Le colonialisme des ressources et le traité minier Chili-Argentine
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Le colonialisme des ressources et le traité minier Chili-Argentine
GRAIN
Novembre 2007
Le traité minier bilatéral entre le Chili et l’Argentine, signé en 1997 et ratifié par les deux parlements en 2000, fait partie d’une série de lois et de règlements émis pour mettre en œuvre et appliquer l’accord sur la complémentarité économique (1991), à son tour présenté comme faisant partie de l’application du traité de paix signé en 1984. Plus d’une vingtaine de textes légaux, y compris un traité pour la promotion et la protection des investissements et des régimes spéciaux d’exemption fiscale, viennent compléter le traité minier et constituent un réseau légal de plus en plus complexe facilitant les activités minières.
Pour la première fois, le traité minier autorise l’exploitation transfrontalière des dépôts de minerais et couvre une superficie de plus de 200.000 kilomètres carrés. Il est présenté comme une occasion unique pour les deux pays d’exploiter leurs ressources minières de façon plus efficace, de coopérer pour la recherche et le développement de nouvelles technologies minières, de promouvoir l’« investissement mutuel » et de protéger l’« intérêt national et public » des deux pays. Mais, moins d’une décennie après sa ratification, il s’est plutôt révélé être un instrument puissant et indispensable pour les sociétés transnationales, leur permettant d’avoir accès et d’exploiter des ressources binationales. Aucun investissement national, que ce soit public ou privé, n’est encore passé par lui.
De fait, ce traité est le résultat d’années de pression exercée par les plus grandes sociétés minières du monde. Rio Tinto, Barrick Gold, Falconbridge, Tenke Mining ont établi des bureaux locaux ou des succursales, ont adhéré aux chambres nationales des mines et/ou ont déployé toute leur force de pression. Dans un premier temps, cette pression a produit des « protocoles de facilitation » spécifiques, concédant des conditions et des privilèges spéciaux, principalement à Barrick Gold et à Falconbridge. Le traité dessine un cadre général qui ouvre la région frontalière à toute société minière transnationale. De nombreuses dispositions ont été ajoutées par des protocoles supplémentaires, facilitant les activités de ces sociétés et leur octroyant privilèges et exemptions. Dans la mesure où que les privilèges peuvent être transférés par la vente de titres miniers, ils tombent intégralement sous les clauses de protection de l’investissement. Ainsi, le Chili et l’Argentine doivent mettre en place des contrôles frontaliers spécifiques, autoriser l’accès à « tout type de ressources naturelles » aux sociétés minières, y compris l’eau, autoriser l’établissement d’aéroports privés en zone frontalière, autoriser de larges exemptions à leurs lois sur l’immigration, la santé, le travail et les lois sanitaires, et il reste encore bien d’autres privilèges à venir. En ce qui concerne le Chili, tout ce qui est octroyé par le biais de ce traité et par ces protocoles est renforcé et protégé par les ALE bilatéraux multiples qu’il a signés. Pour l’Argentine, ce rôle est, pour l’instant, principalement joué par le code minier (1999) et la loi sur les investissements miniers (2004). Il est ironique de constater qu’un traité qui est venu mettre fin à des années de tension, alors que les deux pays étaient au bord d’un conflit à cause des zones frontalières, a été utilisé pour remettre ces mêmes territoires aux mains des sociétés transnationales.
Jusqu’à présent, les sociétés minières transfrontalières ont pratiquement été absentes d’Argentine (excepté les entreprises de pétrole et de gaz), mais elles sont bien connues au Chili. Exigeant toutes sortes de garanties et de privilèges, elles ont un grand talent à utiliser toute faille juridique pour accroître leurs bénéfices. Barrick Gold, par exemple, a exploité une mine d’or au Chili pendant plus de 15 ans sans payer d’impôt. Année après année, ils déclarent des pertes, en ayant recours à des ruses comptables diverses, comme la déclaration d’emprunts à des taux d’intérêt exceptionnellement élevés, ou la vente de minerai extrait à leurs propres filiales à des prix exceptionnellement bas. Le Chili n’a, par conséquent, pratiquement reçu aucun revenu des sociétés minières étrangères, bien qu’elles extraient et vendent environ la moitié de sa production minière.
