Les quatorze ans de l’ALENA et la crise de la tortilla
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Les quatorze ans de l’ALENA et la crise de la tortilla
Ana de Ita
Août 2007
En janvier 2008, le commerce agricole entre le Mexique, les États-Unis et le Canada sera entièrement libre, avec la fin de la période d’application de l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Tous les produits américains et canadiens [1] pourront entrer au Mexique sans avoir à acquitter de droits de douane. Il en ira de même avec les exportations mexicaines vers les deux autres pays. L’accord agricole de l’ALENA (chapitre VII) promeut la libéralisation totale de l’agriculture et de la sylviculture dans la région. Les engagements de l’ALENA sur l’agriculture entre le Mexique et les États-Unis sont les plus radicaux qui n’aient jamais été rédigés dans un accord commercial, puisqu’ils comprennent la libéralisation de tous les échanges agricoles et agroalimentaires sur une période maximale de 14 ans. L’ALENA est le premier accord à traiter deux pays développés et un pays sous-développé en tant qu’égaux. Mais comparé aux secteurs agricoles américain et canadien, celui du Mexique présente d’énormes asymétries en termes d’économie, de technologie, de facteurs de production, de politique agricole et d’aides à l’agriculture.
Avant même de signer l’ALENA, 75% des exportations agricoles mexicaines allaient vers les États-Unis et 69% de importations provenaient des États-Unis. [2] À cause de la taille bien moindre de l’économie mexicaine, le marché américain est beaucoup plus important pour le Mexique que le contraire : le Mexique ne fournissait que 12% de l’ensemble des importations agricoles entrant aux États-Unis et n’achetait que 7% des exportations américaines. Le Mexique est aussi beaucoup plus lourdement dépendant du Canada que vice-versa : les exportations agricoles du Canada s’élèvent à 28% du total des exportations agricoles mexicaines, tandis que les exportations mexicaines vers le Canada ne représentent que 8% des importations canadiennes.
Les négociations de l’ALENA ont eu lieu sans prendre en ligne de compte les vues de la société civile mexicaine. L’inclusion des secteurs de l’agriculture et de la sylviculture a été l’un des sujets les plus controversés, de par les profondes asymétries existantes entre l’agriculture mexicaine et celles des États-Unis et du Mexique. En 1989, le Mexique a commencé un processus de modernisation de son agriculture par la méthode des « coups de pied et des coups de poing reçus de la part du marché ». Les objectifs qui conduisaient la politique agricole étaient l’ouverture des échanges, le désengagement de l’État de la majorité de ses activités économiques, la réduction des subventions, et la privatisation ou l’élimination de la plupart de ses entreprises publiques. Toutes les réformes néolibérales entreprises étaient coordonnées avec l’ALENA, qui, en 1994, est devenu « le verrou qui protège la porte et qui bloque l’annulation des réformes ». [3] Il est pratiquement impossible de séparer les effets des réformes de ceux de l’ALENA. Les États-Unis promeuvent l’ALENA comme une mesure de sécurité dans ses relations avec le Mexique et le Canada et ce, afin de renforcer la stabilité économique des deux pays et de garantir la permanence des réformes politiques et commerciales réalisées depuis le milieu des années 1980. [4] Selon le département américain de l’agriculture, l’un des principaux bénéfices du traité avait été d’empêcher le Mexique de sentir attiré par un recours à une politique protectionniste lors de la crise du peso, en 1995. [5]
L’ALENA garantissait que les réformes structurelles draconiennes imposées à l’agriculture seraient maintenues pour 14 ans et se transformeraient en politique agricole institutionnalisée, en dépit de ses effets dévastateurs sur les producteurs et, notamment, sur les agriculteurs ruraux. Le Mexique est un exemple historique des effets de la libéralisation agricole lorsque cette dernière est imposée « coûte que coûte » sur un marché agricole international organisé autour de la protection et des subventions publiques : les prix sont réajustés et ce, malgré les différences dans les coûts de productions, les rendements ou les subventions agricoles, et offrent des gains extraordinaires à ceux qui peuvent produire à bas prix.
Les effets de l’accord agricole de l’ALENA : 1994-2006
Commerce extérieur et croissance économique
Les concepteurs des politiques néolibérales considèrent qu’un accroissement du commerce international génère un meilleur développement économique et qu’ouvrir les échanges profite à tous les acteurs, dans tous les domaines dans lesquels ils ont un avantage comparatif. [6] Cependant, les asymétries profondes entre l’agriculture mexicaine par rapport à celles des États-Unis et du Canada, en termes généraux, signifient que les principaux secteurs productifs - les céréales de base, les oléagineux, la sylviculture et le bétail (à l’exception de la volaille) - ne jouissent d’aucun avantage sur les concurrents.
