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L’intégration de «clauses vertes» dans les accords commerciaux agite l’UE

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EurActiv | 24 octobre 2017

L’intégration de «clauses vertes» dans les accords commerciaux agite l’UE

par Frédéric Simon

Au niveau européen, le consensus est acquis sur la nécessité de lutter contre le dumping social et environnemental. Mais les outils pour y parvenir font débat.

Alors que l’Europe s’embarque dans un nouveau cycle de négociations commerciales avec le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Mercosur, les appels sont de plus en plus nombreux pour que l’UE intègre aux accords commerciaux des clauses sociales et environnementales.

« Je voudrais dire une bonne fois pour toutes : nous ne sommes pas des partisans naïfs du libre-échange », a déclaré Jean-Claude Juncker dans son discours sur l’état de l’Union au Parlement européen en septembre dernier.

« Le commerce, c’est l’exportation de nos normes sociales et environnementales, et de nos normes en matière de protection des données ou de sécurité alimentaire », avait-il déclaré avant d’annoncer une « nouvelle stratégie industrielle » qui mettra l’innovation, la numérisation et la décarbonisation de l’économie au centre de la politique commerciale de l’UE.

Depuis, le débat a franchi une étape, à partir notamment du document de discussion de la Commission européenne publié en juillet, qui aborde la mise en œuvre des chapitres sur le développement durable dans les accords commerciaux de l’UE.

Le premier chapitre sur le commerce et le développement durable (TSD) a été adopté dans le cadre de l’accord de libre-échange entre l’UE et la Corée du Sud en 2011. Le véritable enjeu est la mise en œuvre de ces clauses. Jusqu’où ira l’Europe pour imposer des sanctions aux pays qui enfreignent les règles ? Sur ce point, il n’y a plus de consensus.

Pour les ONG environnementales, « le non-respect des conditions environnementales et de développement durable doit avoir des conséquences, si ces clauses sont prises au sérieux ». Cela voudrait dire introduire un mécanisme de règlement des différends semblable aux tribunaux envisagés pour protéger les intérêts des investisseurs privés dans l’accord UE-Canada, le CETA.

« Toute violation des dispositions environnementales dans les accords commerciaux devrait être sujette au même règlement des différends entre États que pour les violations des clauses commerciales », indique une nouvelle étude de l’ONG Transport & Environment (T&E), publiée le 24 octobre.

« Les accords commerciaux de nouvelle génération continuent d’exclure l’utilisation du règlement des différends entre États pour les chapitres sur le développement durable », explique T&E, qui veut que l’inclusion et la mise en œuvre de telles clauses soient la condition à la libéralisation du commerce.

Dans la pratique, cela veut dire intégrer des critères environnementaux comme les émissions de gaz à effet de serre, l’utilisation des terres, la qualité de l’eau et de l’air dans les enquêtes de l’UE pour l’imposition de droits antidumping.

« Il devrait aussi y avoir une fiche d’évaluation pour s’assurer que les nouveaux partenaires commerciaux de l’UE appliquent les accords mondiaux sur l’environnement comme l’accord de Paris sur le climat », estime Cécile Toubeau, chargée du commerce chez T&E.

Des réclamations qui ont tout pour plaire à certains secteurs de l’industrie, comme les sidérurgistes européens, qui se plaignent souvent des importations à bas prix depuis la Chine.

De l’autre côté de l’échiquier se trouve BusinessEurope, le lobby européen des employeurs, qui considère aussi les enjeux environnementaux comme une priorité dans le commerce, mais pour de tout autres raisons.

« Chercher des moyens d’accroître l’efficacité et la mise en œuvre des chapitres commerce et développement durable dans les accords de libre-échange est une bonne chose tant que ça ne fait pas obstacle au pouvoir de négociation de l’UE et à son engagement avec ses partenaires commerciaux », a déclaré Emma Marcegaglia, présidente de BusinessEurope, lors d’un sommet à Bruxelles le 18 octobre.

« L’UE devrait donc mettre en place un système s’appuyant sur des incitatifs positifs plutôt que sur des sanctions », a-t-elle commenté, faisant référence aux nouveaux accords négociés, contenant des chapitres TSD.

Sables mouvants

Alors que l’Allemagne, soutenue par le Royaume-Uni, a toujours plaidé en faveur d’une politique commerciale débridée, sa position pourrait changer au vu de l’opposition générale de l’opinion publique à l’accord de libre-échange avec le Canada et des politiques américaines de plus en plus protectionnistes.

En mai, les ministres du Commerce belge, finlandais, luxembourgeois, suédois et néerlandais – autrement dit les pays champions du libre-échange – ont envoyé une lettre à la commissaire européenne Cecilia Malmström pour demander « d’améliorer la mise en œuvre des clauses sur le développement durable » dans la politique commerciale européenne.

