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La frénésie actuelle pour les ALE

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La frénésie actuelle pour les ALE

bilaterals.org et GRAIN
Septembre 2007

L’adoption des ALE bilatéraux en tant qu’outil de choix pour l’imposition de la néolibéralisation aujourd’hui repose sur deux piliers historiques : l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui a démontré ce qu’un ALE peut faire pour dynamiser l’expansion de la globalisation capitaliste ; et l’effondrement du cycle de Doha de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui a laissé la place libre pour de nombreux autres ALENA.

L’ALENA, signé entre le Mexique, le Canada et les États-Unis en 1992, était l’extension de l’ALE Canada-États-Unis qui a pris effet en 1989. De par son contenu et sa dynamique politique et économique nord-sud, il devint une sorte de modèle pour la vague d’accords commerciaux bilatéraux qui allait survenir. L’ALENA innovait en :

  • Abolissant les tarifs douaniers sur les importations agricoles américaines. Le maïs, le lait et d’autres produits américains devinrent si bon marché au sud du Rio Grande que leurs ventes purent dépasser celles des produits mexicains. En conséquence, plus d’un million de paysans mexicains ont été forcés d’abandonner leurs terres, incapables de concurrencer l’agro-industrie américaine subventionnée.
  • Facilitant l’établissement d’entreprises américaines au Mexique pour l’assemblage de produits usinés et leur réexpédition bon-marché vers les États-Unis. Le prix a été payé par les travailleurs mexicains : suppression des droits du travail, augmentation de la violence sociale (plus particulièrement contre les femmes) et incitation à l’émigration.
  • Donnant aux grandes sociétés américaines et canadiennes le droit légal d’engager des poursuites contre le gouvernement mexicain pour toute décision politique ou omission affectant directement ou indirectement les perspectives de profitabilité de leurs investissements au Mexique. Le gouvernement mexicain a été poursuivi pour plus de 1,7 milliards de dollars US dans 15 différends investisseur-état dans le cadre de l’ALENA depuis 1996. [1]
  • Fournissant une plateforme permettant aux États-Unis d’imposer leurs politiques de sécurité et d’immigration au Mexique (sous le « partenariat ») et, cela va sans dire, leurs normes en termes d’environnement et de travail qui servent les intérêts des grandes sociétés américaines. On peut trouver un exemple de ce que cela signifie dans le domaine des biotechnologies, où le Mexique a pris la tête du mouvement visant à établir la prééminence juridique des dispositions des ALE en matière d’étiquetage des aliments génétiquement modifiés sur (et contre) celles du protocole sur la biosécurité de la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies. [2]

L’ALENA a tout simplement établi un nouveau paradigme de ce que les ALE peuvent offrir aux sociétés transnationales.

Alors que la pleine mesure de l’énorme impact de l’ALENA est encore en développement, le système commercial multilatéral est entré dans une sévère phase d’inertie, donnant une impulsion sans précédent aux ALE en tant que moyen de dynamiser la libéralisation du commerce et de l’investissement. Le cycle actuel de négociations commerciales de l’OMC — visant à réduire les tarifs douaniers sur les marchandises agricoles et usinées importées, à ouvrir le commerce dans le domaine des services, à déréguler les pêcheries, etc. — n’a pratiquement abouti à rien. Il n’a pas pu démarrer à Seattle, en novembre 1999, à cause des tensions existantes entre les membres de l’OMC au sujet du rythme et de l’envergure des négociations de l’OMC, d’un ressentiment croissant envers la domination d’une poignée de gouvernements du nord, et la pression extérieure venant des manifestations de rue massives qui ont secoué la ville pendant la réunion des membres de l’OMC. Peu après le début du cycle de Doha, en novembre 2001, il se heurta à un mur à Cancun, en septembre 2003, lorsque l’exaspération politique créée par le refus de l’UE et des États-Unis de réduire leurs subventions nationales à l’agriculture (alors qu’eux-mêmes demandaient aux autres pays d’ouvrir de nouveaux domaines à la libéralisation) était tout simplement intolérable pour les gouvernements du sud, menés par l’Inde et le Brésil. Les négociations s’écroulèrent une fois encore à Genève, en juillet 2006. Des tentatives ultérieures visant à ressusciter les négociations ont pour l’instant échoué, mais il serait imprudent de complètement cesser de prendre l’OMC au sérieux.

