociétés de télécommunications et d’électricité, actuellement aux mains de l’Etat.

Ils s’inquiètent également du fait qu’elle anéantirait les efforts visant à sortir du legs de l’apartheid en développant des projets chargés de promouvoir des entrepreneurs noirs. Conformément aux règles de compétition favorisées par l’UE, un traitement égal aux hommes d’affaires locaux et étrangers serait obligatoire, même si ces derniers sont plus riches.

L’Afrique du Sud a déjà signé un accord de libre-échange avec l’UE. Il a été conclu en 1999 après des négociations s’étendant sur plus de quatre années, et il demandait à l’Afrique du Sud de libéraliser jusqu’à 86 pour cent de son commerce.

L’Action pour l’Afrique australe (ACTSA), une organisation basée à Londres, s’est plainte de ce que le libre-échange a des conséquences fâcheuses sur les droits des travailleurs. Les emplois dans les fabriques de chaussures de l’Afrique du Sud, qui étaient autrefois considérés comme permanents, sont devenus temporaires depuis que son gouvernement a introduit des politiques de libre-échange contre lesquelles l’organisation se bat.

"Il est probable qu’il y aura de pertes d’emplois massives et une détérioration dans les conditions de travail si un APE est signé", a affirmé Ruth Dearnley, directrice de campagne de l’ACTSA. "Cet accord permettrait à l’UE de monopoliser les marchés des pays dont les industries ne pourraient en aucun cas rivaliser les siennes".

Paul Goodison de l’Office de recherche européen, lequel surveille le commerce entre l’UE et l’Afrique, soupçonne que l’UE est en train de créer un précédent en se frayant le chemin d’une libéralisation de grande portée du secteur des services dans les pays de la SADC. Une fois ceci conclu, elle serait alors en mesure de chercher des dispositions similaires dans des accords avec des pays qui offrent plus de possibilités aux entreprises européennes.

En avril, l’UE a décidé de lancer des discussions commerciales avec l’Inde, la Corée du Sud, l’Asie du sud-est, l’Amérique centrale et la Communauté andine. La commission a prédit que, s’ils sont conclus avec succès, les accords qui en résulteront pourraient générer un excédent de 40 milliards d’euros (54 milliards de dollars) à l’union chaque année.

"L’approche intransigeante de l’UE dans ce domaine concerne très peu l’Afrique", a déclaré Goodison à IPS. "Leur pensée est que s’ils peuvent avoir des pays africains, dont beaucoup sont les moins développés, pour s’inscrire en faveur d’une libéralisation des biens et des services, l’Inde n’aura plus de raison d’y dire ’non’. L’UE a le marché commercial le plus large de biens et de services sur son écran radar".

source : AllAfrica.com

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