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A Bruxelles, l’autre bras de fer entre l’Algérie et la France

Challenges | 6 mars 2025

A Bruxelles, l’autre bras de fer entre l’Algérie et la France

Par Ali Oulouch (à Alger)

Une date, deux événements. Le 17 février, sur les hauteurs d’Alger, l’ambassadeur de l’Union européenne, Diego Mellado, organise avec les partenaires algériens une conférence sur les zones économiques spéciales « comme outil d’attraction des investissements en Algérie ». L’année 2025 sera, d’après le diplomate, « une bonne occasion d’approfondir et de consolider les relations Alger-UE [sur la base d’un partenariat] gagnant-gagnant ». Vingt ans après la signature de l’Accord d’association entre l’Algérie et l’Union européenne, aux résultats plus que mitigés, Bruxelles et Alger affichent la volonté de réviser certains aspects de cet accord, ou à défaut, trouver de nouvelles pistes pour booster les échanges commerciaux et économiques.

Ce même 17 février, à Paris, une vingtaine de députés du Rassemblement national déposent à l’Assemblée nationale une proposition de résolution européenne visant à suspendre les négociations entre l’UE et l’Algérie et à remettre en cause l’Accord d’association dont la France, en tant qu’Etat membre, est cosignataire.

Un déséquilibre commercial

Pour comprendre l’enjeu de ces deux dynamiques opposées, il faut remonter à 2005. Poussé par le désir de sortir de l’isolement après des années 1990 marquées par la guerre civile, l’Algérie de Bouteflika « se précipite pour signer un Accord d’association avec l’UE, en 2002 [entré en vigueur en 2005] », rappelle un ancien diplomate. En résumé, l’accord prévoyait un nouveau cadre de coopération politique mais surtout économique avec un démantèlement tarifaire douanier progressif, des aides au développement industriel, l’accès au marché communautaire et le déploiement des investissements européens directs en Algérie.

Mais, dès le départ, le démantèlement tarifaire progressif a provoqué un déséquilibre certain : en mettant de côté le gaz que l’Algérie fournit à l’Europe, l’évaluation réalisée en 2015 des dix premières années d’exercice donne à peine 14 milliards de dollars d’exportations algériennes vers l’UE contre 220 milliards de dollars d’importations.

« L’Algérie représentait moins de 1 % du commerce extérieur de l’UE alors que l’UE représentait 55 % de celui de l’Algérie », résume un expert. De plus, Alger continue de reprocher à l’UE le non-investissement attendu grâce à l’Accord d’association. De 2005 à 2020, les pays de l’UE n’ont investi que 13 milliards de dollars en Algérie, selon le ministre des Affaires étrangères algérien Ahmed Attaf.

« La partie française cherche à bloquer toute initiative européenne »

« Le déséquilibre commercial ou le déficit en investissements directs étrangers ne sont pas du fait uniquement de l’UE, nuance un diplomate européen qui avait suivi le dossier Maghreb à Bruxelles. L’Algérie aurait dû profiter de l’argent du pétrole pour diversifier son économie tout en modernisant son arsenal juridique et banquier au lieu d’imposer des restrictions aux importations », quand l’industrie ne représentait que 3 % de son PIB.

Depuis, Alger a pris la décision de demander à réviser l’Accord d’association. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a estimé en janvier que cette révision « s’impose au regard de la réalité économique actuelle, sachant que depuis son entrée en vigueur, en 2005, les exportations de l’Algérie étaient basées principalement sur les hydrocarbures, alors qu’aujourd’hui nos exportations hors hydrocarbures se sont diversifiées et étendues à d’autres domaines, notamment la production agricole, les minerais, le ciment et les produits alimentaires et autres ». Dans les faits, le volume des exportations hors hydrocarbures a fortement progressé : de 340 millions de dollars en 2020, le chiffre a bondi à 8 milliards en 2024 avec une projection à 30 milliards d’ici à 2029-2030.

Depuis janvier, une série de rencontres se déroulent à Bruxelles et à Alger, souvent peu médiatisées, afin de « travailler sur les propositions des deux parties sur une révision de l’Accord d’association », selon nos sources. « Mais ces nouveaux rounds de discussions restent en grand danger de blocage », avertit une source diplomatique algérienne. Sur fond de crise entre Alger et Paris depuis l’été dernier, provoquée par la reconnaissance de la France de la « marocanité » du Sahara occidental, « la partie française cherche à bloquer toute initiative européenne avec l’Algérie », d’après la même source.

L’appui, de plus en plus fort, de l’Italie de Meloni

Lors de la crise entre Alger et Madrid en 2022, l’Espagne avait bloqué le Conseil de l’Accord d’association, qui requiert dans son fonctionnement l’appui de l’ensemble des signataires, pour protester contre les restrictions économiques imposées par l’Algérie contre les opérateurs espagnols. « On ne peut pas se faire taper sur le bilatéral et laisser Alger faire ce qu’il veut à Bruxelles », assène-t-on à Paris qui semble assumer le bras de fer avec l’Algérie.

La résolution déposée par le RN le 17 février et les appels du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau à bloquer les négociations Alger-UE (dans le cadre de son « rapport de force » avec l’Algérie) autour de l’Accord d’association ne sont que les « signaux visibles » des pistes que peut emprunter Paris contre Alger.

Entre-temps, l’Algérie peut compter sur l’appui, de plus en plus fort, de l’Italie de Meloni qui « milite à Bruxelles pour imposer [son] pays comme le partenaire le plus sûr, au-delà même de l’énergie », d’après un diplomate algérien. L’Italie qui vient de lancer un ambitieux projet de production de céréales, de légumineuses et de pâtes alimentaires dans le désert algérien d’un montant de 420 millions de dollars via la société Bonifiche Ferraresi…


 source: Challenges