L’UE veut introduire des objectifs d’autosuffisance pour les matières premières
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Euractiv | 9 December 2022
L’UE veut introduire des objectifs d’autosuffisance pour les matières premières
par Frédéric Simon
La Commission européenne envisage d’augmenter l’autosuffisance de l’UE en matière de matières premières clés nécessaires aux transitions écologique et numérique, avec des objectifs allant jusqu’à 30 % pour certaines d’entre elles, selon un haut responsable de l’UE.
En septembre, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a annoncé le lancement d’une réglementation sur les matières premières critiques. L’objectif de celle-ci est de lutter contre la dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Chine en matière de métaux et de minéraux nécessaires à la fabrication de tous types de produits, des éoliennes aux batteries de voitures électriques en passant par les smartphones.
« Nous devons éviter de redevenir dépendants, comme nous l’avons fait avec le pétrole et le gaz », a souligné Mme von der Leyen. L’UE identifiera des projets stratégiques tout au long de la chaîne d’approvisionnement, de l’extraction au raffinage, à la transformation et au recyclage, a-t-elle poursuivi.
L’exécutif européen s’emploie actuellement à rédiger un projet de loi qui devrait être présenté au cours du premier trimestre de 2023. Les responsables indiquent que la proposition contiendra des objectifs visant à accroître l’autosuffisance de l’Europe pour certaines matières premières.
« Nous devons essayer d’atteindre un certain pourcentage de capacité à fournir notre propre demande », a déclaré Peter Handley, un haut responsable de la direction du Marché intérieur de la Commission. « Nous devrions chercher à fournir jusqu’à 30 % de nos besoins pour certaines choses », a-t-il déclaré lors d’un événement EURACTIV la semaine dernière.
Que l’objectif soit fixé à 10 ou 30 % dépendra des matériaux ainsi que du stade auquel ils se trouvent dans la chaîne de valeur — qu’il s’agisse de l’exploitation minière, du traitement ou du recyclage en fin de vie, a expliqué M. Handley.
Bien entendu, « une autosuffisance à 100 % n’est pas un objectif » et elle ne serait de toute façon pas réalisable du simple fait des contraintes géologiques, a admis M. Handley.
« Mais nous voulons fixer des points de destination dans notre règlement sur les matières premières critiques afin de montrer réellement que l’objectif est d’augmenter le niveau de capacité à répondre à nos propres besoins », a-t-il souligné. Il a également déclaré que cela mettrait l’UE « dans une position beaucoup plus forte » par rapport aux pays fournisseurs.
Anna-Michelle Asimakopoulou, eurodéputée grecque née à New York et vice-présidente de la commission du Commerce international du Parlement européen, a convenu avec M. Handley que l’autosuffisance à 100 % était probablement « utopique » et « hors de question » pour le moment.
Néanmoins, « je pense que nous devrions tout de même viser cet objectif », a-t-elle déclaré. Et d’ajouter : « Si vos objectifs et vos rêves ne sont pas effrayants, alors je pense qu’ils ne sont pas assez grands ».
En ce qui concerne les relations avec les pays fournisseurs, Mme Asimakopoulou a évoqué les accords de libre-échange que l’UE a conclus avec le Canada, le Japon et le Vietnam et qui contiennent des dispositions relatives aux matières premières. Des discussions sont par ailleurs en cours pour inclure un chapitre sur les matières premières dans les accords commerciaux avec le Chili et l’Australie, a précisé Mme Asimakopoulou.
Pour les autres pays, elle a recommandé de forger des « partenariats stratégiques », qui sont plus faciles à conclure que les accords de libre-échange. « Nous avons connu les partenariats stratégiques avec l’Ukraine. Nous en avons eu un autre avec la Namibie. Espérons que nous en aurons un avec la Norvège », a-t-elle poursuivi.
Dans tous les cas, selon elle, l’Europe devrait être « beaucoup plus agressive » pour protéger son industrie. « Vous savez, c’est ce que font les États-Unis, c’est ce que fait la Chine depuis toujours. Et parfois, la meilleure défense, c’est l’attaque. Et il est temps de passer à l’offensive. »
Matières premières stratégiques
L’UE a jusqu’à présent classé 30 matières premières comme étant « critiques », en fonction du risque d’approvisionnement et de leur importance économique.
