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L’Ukraine rate l’occasion de se rapprocher de l’Europe

La Croix | 19/12/11

L’Ukraine rate l’occasion de se rapprocher de l’Europe

 Un sommet entre dirigeants de l’Ukraine et de l’Union européenne s’est tenu lundi 19 décembre à Kiev.
 Déçus par les reculs de la démocratisation du pays, les Européens refusent de signer un accord de libre-échange.}

L’Ukraine dispose de métaux et de céréales à exporter, l’Union européenne, de produits de qualité et d’un vaste marché unifié. Tout est prêt techniquement pour un accord de libre-échange entre les deux parties. Seulement, l’Europe n’est pas d’humeur à signer une telle ouverture des relations à un moment où l’Ukraine s’éloigne de la démocratisation et de l’état de droit. C’est dans ce climat tendu que s’est déroulé un sommet UE-Ukraine lundi 19 décembre, à Kiev, dont la tenue fut même un temps remise en cause par les Européens, représentés par Herman Van Rompuy pour le Conseil européen et José Manuel Barroso pour la Commission.

En cause, « la contradiction entre l’objectif politique du gouvernement actuel et sa pratique », dénonce sans ambages à La Croix le représentant de l’UE en Ukraine, José Manuel Texeira. Cette « contradiction », pour l’ambassadeur européen, ne provient pas du fait que l’arrivée au pouvoir l’an dernier du président Viktor Ianoukovitch s’accompagne d’un « rapprochement avec la Russie » . Au Quai d’Orsay non plus, on ne veut pas sommer l’Ukraine de choisir entre ses voisins de l’Est et de l’Ouest.

La diplomatie européenne s’irrite des récents et graves manquements de Kiev aux droits de l’homme, à l’économie de marché et à l’état de droit, clairement incompatibles avec un rapprochement à l’UE. « Quel modèle de société l’Ukraine veut pour elle-même ? », interroge l’ambassadeur José Manuel Texeira, énumérant les « fraudes aux élections municipales l’an dernier, la liberté des médias en baisse, la proportion d’oligarques dans les cercles du pouvoir » .

Torpillage de l’accord par Viktor Ianoukovitch

Autant de « pas en arrière » en un an et demi. L’incarcération depuis août de Ioulia Timochenko, principale opposante au président Ianoukovitch, condamnée à sept ans de prison, fut celui de trop.

Depuis l’espoir suscité par la « révolution orange » de 2004, l’Ukraine a déçu l’Europe, qui, sans ouvrir une perspective d’intégration complète à l’Ukraine, avait tracé la voie en 2008 à ce qui peut s’en rapprocher le plus : un accord d’association, incluant un accord approfondi de libre-échange et, à terme, de libre circulation des Ukrainiens, encore aujourd’hui tenus d’obtenir un visa pour séjourner en Europe.

Viktor Ianoukovitch « voudrait torpiller aujourd’hui cet accord d’association avec l’Europe qu’il ne s’y prendrait pas autrement », résume un diplomate français. « Les grands oligarques, comme Akmetov (NDLR : plus grande fortune d’Ukraine), sont en faveur de l’Europe afin d’accéder à son marché. Mais ils veulent sauver leurs monopoles dans l’économie ukrainienne », analyse le politologue Volodymyr Fessenko. « L’accord avec l’Europe n’est pas à la carte, il forme un tout », rétorque José Manuel Texeira.

Vulnérabilité face à l’Europe et la Russie

Côté russe, un rapprochement n’est guère plus aisé. La Russie presse Kiev de rejoindre l’union douanière qu’elle forme déjà avec le Kazakhstan et la Biélorussie. Mais les oligarques ukrainiens, réputés tenir le véritable pouvoir dans le pays, n’y trouvent guère leur intérêt. Et, affirme la diplomatie européenne, cette adhésion serait incompatible avec un accord de libre-échange avec l’UE.

La priorité du gouvernement ukrainien est, plus prosaïquement, de négocier une baisse du prix du gaz que le pays importe de Russie. Dans un premier accord, conclu en avril 2010, Moscou avait obtenu en contrepartie le prolongement de sa base navale à Sébastopol en mer Noire jusqu’en 2047. Cette fois, le nouvel objet de compensation reste à négocier.

En renonçant à briguer une entrée dans l’Otan, en évitant de froisser Moscou sur les contentieux historiques du passé, à l’inverse de son prédécesseur, Viktor Ianoukovitch attend encore un geste en retour des Russes. Comme s’en désolent les Ukrainiens, le pays, vingt ans après le référendum pour son indépendance, fait la preuve de sa vulnérabilité, à l’égard des Européens comme des Russes.

SÉBASTIEN MAILLARD, à KIEV


 source: la Croix