L’impact de ce traité et du réseau juridique qui y est associé se fait déjà ressentir. Quatre gigantesques projets binationaux sont d’ors et déjà approuvés : Pascua Lama (Barrick Gold), El Pachón (Falconbridge), Vicuña (Rio Tinto) et Amos-Andres (également pour Río Tinto). En Argentine, les projets miniers transnationaux sont passés de 3 en 2002 à 150 à la fin 2005. Le cuivre et l’or sont l’objectif principal, mais également l’argent et le molybdène. Les projets sont, pour l’instant, concentrés dans les régions montagneuses du nord du Chili et de l’Argentine, ainsi que dans les régions essentiellement montagneuses de l’extrême sud. Ces deux régions sont des sources principales d’eau des communautés rurales et de plusieurs villes. Le traité minier couvre plus de 95% de la frontière, l’une des plus longues du monde. De futurs projets seront situés dans des régions plus centrales, près de là où la plupart de l’activité agricole est développée et là où vivent la plupart des Chiliens et une importante partie de la population argentine.
Les technologies d’extraction qui doivent être utilisées sont pour la plupart l’exploitation à ciel ouvert et la lixiviation, tous deux extrêmement contaminants et nécessitant d’énormes quantités d’eau. L’« exploitation à ciel ouvert » implique de faire exploser les montagnes en petits morceaux pour en extraire les minéraux. La production journalière de milliers de tonnes de poussière et de déchets et la consommation et la contamination de milliers de litres d’eau par minute sont à prévoir pour chaque projet, ainsi que la contamination au cyanure et aux acides. L’alimentation en eau de communautés rurales et de villes est mise en danger. Le projet Pascua Lama pourrait détruire trois glaciers qui ont alimenté en eau des communautés autochtones depuis des siècles et ont permis de développer une agriculture près de l’un des déserts les plus arides du monde (Atacama) ; le projet mettrait également en danger l’alimentation en eau de plusieurs villes de taille moyenne.
Toutes les entreprises impliquées revendiquent la protection de l’environnement comme une priorité majeure dans leurs rapports annuels et sur leurs sites institutionnels. Ils ont pourtant recours à toutes sortes de manœuvres juridiques pour se dégager de toute responsabilité. Au Chili et en Argentine, les lois sur l’environnement exigent que soient faites des études sur les impacts environnementaux pour tout projet minier. Les sociétés demandent alors un permis « provisoire » leur permettant de construire des installations et de commencer la prospection. Dès que ces permis provisoires sont délivrés, ils sont considérés comme un actif de l’entreprise et sont par conséquent protégés par les accords de libre-échange et d’investissement. Ainsi, si une étude environnementale révèle un impact inacceptable et que le permis est révoqué, selon ces accords, les deux gouvernements devront se présenter au Centre international de la Banque mondiale pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) et payer des millions de dollars de compensation. Cette possibilité, allant de pair avec des pressions continuelles et intenses, a causé d’étonnants détournements de la loi par les gouvernements et les officiels gouvernementaux. Pascua Lama, par exemple, va se poursuivre, malgré son impact dévastateur sur l’environnement. La commission nationale chilienne sur l’environnement, dont la mission est de protéger l’environnement, travaille étroitement avec Barrick Gold afin de « trouver une solution » aux barrières juridiques et permet la réalisation de ce projet minier.
Les organisations populaires des deux côtés de la frontière ont activement résisté aux projets miniers. Les sociétés transnationales ont eu recours aux pots-de-vin, elles ont promis la création d’emplois et des « projets de développement », elles ont utilisé la menace et l’intimidation physique pour essayer de faire taire leurs protestations. L’opposition à ces projets a continué, mais la pression exercée par ces entreprises, aussi — et elles ont finalement réussi : un projet de loi visant la protection des glaciers contre les activités minières dort dans les tiroirs du congrès chilien depuis 2004, mais un autre projet de loi récemment introduit pour permettre l’exploitation de l’eau des nappes phréatiques ne semble pas, quant à lui, rencontrer d’obstacles.
Pour en savoir plus, consulter :
Mining Watch (en anglais)
No a Pascua Lama (en espagnol)