Avant 2003, le Mexique avait des mécanismes de sauvegarde pour l’importation de porcs vivants, de porc, de jambon, de lard, de bacon, de volailles, de purée de poulet et de dinde, des œufs, des produits à base de pommes de terre, des pommes fraîches, de l’extrait de café et de jus d’orange. Les États-Unis pouvaient appliquer des mécanismes de sauvegarde pour les produits horticoles, au cours de saisons particulières. Ces sauvegardes pouvaient être déclenchées lorsque les importations excédaient les quotas définis et l’application des tarifs douaniers en vigueur avant l’ALENA était autorisée. [7] La plupart des produits agricoles étaient libéralisés en 2003, mais les produits « sensibles » qui, pour le Mexique, sont le maïs, les haricots et le lait écrémé en poudre, jouissaient d’une protection « extraordinaire » jusqu’en 2007. Pourtant, le gouvernement mexicain a décidé de favoriser les importateurs et, pendant de nombreuses années, il n’a pas tiré avantage de la protection dont ces produits étaient en droit de bénéficier. En janvier 2008, les importations de sucre et de sirop de sucre de maïs doivent également libéralisées : ces produits, avec les pilons et les cuisses de poulet, avaient fait l’objet d’un différend commercial devant l’OMC et avaient obtenu des mesures spéciales de sauvegarde de 2003 à 2007. Au même moment, les États-Unis étaient supposés permettre l’importation de brocoli, de concombres, d’asperges, de melons, de pastèques, de sucre et de jus d’orange, qui sont toujours protégés. Le sucre a fait l’objet d’une négociation finale par le biais d’accords parallèles qui ont mis fin aux avantages des exportations mexicaines vers les États-Unis. La fin de la période de transition signifie la fin de la période pendant laquelle il sera possible d’établir des mesures bilatérales de sauvegarde qui entrent en jeu lorsqu’une des parties prouve que les importations d’une autre partie cause des dommages à l’industrie nationale. [8]
Le commerce extérieur agricole a été presque multiplié par trois depuis l’ouverture des échanges. Parce que le Mexique a commencé un processus unilatéral d’ouverture de son secteur agricole depuis le milieu des années 1980, [9] entre 1993 et 2002, ses importations ont crû plus vite que ses exportations (avec un taux de croissance annuel moyen de 7,3% par rapport à 4,4%), et ce n’est qu’après 2003, à la fin de la période de 10 ans de réduction tarifaire, que les exportations mexicaines ont augmenté et que le fossé s’est comblé. Depuis l’ALENA, le Mexique est devenu le troisième plus grand marché pour les produits agricoles américains. La balance commerciale des produits agricoles et alimentaires a été négative chaque année depuis l’ALENA, sauf en 1995, lorsque l’agriculture a obtenu une balance positive grâce à la dévaluation du peso et à la récession, qui ont mieux fonctionné que n’importe quel tarif douanier. Les importations ont chuté de 3 milliards de dollars en 1994 à 2,5 milliards de dollars en 1995. L’excédent a duré jusqu’à ce que l’inflation ait rattrapé la dévaluation, et à partir de 1996, la balance agricole est redevenue négative.
<1480|fta2|left|caption=« Le maïs et les haricots, hors de l’ALENA - La souveraineté alimentaire aux paysans »>
Entre 2001 et 2004, le déficit commercial agricole était en moyenne de plusieurs milliards de dollars par an. Cependant, en 2005, on a constaté une réduction importante du déficit (de 385 millions de dollars) et il a baissé encore davantage en 2006. Le déficit commercial alimentaire du Mexique qui, sous l’ALENA était en moyenne de 1,3 milliards de dollars, est passé en 2001 à plus de 2 milliards de dollars. En 2003, il a atteint 2,7 milliards de dollars. Après 2004, à la fin de la période de transition de la plupart des produits, le déficit a commencé à se réduire en conséquence de l’ouverture des marchés américains et canadiens aux exportations mexicaines. La valeur des exportations a augmenté de 70%, alors que les importations ont crû de 42,5% entre 2003 et 2006. Cependant, la croissance du commerce extérieur agricole n’a pas engendré de forte croissance du secteur en général, comme s’en vantent les néolibéraux. En fait, la croissance dans le secteur agricole, qui était en moyenne de 2,5% entre 1989 et 1993, a chuté à 1,9%, avec l’ALENA. Pendant ces deux périodes, le secteur agricole s’est moins développé que l’économie en général (3,1% et 2%, respectivement), mais le fossé s’est creusé après 1995. Le secteur agricole a réduit sa part de produit national brut (PNB) de 5,8% en 1993 à 5% treize ans plus tard.
La population travaillant dans le secteur primaire (agriculture, bétail, sylviculture, chasse et pêche) a chuté de façon draconienne, de 8,2 millions de personnes en 1991 à 6,1 millions en 2006. C’était délibéré de la part des auteurs de la politique néolibérale, qui croyaient que le développement national dépendait de la réduction de la taille de la population travaillant dans les secteurs agricole et sylvicole. Les personnes travaillant dans le secteur primaire représentaient 26,8% de la population active totale en 1991, mais seulement 14,6% en 2006. [10] Selon une étude mandatée par le gouvernement, le nombre de ménages agricoles a diminué et est passé de 2,3 millions en 1992 à 575.000 en 2002, et le nombre de ménages à revenus mixtes ont chuté de 1,5 millions à 900.000 pendant la même période. [11] L’incapacité du Mexique à concurrencer le secteur agroalimentaire des États-Unis a aiguillonné la migration récurrente des travailleurs agricoles et menace d’éliminer la future génération d’agriculteurs.
Les échanges commerciaux agricoles et la souveraineté alimentaire
L’ALENA a été établi pour donner à chacune des parties une opportunité d’accroître son commerce international de produits agricoles pour lesquels elle jouit d’« avantages comparatifs » et par conséquent, de réduire son déficit commercial. Les États-Unis et le Canada sont deux des plus gros et des plus efficaces exportateurs de céréales au monde, tandis que le Mexique est un exportateur compétitif de produits horticoles et fruitiers. Cependant, ceci n’implique pas une relation complémentaire entre les secteurs de la région. Pour le Mexique, les négociations du traité ont signifié un changement du schéma de la sélection des cultures.
Seuls 12,3% des terres du Mexique sont voués à l’agriculture arable, tandis que 54% sont utilisés pour les ranchs à bétail et 26% sont affectés à la sylviculture. 71% des terres arables sont utilisés pour la culture de céréales de base et d’oléagineux. En termes généraux, le Mexique n’a pas d’avantage comparatif par rapport aux États-Unis pour l’élevage de bétail, les céréales de base, les oléagineux ou la sylviculture. Les fruits, les légumes et les produits tropicaux, tels les ananas, le sucre de canne et le café sont les seuls produits pour lesquels le Mexique peut avoir quelque avantage, mais les fruits n’occupent que 6% des terres arables et les légumes, 3%.
