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En route vers le nouvel hypermarché transatlantique ?

L’Humanité | Paris | le 9 juin 2006

En route vers le nouvel hypermarché transatlantique ?

Le Parlement européen vient de relancer le projet d’une zone de libre-échange entre les États-Unis et l’UE, un alignement sur le modèle anglo-saxon qui menacel’équilibre mondial.

Près de 800 millions de consommateurs, au pouvoir d’achat le plus élevé de la planète, des multinationales trustant les premières places dans la plupart des secteurs d’activité, les deux plus importantes places boursières du globe... Et aussi un espace où circuleraient librement OGM et boeufs aux hormones, et où les entreprises pourraient, plus que jamais, mettre en concurrence États et travailleurs. Voilà à quoi pourrait aboutir la création d’un marché unique entre les États-Unis et l’Europe. Une fiction ? Pas si sûr. Le 1er juin, à la veille de l’annonce de la fusion entre la première Bourse mondiale, le New York Stock Exchange (NYSE), et la plus grande place continentale, Euronext [1], les députés européens ont voté une résolution demandant de « parachever, sans entraves, le marché transatlantique d’ici à 2015 ». Le but affiché de ce document sans valeur juridique, mais dont la portée politique est majeure, est de favoriser « l’amélioration des relations entre l’Union européenne et les États-Unis » à la veille de leur sommet, le 21 juin prochain.

Abandon de l’idéal multilatéral

Le texte soutenu par le Parlement européen est sans équivoque. Il soutient l’idée d’un nouvel « accord de partenariat transatlantique » à l’horizon 2007, afin d’« établir une "communauté d’action" en matière de coopération mondiale et régionale dans tous les secteurs où sont en jeu les valeurs et les intérêts communs des deux partenaires ». Il s’agit en résumé d’un appel à la création d’un véritable directoire mondial unissant les deux puissances, dans lequel le rôle pivot de l’OTAN, comme « garant de la stabilité et de la sécurité transatlantiques », est réaffirmé avec force. Un discours qui souligne l’approfondissement de l’une des contradictions majeures de l’UE telle qu’elle se construit - c’est-à-dire dominée déjà par les critères économiques anglo-saxons. Contrairement aux affirmations de certains de ces dirigeants, cette Europe-là s’avère incapable de faire émerger un monde multipolaire. Tout au contraire.

C’est au niveau de l’intégration économique que les volontés de rapprochement se font les plus pressantes. Un rapport de la sociale-démocrate Erika Mann, qui a servi de base à la résolution des eurodéputés, demande de fixer, dès le prochain sommet UE-USA, un « nouvel agenda » pour la création de la zone de libre-échange, comprenant des « objectifs concrets selon une approche sectorielle ». Bref, un véritable plan d’attaque pour réaliser l’intégration bilatérale, mais aussi une forme d’alliance, à l’international, pour « créer un environnement plus harmonisé en matière de réglementation », qui s’imposeraient à tous, et surtout aux pays en développement « en mesure d’intervenir à des coûts moindres ».

Déjà verrouillée par des traités faisant du libéralisme la clé de voûte de ses politiques économiques, la construction européenne prendrait avec ce projet de zone de libre-échange un virage plus radical encore, de plus en plus dominée par la référence au modèle anglo-saxon.

Un cas concret, les marchés boursiers

L’une des priorités validées par les eurodéputés est que le marché transatlantique doit être réalisé « dès 2010 » pour ce qui est des « services financiers et des marchés de capitaux ». Sur ce point, leur démarche s’inscrit en parfaite adéquation avec la récente fusion du NYSE et d’Euronext et celle, probable, entre le Nasdaq et la City de Londres. Ces opérations sont rendues possibles par les réformes menées dans les années 2000 par les Quinze pour faire des sociétés de marché des entreprises comme les autres, donc susceptibles d’être rachetées ou de fusionner. Elles sont parfaitement cohérentes aussi avec l’adoption, au 1er janvier dernier par l’UE, des normes comptables américaines. Initiées par les gouvernements libéraux de l’UE, et particulièrement par Londres [2], ces décisions ouvrent aujourd’hui aux acteurs américains du secteur un nouveau terrain d’activité qu’ils contrôleront largement puisque, par exemple, les sociétés de marché nées des fusions annoncées seront soumises au droit des États-Unis.

Pour le député européen Helmut Markhov (GUE), l’un des rares à avoir dénoncé le projet en session plénière, le marché transatlantique remettrait plus largement en cause, à terme, « la possibilité pour l’UE de construire un cadre législatif autonome dans des matières comme les droits sociaux, la protection de l’environnement, la biodiversité et la paysannerie ». Au nom de la lutte contre les « entraves », c’est tout un pan des législations européennes qui pourrait être sacrifié. « On sait qu’avec cette zone de libre-échange, il n’y aura plus moyen de freiner ou d’empêcher l’importation, la production et la consommation d’OGM », pointe Marc Fishers, de la branche belge de l’ONG de promotion du développement durable Nature et Progrès.

Sur le plan social, la tendance serait là aussi à la dérégulation maximale. « Ce projet arrive à un moment où l’on éprouve d’immenses difficultés à achever le marché intérieur européen et surtout à promouvoir sa dimension sociale, comme le montre la directive Bolkestein, souligne Françoise Castex, eurodéputé socialiste, qui a rejeté, contre l’avis de son groupe (PSE), la résolution du Parlement. L’UE est encore trop fragile dans l’affirmation de son modèle social et dans la convergence des politiques fiscales et sociales pour éviter la mise en concurrence des États entre eux. La zone de libre-échange risque de nous aspirer encore plus loin dans cette logique de concurrence. » Pour l’élue française, le fait que la grande majorité du PSE soutienne le projet de marché transatlantique est « révélateur du basculement des sociaux-démocrates européens dans une course vers le modèle libéral américain », un basculement qu’elle attribue avant tout à l’influence grandissante des travaillistes britanniques dans cette famille politique.

Paul Falzon

Notas:

[1Euronext est née de la fusion des Bourses de Paris, Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne.

[2En 2005, Gordon Brown avait fait du « libre marché financier transatlantique » l’une des priorités de la présidence britannique de l’UE.


 Fuente: L’Humanité