CETA : la France pourrait ignorer l’avis du Parlement en cas de rejet
All the versions of this article: [English] [français]
Euractiv | 26 mars 2024
CETA : la France pourrait ignorer l’avis du Parlement en cas de rejet
par Hugo Struna
Alors que le Sénat vient de rejeter l’accord commercial avec le Canada (Ceta) et qu’un nouveau refus se profile à l’Assemblée nationale, la France pourrait ne pas tenir compte de cette décision. L’opposition dénonce une dérive anti-démocratique.
« Si le vote du Sénat n’a pas d’impact […], que le gouvernement ne saisit pas la Commission européenne et ne notifie pas, vous porterez la responsabilité de construire de la défiance vis-à-vis de la politique », a prévenu le sénateur écologiste (Les Verts/ALE) Yannick Jadot après le rejet du Ceta au Sénat jeudi 21 mars, s’adressant au gouvernement.
Après avoir organisé le vote du projet de loi de ratification de l’accord au Sénat, le groupe communiste a annoncé vouloir porter un nouveau vote à l’Assemblée nationale – qui a le dernier mot – le 30 mai prochain, soit 9 jours avant les élections européennes.
En 2019, lorsque le texte a été soumis une première fois à l’Assemblée nationale, le Ceta a été approuvé de peu, alors qu’Emmanuel Macron disposait d’une majorité absolue – désormais relative.
De plus, la crise agricole a porté un coup sévère aux accords de libre-échange, accusés de mettre en concurrence les agriculteurs européens et extraeuropéens.
Il est donc très probable que le texte soit également rejeté par l’Assemblée nationale dans deux mois.
Au niveau de l’UE, seule Chypre s’est aujourd’hui prononcée contre le Ceta. Neuf État membres doivent encore se prononcer, et 17 ont déjà donné leur feu vert.
Pour ratifier l’accord avec le Canada, la Commission européenne doit recueillir l’aval des 27. Un refus catégorique du Parlement français signifierait un refus de la France et repousserait ainsi les possibilités d’une ratification et même du maintien de l’accord temporaire, en cours depuis 2017.
La France pourrait ne pas notifier à Bruxelles
Interrogée sur France Info lundi 25 mars, la tête de liste Renaissance (groupe Renew) pour les élections européennes, Valérie Hayer, a fait entendre que dans un tel scénario, ça serait au gouvernement « de voir quelle position sera prise ».
Pour elle, le Ceta pourrait continuer à être appliqué, même en cas de rejet du Parlement français. Comment ? En ne saisissant pas la Commission européenne.
En cas de rejet par le Parlement d’un État membre, il revient au gouvernement de notifier ce refus à la Commission européenne. L’accord, même temporaire, doit alors être « dénoncé » tel qu’indiqué dans le procès-verbal du Conseil de l’UE de 2016.
Ensuite, « les dispositions nécessaires seront prises conformément aux procédures de l’UE », est-il ajouté. Pour la codirectrice de l’institut Velben, think tank critique du libre-échange, l’exécutif européen pourrait dans ce cas soumettre l’accord une nouvelle fois au Parlement européen et au Conseil. Autant dire que l’accord temporaire en œuvre depuis 2017, et a fortiori sa ratification finale, serait compromis.
Lors du Conseil européen qui se déroulait le même jour que le vote au Sénat, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait dit « prendre acte » du scrutin et appelé à voir « comment la France allait composer » avec ce résultat.
Car rien n’oblige l’État à notifier la situation à la Commission européenne – ce que Chypre a démontré : après que le texte a été rejeté par son Parlement, le gouvernement n’a rien transmis à Bruxelles, espérant un prochain vote favorable.
« Dénis de démocratie »
Les propos de Mme Hayer ont fait beaucoup réagir. L’eurodéputée Leïla Cheibi (La France Insoumise, La gauche) a dénoncé sur X un « déni de démocratie ».
« Il serait inconcevable que ce vote n’ai aucune influence, c’est vraiment le tapis rouge à l’extrême droite ! » avait déclaré Yannik Jadot dans l’hémicycle.
Même son de cloche du côté du Rassemblement national (RN, Identité et démocratie) et de la droite (Les Républicains, Parti populaire européen). Tous ces partis ont voté largement contre le Ceta au Sénat.
Ces procès ne datent pas d’hier : la gauche reproche depuis plusieurs années au gouvernement de ne pas interroger lui-même le Sénat depuis le vote de l’Assemblée nationale en 2019.
Le gouvernement dénonce lui l’opportunisme politique de ces groupes. « C’est un coup politique qui s’est joué sous nos yeux au Sénat. Les sénateurs républicains et communistes ont utilisé le Ceta, pour réaliser une manœuvre politique en pleine campagne pour les Européennes », avait réagi le ministre du Commerce extérieur Franck Riester après le vote.
Vote à haut risque
Pour le gouvernement un rejet du Parlement mettrait de toute façon en péril l’accord temporaire, alors que 90 % de l’accord final est déjà appliqué depuis 2017. Seule la partie investissement sera intégrée en cas de ratification par l’UE.
Le jour du vote au Sénat, le Président Emmanuel Macron avait rappelé, depuis le Conseil européen à Bruxelles, que ce vote « n’a pas de conséquences sur la mise en œuvre provisoire du Ceta ».
« Le vote du Sénat n’aide pas la cause, n’aide pas notre agriculture. Il n’y a pas d’agriculture française sans export possible », avait-il tout de même déploré.
Ainsi, le gouvernement compte bien faire pencher la balance de l’opinion d’ici le 30 mai, lors de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Notamment sur les sujets agricoles, les plus sensibles en France.
Faut-il encore que le vote du 30 mai ait lieu. Selon nos confrères de Contexte, le ministre Franck Riester a laissé penser que le gouvernement pourrait ne pas transmettre le projet de loi à l’Assemblée, l’empêchant ainsi d’organiser un vote.
Lundi, devant les acteurs de l’économie nationale, il a tout de même assuré que le projet de loi allait « continuer son cheminement ». L’Assemblée nationale « aura à se prononcer […] le moment venu », a-t-il ajouté.
Un revers parlementaire neuf jours avant les élections européennes serait un véritable couperet pour la majorité présidentielle. Et pour la survie du Ceta en France et en UE.