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L’accord UE-Mercosur ou l’agenda caché de la Commission européenne

L’Echo | 27 décembre 2024

L’accord UE-Mercosur ou l’agenda caché de la Commission européenne

Par Nicolas de Sadeleer, professeur ordinaire à l’UCLouvain.

L’accord entre l’Union européenne et les pays du Mercosur vise-t-il à troquer une association politique ambitieuse contre un simple accord de commerce extérieur?

Aux joutes institutionnelles qui ont ponctué 25 années de négociations de l’accord UE-Mercosur s’ajoute désormais l’annonce faite le 6 décembre dernier, tambour battant, par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, de la conclusion d’un "accord de principe" qui constituerait "un tournant véritablement historique" dans les négociations. Cet accord devrait, on le sait, déboucher sur la création d’une des plus grandes zones de libre échange au monde, axée notamment sur la suppression des droits de douane sur les exportations de l’UE vers les cinq pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Bolivie) et vice versa.

Le voyage surprise d’Ursula von der Leyen à Montevideo a eu pour effet de courroucer non seulement la France et la Pologne souhaitant depuis plusieurs années une renégociation de plusieurs volets du volet commercial de cet accord, mais aussi le monde agricole craignant d’être submergé par les importations de denrées alimentaires bon marché en provenance des pays du Mercosur.

En revanche, les États partisans d’une conclusion rapide du projet d’accord UE-Mercosur, notamment l’Allemagne et l’Espagne, se réjouissent de ce coup d’éclat. Cette annonce constitue-t-elle un véritable pas en avant dans les négociations? Ou s’agit-il d’un agenda caché visant à substituer à l’accord-cadre interrégional de coopération du 22 mars 1999, particulièrement ambitieux sur un plan politique, un accord de commerce extérieur qui relève d’une compétence exclusive de l’UE. Comment s’y retrouver dans cet imbroglio?

Unanimité pour une association, majorité qualifiée pour un accord de libre échange

Aucun accord commercial n’a été signé à ce jour par la Commission européenne, qui a été autorisée par le Conseil des ministres à négocier un tel accord. La signature par cette institution requiert l’approbation préalable de la formation Commerce du Conseil des ministres de l’UE, lesquels sont divisés en l’état actuel des choses. Alors, qu’en est-il? Les données fondamentales du problème, qui revêt une "importance constitutionnelle", nous paraissent en tout cas inchangées.

La Commission raccroche le projet d’accord de principe à la politique commerciale de l’UE, compétence exclusive de cette dernière, ce qui a pour effet de dessaisir les États de leurs prérogatives externes. Sa mise en œuvre ne tarderait donc pas, à la différence de l’accord de libre échange entre l’UE et le Canada qui ne fait que l’objet d’une application provisoire.

Cependant, le mandat de négociation accordé en 1999 par le Conseil des ministres à la Commission était clair: l’objectif final consistait en l’établissement d’une association régionale de caractère à la fois "politique et économique". Or, le traité prévoit que "pour les accords d’association", le Conseil statue à l’unanimité. Tout État membre peut dès lors opposer son droit de véto à sa signature et à sa conclusion. En revanche, si l’accord dit de principe relève d’une compétence exclusive, comme le prétend la Commission, les États récalcitrants risquent d’être mis en minorité au sein du Conseil.

En concluant le 6 décembre dernier avec le Mercosur un accord de principe principalement commercial, la Commission européenne semble avoir excédé son mandat, ce qui explique sans doute le manque de transparence dans les négociations.

Manque de loyauté de la part de la Commission

Assurément, le problème est davantage juridique que politique. Comme il s’agit d’une question de répartition des compétences entre l’UE et les États membres, les traités fondateurs prévoyant des équilibres fort subtils, seule la Cour de justice de l’UE est en mesure de trancher le différend qui oppose la France et la Pologne à la Commission européenne.

La haute juridiction de l’UE devrait alors vérifier si l’adoption du projet d’accord qui serait soumis aux 27 ministres du Commerce extérieur requiert l’unanimité (association) ou la majorité qualifiée (politique commerciale commune). La Cour pourrait être saisie par un État membre en vue de rendre un avis contraignant sur la question. En cas d’avis négatif, la Commission devrait obtenir un nouveau mandat de négociation.

On pourrait en tout cas reprocher à la Commission européenne son peu d’enthousiasme à se conformer aux principes de la coopération loyale et de l’équilibre institutionnel, ainsi que son manque de transparence sur des enjeux constitutionnels, alors que cette institution est parvenue à engranger ces derniers mois plusieurs avancées dans le cadre des négociations commerciales.


 source: L’Echo