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« L’Union européenne a mieux à offrir au Brésil qu’un accord commercial “viande contre voitures”, vestige du monde d’avant »

Le Monde | 11 décembre 2023

« L’Union européenne a mieux à offrir au Brésil qu’un accord commercial “viande contre voitures”, vestige du monde d’avant »

A l’occasion de la COP28 et après l’élection de Javier Milei en Argentine, il serait raisonnable d’abandonner l’accord UE-Mercosur et d’engager un nouveau partenariat sur le climat et la biodiversité avec le Brésil, estime, dans une tribune au « Monde », un collectif d’universitaires emmené par François Gemenne et Dominique Méda.

A travers les expériences diplomatiques avec Donald Trump aux Etats-Unis et Jair Bolsonaro au Brésil, l’Union européenne (UE) semblait avoir forgé une forme de doctrine qui consistait à ne pas signer d’accord de commerce avec des pays qui piétinent leurs engagements climatiques. Refuser l’octroi de nouvelles préférences commerciales à ceux qui refusent de mettre en œuvre l’accord de Paris apparaissait en effet comme essentiel pour aligner la politique commerciale avec la politique climatique.

Tout portait donc à croire que l’élection d’un président d’extrême droite et climatosceptique en Argentine, Javier Milei, favorable à une sortie de son pays du Mercosur [communauté économique de pays regroupant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et le Venezuela], bloquerait instantanément les discussions pour la finalisation de l’accord de commerce entre l’UE et les pays du Mercosur. Sur la table depuis 2019, cet accord est déjà largement critiqué en raison des impacts environnementaux anticipés.

C’était sans compter la détermination des présidences espagnole de l’UE et brésilienne du Mercosur, qui avaient pour objectif d’aboutir d’ici à la fin de l’année 2023. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, n’a en effet pas attendu pour féliciter le nouveau président argentin dans un communiqué : « Le nouveau gouvernement argentin, qui prend ses fonctions dans un contexte économique difficile, peut compter sur l’UE pour renforcer encore notre partenariat afin d’obtenir des résultats positifs pour nos sociétés, notamment en finalisant dès que possible les négociations sur l’accord d’association UE-Mercosur. »

Selon un porte-parole européen, contacté par le média en ligne Contexte, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président brésilien, Lula, auraient convenu au lendemain de l’élection en Argentine de ne pas changer leurs plans et de se rencontrer à Dubaï pendant la COP28. Pire, la victoire de Javier Milei pourrait même accélérer la conclusion des négociations.

Fouler ses propres valeurs

Nous ne pouvons nous résoudre à croire que l’UE pourrait fouler ainsi ses propres valeurs à quelques mois du scrutin européen. Pascal Canfin, président de la commission environnement au Parlement européen, a indiqué que pour les eurodéputés français du groupe Renaissance, la conclusion d’un accord avec Milei était impossible. Il faut aujourd’hui que se fasse entendre une parole forte de la France, au plus haut niveau, pour éviter de bercer le gouvernement brésilien dans de faux espoirs. Cette clarté est d’autant plus indispensable que les Etats membres européens apparaissent plus divisés que jamais : l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas et la France ne paraissent pas en mesure de donner leur feu vert à un tel accord.

Surtout, nous avons mieux à offrir au Brésil qu’un accord commercial « viande contre voitures », véritable vestige du monde d’avant. Il est temps de remiser cet accord obsolète et de développer un partenariat stratégique sur le climat et la biodiversité ; un partenariat fondé non pas sur la compétition mais sur la coopération. Fernando Haddad, le ministre des finances brésilien, vient de présenter à la COP28 un plan de transformation écologique ambitieux qui nécessitera beaucoup de financements publics et privés et de l’assistance technique. Une occasion pour l’UE de démontrer qu’elle peut être un partenaire à la hauteur en aidant Lula à faire du Brésil le premier pays émergent à baisser les inégalités, réussir sa transition et à protéger l’Amazonie.

Laurence Dubin, professeure agrégée de droit public à Paris-I-Panthéon-Sorbonne ; François Gemenne, président du conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme (FNH) ; Patrick d’Humières, enseignant et conseil en responsabilité d’entreprise ; Dominique Méda, présidente de l’Institut Veblen ; Sabrina Robert, professeure de droit international public à Nantes Université ; Olivier de Schutter, professeur à l’Université catholique de Louvain.


 source: Le Monde