Le Mexique compte 3,1 millions de producteurs, parmi lesquels 85% sont des agriculteurs cultivant des lots de terre inférieurs à 5 hectares (12,4 acres), et ayant pour cultures principales les céréales et les oléagineux. [12] Seuls environ 500.000 producteurs cultivent des légumes et des fruits. La plupart d’entre eux sont de moyens ou de grands agriculteurs, car le gros investissement requis met ce type d’activité hors de portée des petits paysans. Le commerce alimentaire du Mexique avec les États-Unis est basé sur l’importation des denrées alimentaires de base - le maïs, le soja, le riz, le blé, le lait, les huiles et les graisses, le bœuf, le porc et la viande de poulet - et l’exportation de tomates, poivrons, fruits et légumes, aliments pour le bétail, crevettes et, par dessus tout, la bière et la tequila. En 2006, quatre produits ont représenté 73% des exportations agricoles mexicaines : les tomates, les légumes, les fruits frais et les bovins. Et, la même année, quatre autres produits ont composé plus de la moitié des exportations mexicaines en denrées alimentaires : la bière, la tequila, les crevettes et les fruits et légumes en boîte. La bière et la tequila ont représenté respectivement 26% et 10%. Au début 2006, les exportations de bière, un produit relativement nouveau, se sont élevées à 1,138 milliards de dollars, tandis que le sucre et le jus d’orange, considérés comme les produits gagnants des négociations de l’ALENA, ont perdu de l’importance, avec des parts d’exportations qui sont passées de 11,7% et 5,3%, respectivement, à seulement 2% et 1%. Le maïs, le soja et les oléagineux, le sorgho, le blé, le riz et le coton ont représenté 60% des importations agricoles du pays. Les importations de maïs ont crû de façon exponentielle avec l’ALENA. Les denrées alimentaires les plus importées ont été : le bœuf, le porc, la viande de volaille, le lait en poudre, les huiles et les graisses, les céréales, le malt et l’extrait de malt. Sous l’ALENA, les producteurs porcins américains ont augmenté leurs parts de marché mexicain par 130%, et les importations mexicaines de bœuf et de veau ont quintuplé. Ainsi, tandis que les exportations agricoles et alimentaires depuis le Mexique sont concentrées en un petit nombre de produits de luxe destinés aux élites américaines, le Mexique a perdu sa capacité à nourrir sa population et a augmenté sa dépendance des importations de produits de base.
L’intégration des marchés : concentration et déplacements
L’ALENA a conduit à la concentration et à l’intégration régionale. Au Mexique, en l’absence de régulations ou de protections de la part de l’état, de nombreuses petites unités agricoles ont fait faillite, incapables qu’elles étaient de concurrencer les importations qui ont inondé le marché national. Les grands producteurs, mieux lotis en termes de terrain, d’irrigation, de ressources et d’accès au crédit, ont tiré parti de l’ouverture pour se moderniser et absorber de plus grandes proportions des marchés internes.
Le gouvernement mexicain a éliminé les agences publiques de régulation du secteur agricole. Le vide laissé par l’État a été comblé par les sociétés transnationales, les filiales d’entreprises américaines, dont beaucoup ont créé des liens par des fusions et des acquisitions de parts des plus puissantes entreprises mexicaines. L’intégration dans le marché américain par le biais des sociétés transnationales s’est produite à une échelle sans précédent. Elle s’est effectuée de différentes manières, selon le type de production, mais, dans tous les cas, elle a impliqué la médiation de l’État pour un transfert de revenus depuis l’agriculture vers le secteur des affaires. Les producteurs de tomates destinées à l’exportation, à Sinaloa, l’un des quelques secteurs qui a prospéré sous l’ALENA, ont établi des relations officielles avec les producteurs américains de Floride, en collaborant étroitement avec eux, mais ils ont également déplacé de petits producteurs familiaux des états du centre du Mexique qui avaient auparavant fourni le marché interne, dorénavant contrôlé par les producteurs de Sinaloa.
Les marchés des céréales de base, telles que le maïs, le blé, le riz et le soja, sont contrôlés par une poignée d’entreprises transnationales et de filiales d’entreprises américaines qui travaillent des deux côtés de la frontière. En plus d’influencer les prix pour les producteurs et de participer aux importations, elles peuvent agir comme des monopoles, comme elles l’ont fait pendant la crise de la tortilla, en 2007. Après la crise économique de 1995, qui avait provoqué la faillite de la plupart des petits éleveurs de bétail et de volaille, la production nationale de bétail bovin, de porc et de volaille a été modernisée et elle s’est concentrée en une poignée de grandes entreprises, la plupart étant des sociétés transnationales basées aux États-Unis. Le gouvernement mexicain a décidé de les soutenir en démantelant la protection qui avait été donnée auparavant aux producteurs de céréales de base, l’une des principales entrées pour les producteurs de bétail. Ceci a accéléré l’intégration des producteurs de bétail au sein de l’intégration du marché régional nord-américain.