Pour le moment, la France semble se situer quelque part au milieu du débat, probablement par courtoisie pour la chancelière allemande, Angela Merkel, plongée dans des négociations gouvernementales délicates avec les libéraux et les verts, deux partis aux points de vue diamétralement opposés sur la politique commerciale.

Néanmoins, la position traditionnelle de Paris est de soutenir une « plus grande réciprocité » dans les négociations commerciales, y compris lorsqu’il s’agit de normes environnementales et de travail.

La semaine dernière, à la fin des deux jours de Conseil européen (19 et 20 octobre), Emmanuel Macron a appelé à une « réforme de la politique commerciale européenne », basée sur les principes d’« équité et de réciprocité ». Une requête de longue date puisque la France se plaint depuis de nombreuses années de la vigueur de l’euro favorisant l’Allemagne et pénalisant les exportations françaises.

Emmanuel Macron n’entre pas en rupture avec cette position, mais place la discussion dans un autre contexte que ses prédécesseurs. Pour lui, l’Europe est désormais confrontée à un double défi sur le commerce.

« Le défi interne » est de reconstruire la confiance du public vis-à-vis de la politique commerciale, qui a été sérieusement ébranlée avec la débâcle sur le CETA, alors que le « défi externe » est de poursuivre un programme de croissance pour l’Europe « à un moment où les États-Unis penchent pour une politique isolationniste ».

Dans ce contexte, Emmanuel Macron insiste sur une transparence accrue dans les négociations commerciales et sur le renforcement des aspects liés à l’application des accords commerciaux.

« Je veillerai sérieusement à ce que dans chacun de ces accords, le principe de réciprocité soit respecté, pour que nos normes plus strictes en matière d’environnement soient respectées et que nos critères sociaux soient aussi pris en compte », a déclaré le président français.

Malmström hésitante

La commissaire européenne en charge du commerce, Cecila Malmström, semble quant à elle être indécise. Dans un discours le 6 octobre, elle affirmait que deux scénarios étaient possibles :

  • un partenariat plus actif basé sur les mécanismes d’application actuels (pour T&E, c’est le statu quo) ;
  • des avancées vers un modèle d’application basé sur des sanctions et à définir.

« Contrairement à certains avis, les chapitres commerce et développement durable de l’UE sont contraignants et sujets à un mécanisme de règlement des différends », a rappelé la commissaire suédoise. En intégrant les conventions – comme l’Organisation internationale du travail et les accords multilatéraux sur l’environnement – l’UE « n’est pas seulement liée aux obligations contenues dans ces conventions, mais aussi aux mécanismes d’application et de contrôle », a-t-elle souligné.

Des organismes multilatéraux comme l’OIT ou l’ONU ont en effet mis en place des mécanismes pour suivre la mise en œuvre des conventions internationales, a-t-elle rappelé, tout en ajoutant que les Européens devraient prendre cela en compte « avant de réinventer la roue ». « D’un point de vue plus pragmatique, je pense que la question fondamentale est de savoir ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, et de quels outils nous avons besoin pour régler cela. »

Plus généralement, l’exécutif européen met l’accent sur les « valeurs européennes » déjà reflétées dans la politique commerciale, comme le respect des droits de l’Homme, les normes basiques sur le traitement des travailleurs ou la protection de l’environnement.

« Les conditions de l’octroi de préférences commerciales autonomes aux pays en développement, dans le cadre du système de préférence généralisé (SPG), nous aident à prévenir les violations de normes internationales », explique la Commission, tout en rappelant que les avantages commerciaux ont déjà été retirés au Sri Lanka, à la Birmanie et à la Biélorussie par le passé.

« Les conditions environnementales font partie de notre Système généralisé de préférences [SPG] », explique une source de la Commission, tout en ajoutant qu’elles sont aussi incluses dans les nouveaux accords commerciaux de l’UE qui intègrent des garanties légales sur l’environnement.

« Les chapitres commerce et développement durable possèdent un mécanisme dédié suivant un modèle normal avec des consultations gouvernementales, un groupe d’experts indépendants et des publications de rapports obligatoires avec des recommandations. Le système permet aussi des interactions à tous les stades avec des experts et avec les groupes de la société civile », continue le représentant européen.

Alors que le débat continue sur les changements à opérer aux TSD, Emmanuel Macron augmente la pression sur la Commission pour qu’elle sanctionne le dumping et les pratiques commerciales déloyales plus « rapidement et vigoureusement » que dans le passé. « Nous aurons l’occasion dans les prochaines semaines d’avoir un large débat » sur la politique commerciale », a-t-il assuré.


 source: EurActiv