Dans cette série de crises, deux moments ont été essentiels :

  • Cancun a déclenché un changement important de la pression et une focalisation sur les ALE. Robert Zoellick, alors représentant du commerce américain, répliqua immédiatement avec son programme de « libéralisation concurrentielle », par lequel les États-Unis montaient les pays du sud les uns contre les autres pour qu’ils se battent pour entrer sur le marché américain, un par un et de façon sélective. En un temps record, Washington annonçait des négociations ALE avec la Thaïlande, l’Équateur, le Pérou, la Colombie puis, peu après avec cinq pays d’Amérique centrale. Le Japon, la Chine et nombre d’autres gouvernements de la région Asie-Pacifique ont également commencé à se pencher attentivement sur la question des ALE et se sont lancés dans les négociations. C’est pendant cette période que de nombreuses personnes adoptèrent la phrase d’un économiste de l’université de Columbia, Jagdish Bhagwati, « l’effet du bol de spaghetti » pour décrire les dangers d’un réseau compliqué de règles commerciales bilatérales divergentes venant remplacer un système multilatéral plus cohérent que seul un forum mondial comme l’OMC pourrait maintenir.
  • La suspension du cycle de Doha, en juillet 2006, a également fait prendre un sérieux virage vers les ALE. Tandis que les États-Unis n’entamèrent pas de nouvelles négociations en conséquence, l’UE, quant à elle, fut stimulée et elle débuta d’importantes négociations ALE avec 21 pays d’Amérique latine et d’Asie. Cependant, à cette époque, beaucoup de choses avaient changé depuis Cancun. Les pays d’Amérique latine avaient plus ou moins « enterré » l’initiative de zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) et certains, menés par le Venezuela, s’étaient embarqués dans une Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA) rivale. Le Venezuela avait abandonné la Communauté andine et avait rejoint le MERCOSUR en signe de protestation contre les ALE de plusieurs pays andins avec Washington. Les 77 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique du groupe ACP entraient dans la phase finale de leurs négociations avec Bruxelles sur les accords de partenariat économique (APE). Et la Chine, s’étant assurée d’accords partiaux mais importants avec la Thaïlande et avec l’ASEAN en général — en plus de commencer à s’impliquer avec les pays occidentaux par des initiatives de négociations d’ALE globaux avec la Nouvelle-Zélande, puis avec l’Australie — s’embarquait dans une stratégie d’ALE plus large à multiples échelons.

La conformité avec les accords de l’OMC était déjà extrêmement difficile, mais des accords bilatéraux avec des dispositions plus exigeantes que celles de l’OMC sont encore plus ardus. Il est clair que la stratégie des accords bilatéraux est considérée par les négociateurs commerciaux de l’UE et des États-Unis comme un moyen de faire aller les gouvernements encore plus loin, et plus rapidement, tandis qu’ils échouent à parvenir à ce qu’ils souhaitent à l’OMC.

Les ALE comparés à l’OMC

Alors qu’ils semblent aller dans des directions différentes, les ALE bilatéraux et l’OMC multilatéral créent une émulation réciproque de nombreuses façons.