L’investissement direct de l’étranger
L’un des principaux engagements de l’ALENA était le « traitement national » pour les investisseurs étrangers (chapitre XI), ce qui a forcé le Mexique a changer sa législation en matière d’investissement. L’ALENA a renforcé les droits des investisseurs étrangers leur permettant de conserver les gains réalisés par leurs investissements initiaux. Les législateurs néolibéraux ont fait de l’investissement direct de l’étranger (IDE) la locomotive du développement économique mais, en dépit des réformes, peu d’investissements étrangers supplémentaires ont été injectés dans l’agriculture. Selon les chiffres officiels, l’IDE, dans le secteur agricole, a totalisé 10,8 millions de dollars en 1994, alors qu’au début 2004, il n’atteignait que 16,3 millions de dollars. [13] Au début de l’ALENA, le secteur n’absorbait que 0,1% de l’investissement total et, au début 2004, moins encore, 0,09%.
L’ALENA a encouragé davantage d’IDE dans les vivres (aliments et boissons), la moitié provenant des États-Unis. En 2005, l’investissement direct américain dans l’industrie de transformation alimentaire au Mexique a atteint 2,9 milliards de dollars, alors que l’investissement mexicain dans des industries similaires aux États-Unis n’était que d’1 milliard de dollars. [14] Encore plus important, les ventes alimentaires au Mexique, avec investissement direct américain, se sont montées à 6 milliards de dollars en 2003, soit plus que la valeur des exportations alimentaires depuis les États-Unis vers le Mexique. [15] Les principales marques alimentaires américaines sont vendues au Mexique. En ce qui concerne les produits alimentaires intermédiaires, l’investissement américain joue un rôle important dans la meunerie, le négoce de céréales et la transformation de la viande. Quelques-unes des entreprises alimentaires mexicaines ont également renforcé leur présence sur le marché américain, par exemple Gruma, sur le marché de la farine de maïs et de la tortilla. Les principales sociétés nationales basées aux États-Unis ont renforcé leur présence dans l’agriculture mexicaine, et leurs parts du marché intérieur ont augmenté tandis qu’elles se sont emparées de grandes portions des marchés du maïs, du soja, du blé, du riz, de la viande de volaille, des œufs et du porc. Le marché mondial de l’agriculture et de l’alimentaire est hautement concentré, et les processus d’intégration verticale et horizontale ont été d’une grande importance depuis les années 1980.
La balance par produits : céréales de base et oléagineux
Pour le Mexique, l’ALENA a signifié le sacrifice de la production nationale des céréales de base en échange de l’accès à de nouveaux marchés de légumes et de fruits tropicaux. Les producteurs de céréales de base et d’oléagineux ont perdu énormément avec le chapitre agricole de l’ALENA. Entre 1991 et 2001, le nombre de producteurs de céréales de base a chuté d’un million, il est passé de 4,1 à 3,1 millions. [16] Au même moment, une diminution de 852.000 hectares (2,1 millions d’acres) a été constatée sur la superficie de terre consacrée à ces cultures entre 2000 et 2005. [17]
Le Mexique est un importateur alimentaire net. Plus de 80% de ses importations en grandes cultures et en viande sont composés de céréales de base, d’oléagineux et de leurs dérivés. Les importations sont en constante augmentation depuis l’ALENA ; au début 2006, elles avaient même plus que doublé. Le Mexique dépense une moyenne de 4 milliards de dollars par an en importations de céréales de base et d’oléagineux. Le Mexique est le principal marché pour l’exportation du coton et du sorgho en provenance des États-Unis, le deuxième pour le maïs, après le Japon, et le troisième pour le blé et le soja. L’ouverture du marché a signifié une concurrence accrue sur le marché national, conduisant ainsi à la chute des prix. Depuis les réformes de 1989, les prix nationaux des céréales ont chuté de 50%.
Avec l’ALENA, le gouvernement mexicain a accepté de libéraliser son marché de céréales de base et d’oléagineux sur une période de dix ans, période qui s’est achevée en 2003. Une exception a été faite pour le maïs et les haricots, auxquels il a été accordé une protection jusqu’en 2007. Pour le riz, un tarif douanier de 10% seulement avait été initialement établi, pour être totalement éliminé de là à 2003. Avant l’ouverture, quatre tonnes de riz sur dix produites au Mexique étaient exportées, mais au début 2006 sept tonnes de riz consommé sur dix étaient importées. La production a chuté de près de la moitié, et la plupart des petits producteurs ont fait faillite, tandis que les prix nationaux ont chuté de 55% entre 1989 et 2006. L’ALENA avait négocié la libéralisation immédiate des tarifs douaniers saisonniers de 15% pour le sorgho, le principal aliment pour bétail. La production de sorgho a subi une chute draconienne avec l’élimination de sa protection, mais après 1997, elle a commencé à se reprendre et à atteindre ses niveaux d’avant ouverture. L’augmentation de la demande en sorgho pour l’élevage du bétail a été satisfaite par les importations. Actuellement, un tiers de la consommation nationale est satisfait par les importations. En conséquence, les prix du sorgho ont chuté de 57% entre 1989 et 2005. Au début 2006, ils avaient commencé à remonter, stimulés par l’augmentation des prix internationaux du maïs. Le blé était le seul produit à avoir un comportement concurrentiel par rapport à la production américaine. Il bénéficiait d’une protection face aux importations grâce à une autorisation antérieure, qui a été remplacée au début de l’ALENA par un tarif douanier minuscule de 15% devant être progressivement réduit et éliminé jusqu’à 2003. Les importations de blé passèrent de 9% de la consommation nationale, en 1989, avant l’ouverture du commerce, à plus de la moitié, en 2006. Le blé a cessé de rapporter des revenus à de nombreux producteurs, et la production a chuté de 27% en fonction du déclin de 48% des prix du blé, sous la pression des importations.
