La Déclaration de Namur
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Déclaration de Namur | 5 décembre 2016
La Déclaration de Namur
Les vifs débats suscités en Europe par la signature du CETA/AECG (Comprehensive Economic and Trade Agreement / Accord économique et commercial global) ont révélé que la manière dont l’Union européenne négocie les traités commerciaux internationaux, et le contenu de ceux-ci, sont contestés par des pans toujours plus larges des opinions publiques.
Les propositions formulées dans cette Déclaration visent à répondre à ces légitimes inquiétudes. Inspirées par les valeurs de solidarité, de démocratie et de progrès qui fondent l’Union européenne, ces propositions doivent, selon ses signataires, devenir la référence de toute négociation d’un traité économique et commercial auquel l’Union européenne et ses Etats membres sont parties prenantes. Ces avancées sont amenées à faire l’objet de développements ultérieurs, à la lumière des débats qu’elles pourront susciter.
Ceci implique que l’Union européenne n’est pas en mesure aujourd’hui de négocier un accord équilibré avec les Etats-Unis compte tenu de l’asymétrie des partenaires, notamment pour ce qui est du degré d’achèvement de leurs marchés intérieurs respectifs, et des problèmes d’extraterritorialité de la législation américaine non résolus.
Ceci implique aussi que l’UE devra rechercher de bonne foi, avec ses partenaires déjà engagés dans une négociation, des modalités permettant d’assurer la bonne fin des accords déjà bien avancés, a fortiori déjà signés, dans l’esprit de la présente Déclaration.
1. Respect des procédures démocratiques
Afin de garantir que les méthodes européennes de négociation des traités commerciaux respectent les demandes légitimes de transparence exprimées par la société civile, et les procédures démocratiques de contrôle parlementaire, il convient de
- mener des analyses contradictoires et publiques des effets potentiels d’un nouveau traité avant d’établir un mandat de négociation, afin d’assurer qu’il contribuera au développement soutenable, à la réduction de la pauvreté et des inégalités, et à la lutte contre le réchauffement climatique ;
- soumettre les mandats de négociation à un débat parlementaire préalable, dans les assemblées nationales et européenne (et les assemblées régionales dotées de pouvoirs équivalents) pour ce qui concerne les traités mixtes, en y associant le plus largement possible les représentants de la société civile ;
- rendre publics les résultats intermédiaires des négociations en temps utile et de manière accessible, afin que la société civile puisse en prendre pleinement connaissance et qu’un débat parlementaire puisse être mené avant la clôture des négociations ;
- ne pas privilégier la méthode de « l’application provisoire », afin de conserver aux parlements leur plein et entier pouvoir de contrôle dans le cadre de la procédure d’assentiment des traités mixtes ;
2. Respect des législations socio-économiques, sanitaires et environnementales
Afin de garantir que les traités commerciaux dits « de nouvelle génération » ne puissent en aucune manière affaiblir les législations qui protègent le modèle socioéconomique, sanitaire et environnemental de l’Union européenne et de ses Etats membres, et qu’ils contribuent au développement soutenable, à la réduction de la pauvreté et des inégalités, et à la lutte contre le réchauffement climatique, il convient de
- faire de la ratification des principaux instruments de défense des droits de l’homme, des conventions essentielles de l’OIT, des recommandations issues du projet BEPS (érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices) et des Accords de Paris sur le climat, des obligations pour les parties ;
- inclure dans de tels traités des exigences chiffrées en matière fiscale et climatique, comme par exemple des taux minimaux d’imposition des profits des sociétés et des cibles vérifiables de réduction des gaz à effets de serre;
- exclure intégralement les services publics et les services d’intérêt général, tels que définis dans les législations respectives des Parties, du champ d’application de tels traités ;
- exclure la méthode des « listes négatives » pour établir le champ des activités ouvert à la concurrence, et prévoir systématiquement des clauses permettant aux Parties de reprendre la propriété publique d’un secteur sans autre condition que celles imposées par la législation nationale ;