Les préoccupations de l’UE en matière d’approvisionnement ne concernent toutefois pas uniquement les métaux exotiques tels que les terres rares, mais aussi des métaux plus communs tels que l’aluminium et le cuivre, qui sont considérés comme « stratégiques » en raison de leur omniprésence.
Dans le cadre de sa réglementation sur les matières premières critiques, la Commission « ira au-delà des terres rares classiques et du scandium » pour se concentrer également sur d’autres métaux nécessaires à la transition écologique, a déclaré M. Handley. « Et il est clair que le cuivre sera nécessaire à l’électrification de l’économie mondiale », a-t-il ajouté.
Le problème a été identifié il y a déjà plusieurs années. Afin de produire une éolienne de 3 mégawatts, les fabricants ont besoin de 335 tonnes d’acier, 4,7 tonnes de cuivre, 1 200 tonnes de béton, 3 tonnes d’aluminium, 2 tonnes de terres rares ainsi que du zinc.
« Pour moi, cela illustre vraiment le volume de matières premières dont vous avez besoin pour la transition écologique », a déclaré le vice-président de la Commission, Maroš Šefčovič. Ce dernier avait mis en garde contre de nouvelles dépendances lors d’un entretien avec EURACTIV en 2018.
Les responsables de l’UE ou les représentants de l’industrie ne sont pas les seuls à tirer la sonnette d’alarme : les groupes de défense de l’environnement ont également commencé à comprendre que la transition écologique nécessitera une plus grande attention aux matières premières.
« L’aluminium, le cuivre, l’acier — tous ces éléments sont essentiels », a déclaré Julia Poliscanova, chargée de campagne à l’ONG Transport & Environment (T&E), spécialisée dans la mobilité propre.
Pour elle, cela signifie également qu’il faut porter un regard nouveau sur les opportunités minières en Europe, en accélérant les procédures d’autorisation pour les projets miniers de qualité.
« Nous disposons d’une certaine capacité d’extraction de matières premières en Europe, et nous devrions nous y lancer en respectant des normes élevées et en faisant participer les communautés », a déclaré Mme Poliscanova. Dans les pays moins développés tels que les pays africains, les entreprises européennes pourraient exporter leur savoir-faire afin d’améliorer les conditions d’exploitation minière dans ces pays, a-t-elle ajouté.
« Nous devons soutenir non seulement les projets nationaux, mais aussi les projets internationaux dans le domaine de l’exploitation minière, et plus particulièrement dans le domaine du raffinage et du recyclage », a-t-elle indiqué, exhortant l’Europe à intensifier ces projets.
Au-delà du recyclage, il convient d’accorder une plus grande attention aux projets dits de « re-minage », qui exploitent les déchets miniers en tant que ressource, a fait remarquer Mme Poliscanova. Elle a également précisé que les sites de ce type sont nombreux dans des pays comme la République tchèque.
« En réalité, les États-Unis ont déjà fait cela — ils ont déjà planifié le potentiel et se lancent dans cette voie. Nous devrions faire de même en Europe : cartographions-le », a-t-elle déclaré. Selon elle, il s’agit d’une « véritable opportunité commerciale ».
L’aluminium
En revanche, le tableau est plus sombre pour l’aluminium, dont la production en Europe n’a cessé de décliner au fil des ans.
Aujourd’hui, l’Europe importe 47 % de son aluminium primaire, la Chine contrôlant désormais 60 % de la capacité de production mondiale, suivie par la Russie.
« Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est une désindustrialisation massive en Europe », a averti Paul Voss, directeur général de l’association professionnelle European Aluminium.
Cette situation se produit en dépit d’une demande croissante pour le métal, qui est utilisé dans les voitures électriques, les câbles électriques ou les panneaux solaires dont l’aluminium constitue 85 % du contenu total.
« Il y a environ 4 millions de tonnes de demande supplémentaire pour le métal qui proviendront uniquement de la transition vers une énergie propre », a indiqué M. Voss. Il a également appelé les responsables politiques à penser de manière plus stratégique aux matières premières.
Mme Asimakopoulou a abondé dans le même sens. « Pour éviter les futures crises, nous devons être beaucoup plus stratégiques dans la façon dont nous considérons les matières premières critiques, et l’aluminium est stratégique », a-t-elle déclaré.