Le maïs
Le cas du maïs, dans l’ALENA, est paradigmatique, comme l’illustre le comportement du gouvernement et des sociétés transnationales qui ont tiré parti de la libéralisation. Le maïs est la culture la plus importante au Mexique, en termes de volume de production, de terres cultivées, de valeur de production et du nombre de producteurs. Pendant les négociations de l’ALENA - basées sur la théorie de l’avantage comparatif - le maïs était le problème principal, parce qu’il ne pouvait pas concurrencer les productions américaines et canadiennes. Du point de vue des négociateurs, l’activité de 85% des producteurs cultivant moins de 5 hectares (12,4 acres) de terres agricoles n’était pas concurrentielle ; 4,7 millions d’hectares (11,6 millions d’acres) devaient être reconvertis dans d’autres cultures, avec une perte de 7,1 millions de tonnes de maïs qui étaient produites sur ces superficies cultivées. La culture traditionnelle de maïs, sur des petites parcelles, devait disparaître et ce, bien qu’elle constituait la moitié de la production nationale, et que la moitié était destinée à la consommation locale.
La pratique s’est révélée bien différente de la théorie. Dès 1989, d’autres céréales (en plus du maïs) et oléagineux étaient affectés par le processus d’ouverture et de déréglementation. De ce fait, l’agriculture mexicaine a subi un phénomène de « maïsification », stimulé par le manque de protection pour d’autres cultures. La production de maïs, entre 1989 et 1993, a augmenté de 65%, elle est passée de 11 à 18,1 millions de tonnes. La principale augmentation s’est produite dans des zones irriguées des états du nord-ouest, principalement à Sinaloa, traditionnellement dédiées aux cultures commerciales, principalement à l’exportation. La terre affectée au maïs, dans les zones non irriguées, est restée relativement constante. Le gouvernement mexicain accepta la libéralisation du maïs dans le cadre de l’ALENA et ce, sans l’obtention du soutien de la société civile. Selon les suppositions faites par l’ALENA, l’ouverture des échanges forcerait les agriculteurs à opter pour des cultures plus concurrentielles sur le marché international. Avec l’ALENA, la protection pour le maïs était négociée par contingents tarifaires et une longue période - 15 ans, la plus longue durée autorisée - fut établie pour une adaptation progressive. Ces 15 ans, qui s’achèvent début 2008, devaient permettre aux producteurs de s’adapter à une économie ouverte. [18] Mais la production de maïs n’a pas diminué pendant cette période ; elle a même augmenté, et elle se situe actuellement à plus de 20 millions de tonnes. Les indicateurs suggèrent qu’il n’y avait pas d’alternatives de production pour la nouvelle génération de cultivateurs de maïs, dans les années 1990.
Les importations de maïs dans le cadre de l’ALENA
Le maïs est le perdant net des négociations de l’ALENA en matière d’agriculture. Après 14 ans d’application, la soi-disant extraordinaire protection du maïs a été systématiquement éliminée depuis 1996 (excepté en 1994 et en 1997), à cause de la décision unilatérale du gouvernement mexicain. Pour la production de maïs, il n’y a pas eu de période de transition, parce qu’en réalité, elle fonctionnait déjà comme un marché ouvert. Les importations de maïs excédaient systématiquement le quota négocié, et les importations supplémentaires n’étaient pas assujetties au tarif douanier correspondant. Par conséquent, on refusa la protection promise à 3,2 millions de producteurs, la majorité étant des petits producteurs du pays. L’augmentation des importations n’était pas due au manque de production ou à des prix nationaux plus élevés que les prix internationaux. Pendant plusieurs années, les prix payés pour le maïs importé étaient plus élevés que ceux du maïs mexicain. Le cœur de la question se trouve dans les programmes de soutien aux exportations agricoles et de bétail que le gouvernement américain fournit à ses producteurs par le biais de l’Agence fédérale de financement des ventes de produits agricoles (Commodity Credit Corporation, CCC). [19] Par ce programme, les importateurs de maïs peuvent obtenir des prêts à taux réduits et à long terme. Importer des céréales est donc devenu une opération financière rentable. [20]
En seulement un an, entre 1995 et 1996, la consommation de maïs a augmenté de 3 millions de tonnes. Jusqu’en 1990, les agriculteurs ne pouvaient pas nourrir le bétail au maïs, car il était considéré comme un aliment de base pour la population, mais lorsque l’interdiction a été levée en 1996, le secteur de l’élevage de bétail est devenu la première destination du maïs importé. Les consommateurs de céréales [21] ont obtenu le pouvoir politique nécessaire pour influencer la politique commerciale et agricole : ils évitaient de payer les tarifs douaniers permis par l’ALENA pour les importations de maïs dépassant le quota. Le gouvernement mexicain a effectivement pratiqué le dumping contre ses propres producteurs nationaux de maïs en éliminant les tarifs douaniers établis pour protéger leur production. Les petits cultivateurs ont été forcés de supporter un énorme fardeau afin de favoriser les importateurs, parmi lesquels se trouvaient certaines des plus grandes sociétés transnationales du monde.
En 1999, le gouvernement mexicain éliminait l’entreprise publique CONASUPO (Compagnie nationale de subsistance populaire), qui avait la responsabilité de réglementer le marché des céréales de base en soutenant les producteurs et les consommateurs. Le maïs était l’unique produit qui, après l’ALENA, était toujours vendu par la CONASUPO. La fermeture de CONASUPO a livré les producteurs aux mains d’un nombre extrêmement réduit de sociétés transnationales, les seuls acheteurs de leurs récoltes : Maseca, Minsa, Cargill, Arancia, et Archer Daniels Midland (ADM). Ces entreprises sont également les principaux importateurs et exportateurs des États-Unis ; Cargill, ADM et Zen Noh contrôlent 81% des exportations de maïs aux États-Unis. [22] Ces dernières années, elles ont absorbé une bonne partie des subventions que le gouvernement mexicain a distribuées pour écouler les excédents en maïs. Le marché privé du maïs a augmenté rapidement, tandis que les sociétés transnationales ont renforcé leur intégration, au détriment des producteurs. Lorsque les restrictions ont été éliminées, les exportations en provenance des États-Unis ont considérablement augmenté. La majorité des exportations est composé de maïs jaune, utilisé pour alimenter le bétail. Les exportations de maïs blanc pour la consommation humaine ne sont pas conséquentes et elles ont même diminué après l’an 2000. Le vaste accès dont bénéficie le maïs américain a fait baisser les prix du maïs national de 59% entre 1991 et 2006, permettant ainsi l’expansion des industries avicoles et porcines. Les deux plus grandes entreprises mexicaines de l’industrie de la farine de maïs - Maseca et Minsa - se sont positionnées sur les marchés nationaux et étrangers.