- prévoir des clauses de standstill qui empêchent les Parties de réduire leurs normes sociales, sanitaires et environnementales pour favoriser les exportations ou attirer les investissements, assortir ces clauses de mécanismes de sanction, et assurer que la mise en conformité des Parties avec leurs obligations en vertu de ces clauses ne pourra en aucun cas fonder une demande d’indemnisation dans le chef des investisseurs ou autres opérateurs économiques privés ;
- inclure des mécanismes de coopération loyale et effective, notamment pour ce qui est des échanges d’informations, en ce qui concerne la fiscalité des multinationales et des sociétés offshore ;
- mettre en place des mécanismes d’évaluation indépendante et régulière des effets socio-économiques et environnementaux de tels traités, et permettre leur suspension par les Parties (dans l’éventuelle phase d’application provisoire) et leur révision périodique afin d’assurer qu’ils contribuent au développement soutenable, à la réduction de la pauvreté et des inégalités, et à la lutte contre le réchauffement climatique ;
3. Garantie de l’intérêt public dans le cadre de la résolution des différends
Afin d’assurer que la résolution des différends entre les entreprises et les Etats ou autres Parties aux traités offre les plus hautes garanties juridictionnelles de protection de l’intérêt public, il convient de
- privilégier le recours aux juridictions nationales et européennes compétentes, et n’instaurer un mécanisme international de règlement des différends que dans la mesure où celui-ci présente des avantages certains (sur le plan de l’application uniforme des traités, de la célérité et de la compétence des juges) et comporte un mécanisme d’appel garantissant la cohérence des décisions rendues au premier degré ;
- appliquer les plus hauts standards aux mécanismes internationaux de règlement des différends, en ce qui concerne notamment les conditions de nomination et de rémunération des juges, ainsi que leurs garanties d’indépendance et d’impartialité, pendant et après l’exercice de leur mandat ;
- garantir que les juges soient pleinement qualifiés pour interpréter et appliquer les accords commerciaux en conformité avec les autres règles du droit international, notamment en matière de droits de l’homme, du travail et de l’environnement ;
- assurer l’égalité d’accès aux mécanismes internationaux de règlement des différends, notamment par l’adoption de mesures en faveur des PME et des particuliers visant à alléger les implications financières du recours à ces mécanismes ;
- Ces principes doivent permettre à l’Union européenne de démontrer que les échanges commerciaux ne servent pas les intérêts privés au détriment de l’intérêt public, mais contribuent au rapprochement entre les peuples, à la lutte contre le réchauffement climatique et au développement durable, en particulier des régions les plus défavorisées.
Première liste des signataires :
Philippe Aghion, Collège de France
László Andor, Corvinus University of Budapest
Stefano Bartolini, European University Institute, Florence
Francois Bourguignon, EHESS/Paris School of Economics
Ha-Joon Chang, Cambridge University
Olivier Costa, CNRS/Sciences Po Bordeaux
Carlos Closa Montero, Instituto de Políticas y Bienes Públicos, Madrid
Paul Craig, University of Oxford
Marise Cremona, European University Institute, Florence
Olivier De Schutter, Université Catholique de Louvain
Jean-Miche De Waele, Université Libre de Bruxelles
Sebastian Dullien, University of Applied Sciences HTW Berlin
Jean-Marc Ferry, Université de Nantes
Jean-Paul Fitoussi, Sciences-po, Paris et LUISS, Rome
Ilene Grabel, University of Denver
Ulrike Guérot, European School of Governance, Berlin
Virginie Guiraudon, CNRS/Sciences-Po Paris
Joseph Jupille, University of Colorado Boulder
Nicolas Levrat, Université de Genève
Paul Magnette, Université Libre de Bruxelles
Raffaele Marchetti, LUISS, Rome
Philippe Maystadt, ARES - Académie de recherche et d’enseignement supérieur
Frédéric Mérand, Université de Montréal
Leonardo Morlino, LUISS, Rome
Henning Meyer, London School of Economics and Political Science
Kalypso Nicolaïdis, Oxford University
Claus Offe, Hertie School of Governance, Berlin
Heikki Patomäki, University of Helsinki
Thomas Piketty, EHESS/ Paris School of Economics
Jean-Philippe Platteau, Université de Namur
Teresa Ribera, Institut du Développement durable et des relations internationales, Paris
Dani Rodrik, Harvard Kennedy School
Georges Ross, Université de Montreal
Vivien Schmidt, Boston University
Andy Smith, Sciences-Po Bordeaux
Philippe Van Parijs, Université Catholique de Louvain
Jean-Pascal van Ypersele, Université Catholique de Louvain
John Weeks, University of London
Anne Weyembergh, Université Libre de Bruxelles