En 2001, 189 entreprises ont importé 6,1 millions de tonnes de maïs, une quantité record. [23] Le secteur du bétail en a absorbé 47,1%, desquels les entreprises qui produisent du fourrage pour animaux ont absorbé le plus gros pourcentage, tandis que les engraisseurs n’ont acquis que 4%. Le secteur de l’amidon et de la fécule a absorbé 31,2% des importations, secteur au sein duquel Arancia-Corn Products International est arrivé en tête des importateurs de maïs. Le secteur des farines a acquis 11% des importations dont Maseca a géré la plus grande partie. Diconsa, qui est tout ce qui reste de la CONASUPO, a absorbé 3,7% des importations au lieu de remplir sa fonction sociale qui est de soutenir les achats directs des producteurs nationaux. Dès 2003, à cause de la pression des organisations agricoles du mouvement « la campagne n’en peut plus » et de l’opinion publique, Diconsa a arrêté d’importer du maïs et n’a plus acheté qu’auprès des producteurs nationaux, dès qu’il a été prouvé que l’entreprise jouait un rôle dans la contamination génétique du maïs primitif. [24] La moitié des importations de 2001 ont été achetées par neuf grandes entreprises mexicaines ou américaines : Arancia-Corn Products International, Minsa, Maseca, Archer Daniels Midland (ADM), Diconsa, Cargill, Bachoco, Pilgrims Pride et Purina. Plusieurs d’entre elles sont liées les unes aux autres, par des associations ou des co-investissements, dans un processus de concentration et d’intégration constante. La distribution première et le traitement des céréales sont les maillons de la chaîne alimentaire mondiale qui sont les plus concentrés. [25] Trois des cartels mondiaux dominants et actifs dans le secteur de la commercialisation des céréales de base opèrent au Mexique : Cargill-Continental ; ADM-Maseca et Minsa-Arancia-Corn Products International. Diconsa importe en général par le biais d’ADM.
La crise néolibérale de la tortilla
Le début 2007 a vu l’augmentation prononcée (entre 42% et 67%) du prix de la tortilla, qui est passé de 6 à 8,5 pesos minimum. Cette augmentation a fait des ravages sur le pouvoir d’achat des salaires. La crise de la tortilla est un exemple de la faillite des politiques alimentaires et agricoles néolibérales, prônées par les gouvernements successifs de ces 25 dernières années. En traitant du maïs, dans le modèle de substitution de l’importation, l’État a promu une politique agricole dirigée vers l’autosuffisance alimentaire. À cette fin, il a construit un système d’achat auprès des cultivateurs et un système de traitement, de commercialisation et de distribution des produits de base. Le système de la CONASUPO - une institution datant de la présidence de Lazaro Cardenas (1936-1941), créée pour empêcher le contrôle et la spéculation de monopole sur des produits de base, - était initialement le seul, puis, plus tard, le principal, importateur et exportateur de denrées de base, dans un système économique fermé dans lequel l’agriculture était protégée par l’obligation d’autorisations préalables d’importation. Elle avait également le rôle de gérer une réserve réglementée garantissant l’approvisionnement de produits de base pour environ trois mois. La CONASUPO avait la fonction de premier fournisseur des moulins et des fabricants de céréales nixtamalisées (précuites) pour la fabrication de tortillas. Le dispositif permettait le contrôle des prix de la tortilla, une fonction importante dans un pays où les salaires sont très bas. Dans ce système, les producteurs avaient un prix garanti pour leurs produits et les consommateurs, un prix d’achat maximum et, des deux côtés, ces prix étaient soutenus par des subventions.
Mais la politique néolibérale que l’ALENA institutionnalise a modifié les fonctions centrales de réglementation qu’a l’état et ont éliminé les institutions qui rendaient la réglementation possible, avec comme prémisse que le marché s’autorégule. Dans le cadre des négociations de l’ALENA, avant que le traité ne soit lancé, les prix garantis ont été éliminés et la CONASUPO, liquidée. En 1999 également, les consommateurs pauvres ont reçu un coup sévère par l’élimination de la subvention à la tortilla octroyée à 1,2 millions de familles. Le pénurie de maïs, au cours des premiers mois de 2007 était le produit de trois facteurs : (1) la spéculation par de grands monopoles qui dominent les marchés du maïs et de la tortilla au Mexique ; (2) les engagements pris par l’ALENA d’ouvrir totalement les secteurs de l’agriculture et du bétail aux importations en provenance des États-Unis, à partir du 1er janvier 2008, ont eu pour conséquence l’augmentation de la dépendance aux importations alimentaires américaines ; et (3) l’augmentation des prix du maïs sur le marché international due à l’augmentation de la demande pour le maïs destiné à la production d’éthanol, ce qui, dans une économie ouverte, touche gravement le marché domestique.
L’augmentation des prix n’était pas due à une pénurie de production nationale puisque depuis 2006, 21,9 millions de tonnes ont été produites, une production record. Au même moment, des volumes record de maïs ont été importés - 7,3 millions de tonnes de maïs jaune et 254.000 tonnes de maïs blanc. Si l’on inclut le maïs concassé, le total atteint 10,3 millions de tonnes. Bizarrement, dans une année de crise prétendument due à une diminution d’approvisionnement de maïs, les stocks de maïs atteignaient les volumes les plus importants jamais atteints. Les entreprises agroindustrielles avaient amassé les récoltes de 2006 et du début de 2007, déclarant qu’il y avait une pénurie de céréales à un moment d’augmentation des prix internationaux et de bas inventaires, et ils ont poussé à la hausse des prix par la spéculation. Ces entreprises firent des bénéfices extraordinaires car ils achetèrent le maïs à 1.450 pesos des récoltes de l’automne-hiver 2005-2006, qui commencent en avril pour les producteurs de Sinaloa et Tamaulipas, et à 1.760 pesos, des producteurs du cycle printemps-été 2006, qui commence en septembre, mais à la fin décembre, ils le vendaient entre 3.000 et 3.500 pesos, ce qui, bien entendu, fit s’envoler les prix de la tortilla. Elles n’avaient même pas à payer de coûts financiers, ni ceux du stockage de ces produits, puisque les programmes de subvention du commerce d’excédents, [26] gérés par le ministère de l’agriculture, visent presque exclusivement les grosses entreprises telles que Cargill, Maseca, Minsa et Arancia, et leur fournissent des subventions pour l’achat garanti, le stockage, le fret, l’expédition et les exportations. Les organisations paysannes se sont plaintes de la façon par laquelle les entreprises agroindustrielles utilisaient ces programmes pour « assécher » artificiellement le marché, et ont rapporté que Cargill avait acheté et stocké 600.000 tonnes de maïs à Sinaloa. [27]
Les ministères de l’économie et de l’agriculture et l’ASERCA (Appuis et services à la commercialisation agricole) ont fourni des subventions pour que 1,5 millions de tonnes de maïs de la récole automne-hiver à Sinaloa puisse soit être exportée vers les États-Unis, l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud, soit être utilisée en tant qu’aliment à bétail par de grandes entreprises, comme Bachoco, à Sonora. Tout ceci a provoqué un stockage artificiel du maïs blanc pour la consommation humaine. Aux États-Unis, en résultat de l’augmentation de la demande sur le maïs jaune pour la production d’éthanol, la superficie affectée à la culture du maïs blanc a été réduite, et les sociétés transnationale basées au Mexique ont tiré avantage de la situation et ont exporté le maïs blanc vers leurs usines aux États-Unis et en Amérique du Sud. Selon les statistiques officielles, seules 174.413 tonnes de maïs ont été exportées en 2006, [28] ce qui laisse sans réponse la question de savoir où sont passés les gros volumes de maïs. Au cours du cycle automne-hiver 2006-2007, Cargill ne s’est pas tourné vers Sinaloa pour acheter du maïs, comme il le faisait d’habitude, ce qui suggère qu’il avait peut-être déjà des inventaires de maïs en sa possession. Le prix du maïs sur le marché mondial a augmenté à cause de l’accroissement de sa demande destinée à la production d’éthanol, mais cette augmentation n’était pas liée au prix auquel il était vendu au Mexique.
La crise de la tortilla a conduit à ce qu’une plus grande part de marché soit détenue par les deux plus importantes entreprises productrices de farine de maïs, Maseca et Minsa. Au Mexique, les tortillas sont produites selon deux méthodes distinctes. Le processus traditionnel de nixtamalisation s’arroge la moitié du marché (51%), et il s’effectue dans près de trois mille petits moulins (dont bon nombre sont actuellement des clients de Cargill). Les 49% des tortillas qui restent sont faites à base de farine de maïs. L’industrie de la farine de maïs est fortement concentrée au Mexique - seules quatre entreprises dominent le marché. Le Grupo Industrial Maseca est le principal, avec 73% de parts de marché, et Minsa, Agroinsa et Harimasa se partagent le reste. Les tortillas de maïs sont principalement distribuées par de grands surfaces de distribution, comme Wal-Mart. La crise de la tortilla va étendre les parts de marché des tortillas de farine de maïs, parce que les grandes entreprises et les chaînes de distribution de détail peuvent réduire leurs marges bénéficiaires et vendre leurs tortilla 30% moins cher que le prix maximum établi conjointement par le gouvernement et l’industrie. Les producteurs de bétail, qui peuvent utiliser le maïs comme aliment pour animaux et qui ont bénéficié durant ces dernières 14 années de l’élimination des protections aux agriculteurs, comptent augmenter les prix de la viande, du lait, des œufs et du poulet, tous des produits de base, à cause de l’augmentation du prix du maïs.
Tout au long de cette dernière année de transition de l’ALENA, les sociétés nationales, qui contrôlent le marché des denrées de base, exhibent leurs capacités monopolistiques et agissent contre les intérêts du producteur et du consommateur. La crise de la tortilla prouve que l’un des présupposés de base de l’ALENA - qu’il profite aux consommateurs et ce, même s’il sacrifie les cultivateurs - n’est qu’une farce macabre.
Notes:
[1] L’ALENA est composé de trois traités entre : (1) les États-Unis et le Canada, (2) le Mexique et les États-Unis, et (3) le Canada et le Mexique. Le Canada a exclu les produits laitiers, la volaille et les œufs de ses traités, produits pour lesquels il conserve un système de gestion d’approvisionnement.
[2] Kenneth Shwedel, “El TLC y el cambio estructural” (L’ALE et le changement structurel), dans : Alejandro Encinas, Juan de la Fuente et Horacio Mackinlay, coord., La disputa por los mercados. TLC y el sector agropecuario (Mexique : Editorial Diana, 1992).
[3] Luis Hernández, “TLC, Corte de caja” (ALE : Arrêtez et Évaluez), Cuadernos del Ceccam, no 7 (Mexique, 1996).
[4] Terry Crawford et John Link, coord., NAFTA International Agriculture and Trade (Washington, DC : ERS, USDA, septembre 1997), p. 8.
[5] Crawford et Link, p. 7.
[6] Alejandro Diaz Bautista, “El TLCAN y el crecimiento económico de la frontera norte de México” (L’ALENA et la croissance économique de la frontière nord du Mexique), Revista Comercio Exterior, Vol. 53, No. 12 (Mexique, décembre 2003), p. 1090.
[7] SECOFI, TLCAN, Texto oficial, Artículo 703 (ALENA, version officielle, article 703).
[8] SECOFI, TLCAN, Texto oficial, Capítulo VIII (ALENA, version officielle, chapitre VIII).
[9] Le Mexique est entré dans le GATT en 1986, suite à quoi, il a révisé de façon draconienne sa politique de protection des secteurs productifs nationaux.
[10] INEGI, Anuario Estadístico de los Estados Unidos Mexicanos (Annuaire statistique des États Unis du Mexique) (2006). Pour 2004, les données font référence d’une population de plus de 12 ans, mais pour 2005, elles font référence à ceux de plus de 14 ans, ce qui rend difficile une comparaison de ces dernières années.
[11] José Romero and Alicia Puyana, Diez años con el TLCAN, las experiencias del sector agropecuario mexicano (Dix ans d’ALENA : Expériences dans le secteur agricole du Mexique) ( Mexique : El Colegio de México), p. 227.
[12] ASERCA, le nombre de producteurs selon le Procampo (programme de subventions), 2001.
[13] Les méthodes de déclaration de l’investissement directe étranger au Mexique ont varié, ce qui rend difficile une comparaison de ces dernières années ; cependant, et en dépit de variations substantielles pendant la période 1994-2004, l’investissement direct étranger n’a jamais été supérieur à 93 millions de dollars, selon le Secrétariat économique, registre national de l’investissement étranger (Secretaría de Economía, Registro Nacional de Inversión Extranjera).
[14] Steven Zahniser, NAFTA at 13 : Implementation Nears Completion (Washington, D.C. : ERS, USDA, mars 2007), p. 9.
[15] Zahniser, p. 10.
[16] INEGI, Censo Agrícola y Ganadero (Recensement des stocks agricoles et d’animaux), 1991, et ASERCA, Procampo, 2001.
[17] Sagarpa. Les terres ensemencées de céréales de base et d’oléagineux ont chuté et sont passées de 14,2 millions d’ha (34,3 millions d’acres) en 2000 à 13,3 millions d’ha (32,9 millions d’acres) en 2005.
[18] La protection, par le biais des contingents tarifaires, consiste à déterminer un quota d’importation pouvant entrer dans un pays sans devoir s’acquitter de tarifs douaniers, mais toute quantité dépassant ce quota sera assujettie à des tarifs stricts. Pour le maïs, le quota initial stipulé pour les États-Unis était de 2,5 millions de tonnes et pour le Canada, de 50.000 tonnes. Ces quantités devraient augmenter de 3% chaque année. Le tarif douanier initial était de 215% et devait se réduire graduellement jusqu’à zéro avant 2008.
[19] CCC Export Credit Guarantee Program (GSM-102) et CCC Intermediate Export Credit Guarantee Program (GSM-103).
[20] Voir Ana de Ita, Schwentesiuss Ruta, “¿Cuánta liberalización aguanta la agricultura ? Impacto del tlcan en el sector agroalimentario”, présentation à la Chambre des députés, législature LXII, Commission d’agriculture, Mexique, 2000.
[21] Sur l’ensemble des importations de maïs en 1996, 46% est allé au secteur du bétail, 20% au CONASUPO, 16% à l’industrie de la farine de maïs, 11% à l’industrie de l’amidon et de la fécule, et 7% aux grossistes. La CONASUPO a importé 1.270.000 tonnes cette année-là.
[22] Voir Ana de Ita, “El control transnacional del mercado de maíz en México y su responsabilidad en la contaminación transgénica del maíz nativo” (Le contrôle transnational du marché du maïs et sa responsabilité dans la contamination du maïs primordial), dans RAPAL, UACH, Memoria del Foro, Mexique, août 2002.
[23] Selon les informations du Comité d’allotements d’importation de maïs, Aserca, Sagarpa.
[24] Voir Ana de Ita, “Maíz transgénico en México : apagar el fuego con gasolina” (Le maïs transgénique au Mexique : éteindre le feu avec de l’essence) dans Julio Muñoz, Alimentos transgénicos, Mexique, Siglo XXI, 2003.
[25] Voir Ana de Ita, “El control transnacional del mercado de maíz en México y su responsabilidad en la contaminación transgénica del maíz nativo” (Le contrôle transnational du marché du maïs et sa responsabilité dans la contamination du maïs primordial), dans RAPAL, UACH, Memoria del Foro, Mexique, août 2002.
[26] Programme de subventions directes aux producteurs pour la commercialisation des excédents pour une reconversions productive, intégration des chaînes agroalimentaires et attention aux facteurs critiques, qui incluent parmi ses moyens de subventions d’aide pour : l’accès aux céréales fourragères, l’expédition, l’achat garanti, l’exportation et le fret terrestre.
[27] Luis Hernández, “Cargill ‘El maíz de sus tortillas’”, La Jornada, 30 janvier 2007.
[28] Données de Sagarpa.