  • Les ALE semblent plus limités que l’OMC en ce qui concerne les parties affectées — mais il ne s’agit que d’une apparence. L’ALE Canada-Corée, par exemple, affecte principalement les opportunités commerciales — et par conséquent les emplois, les droits sociaux et toutes sortes de marchés régis par des cadres réglementaires — entre le Canada et la Corée. Mais, grâce au principe de « nation la plus favorisée » que tous les membres de l’OMC doivent respecter, tout privilège octroyé par la Corée au Canada dans le cadre d’un tel ALE, devra être étendu aux autres pays signant des accords similaires avec la Corée. Donc, alors que les ALE se limitent aux pays signataires, il existe un effet boule de neige intrinsèque qui étend les privilèges de marché bilatéral aux autres. Ceci facilite grandement le développement de nouvelles réglementations et normes internationales, du bas vers le haut. Plutôt que de négocier des politiques ou des bonnes pratiques — par exemple, mettre fin aux obstacles à l’investissement — au niveau mondial (c’est-à-dire de façon lente et visible), les pays peuvent créer une série de faits accomplis en les étendant par le biais des accords bilatéraux. Cet effet viral est l’un des principaux avantages des ALE pour les puissances comme les États-Unis, la Suisse, le Japon et l’UE. Les grandes puissances peuvent en effet parler de « normes internationales émergentes » - par exemple les droits de retransmission, la réglementation sur les droits d’auteur ou la protection des données pharmaceutiques — et peuvent ensuite forcer les autres à s’aligner.
  • Les ALE nord-sud vont bien au-delà de l’OMC. Les ALE entre les pays industrialisés et les pays du sud sont généralement plus exigeants que l’OMC. Ils utilisent les accords de l’OMC comme norme minimum et vont ensuite au-delà. C’est ce qui se produit dans les domaines de la propriété intellectuelle (ADPIC), l’investissement, et les services (GATS) — trois domaines que les pays industrialisés ont le plus grand intérêt à voir modifié au profit de leurs grandes sociétés. Les États-Unis, l’UE et l’AELE ont été les plus habiles dans l’utilisation des ALE à cet effet. Jusqu’à présent, le Japon a été plus enclin à faire marche arrière lorsque ces partenaires de négociation protestaient, par exemple sur les DPI, bien que cela pourrait changer très bientôt. [3] Les ALE entre les pays du sud ne s’imposent généralement pas les uns les autres de modifications importantes des politiques, encore moins des politiques plus exigeantes que l’OMC. Une exception d’importance au caractère plus exigeant que l’OMC des ALE nord-sud est la migration. Le capital du premier monde doit pouvoir se déplacer librement au-delà les frontières, mais la mobilité des travailleurs du tiers-monde, quant à elle, demeure un sujet délicat. [4]
  • Les ALE affaiblissent l’OMC dans la réalisation de ses objectifs. L’OMC permet les ALE dans certaines conditions. [5] Les ALE sont considérés par l’OMC, au mieux, comme des « exceptions » à la règle de non-discrimination dans les relations commerciales. Ils sont tolérés comme des activités extracurriculaires, tandis que le véritable but de la réforme mondiale des réglementations commerciales doit s’effectuer à un niveau multilatéral englobant tout. Les experts et les politiciens se déchirent sur le fait de savoir si les ALE sont préjudiciables à l’OMC (en dispersant la capacité de négociation et en détournant le commerce lui-même) ou si, au contraire, ils la soutiennent (en promouvant la libéralisation du commerce dans la réalité). Ce qui est évident, c’est qu’une grande énergie est déployée pour conceptualiser des accords commerciaux qui, doucement mais sûrement, s’éloignent d’une OMC qui va trop lentement. [6] Pendant ce temps, de grands pays du sud, comme la Chine, l’Inde et le Brésil, se taillent une part toujours plus importante du gâteau des échanges (pas à cause des ALE, mais à cause de programmes nationaux agressifs). Les ALE permettent aux pays de sélectionner leurs partenaires commerciaux privilégiés (marchés), alors que la puissance commerciale se déplace.
  • Les ALE ont un objectif beaucoup plus large que celui de l’OMC. Tandis que les ALE font à la fois moins et plus que l’OMC, et qu’ils freinent l’OMC dans la réalisation de nouveaux niveaux de consensus en termes de réforme des échanges, là s’arrête la comparaison. Alors que les ALE contiennent un élément incitateur aux échanges - que ce soit sur une base de concurrence ou de coopération, ou les deux - ils sont tout d’abord des instruments permettant de faire avancer les relations. Dans le cas des accords nord-sud, il s’agit généralement de relations de domination. Par exemple, les États-Unis baissent leurs tarifs douaniers pour certaines exportations colombiennes (« accès au marché ») et, en échange, ils obtiennent une liberté et une souveraineté incalculables pour les opérations de leurs grandes entreprises en Colombie. Un pays comme les États-Unis ne choisit pas un pays comme la Colombie pour un ALE parce que c’est un partenaire commercial important, mais pour des raisons géopolitiques : par ex. pour asseoir sa présence en Amérique latine, pour isoler et ébranler Chavez, le président de son voisin vénézuelien, pour d’obtenir plus de prise sur la Colombie pour qu’elle permette la pulvérisation aérienne des cultures de coca, pour manœuvrer plus étroitement dans la guerre contre les guérilleros du FARC, etc. Dans les accords sud-sud, il existe également un certain positionnement de pouvoir, mais la plupart de ces accords se déroulent dans un contexte régional, là où une dose constructive de coopération est nécessaire. Les ALE sont à la fois des outils de politique extérieure et des instruments économiques utilisés par des gouvernements individuels (ou des groupes régionaux de pays).
« Les ALE bilatéraux et régionaux en Asie-Pacifique sont les manifestations formalisées de là où nos secteurs privés respectifs nous ont emmenés ... c’est véritablement le monde des affaires et le gouvernement qui évoluent en tandem. »
— Susan Schwab, Bureau du représentant américain du commerce, 2006 [7]

Les entreprises décident du programme

Les objectifs de négociation des ALE sont décidés par les grandes sociétés et par les gouvernements, dans une étroite collaboration. Par exemple, les entreprises agroindustrielles et pharmaceutiques américaines sont à la fois les scénaristes et les meneurs de ban des dispositions ADPIC-plus des ALE. Le comité consultatif fonctionnel pour l’industrie sur les droits de propriété intellectuelle pour les questions de politiques (IFAC-3) du gouvernement américain, dans son rapport d’avril 2004 sur les dispositions DPI de l’ALE États-Unis-Maroc, déclare qu’« il se réjouit de la déclaration faite par le Maroc de fournir des protections par brevet pour la flore et la faune et de la confirmation donnée par les deux Parties que les brevets seront valides pour tout nouvel usage ou méthode d’utilisation d’un produit connu pour le traitement des humains et des animaux. La protection par brevet s’ouvre donc aux plantes et aux animaux transgéniques qui sont nouveaux, impliquent une étape inventive et peuvent faire l’objet d’une application industrielle. » Le comité poursuit en remarquant qu’« il s’agit d’une amélioration importante par rapport aux engagements pris par le Chili et le CAFTA dans leurs ALE et exhorte les négociateurs américains à insister dans tous les ALE à venir pour que s’ouvre la protection par brevet à la fois aux plantes et aux animaux. » [8]

Il est évident que ce que l’on voit ici, c’est une stratégie globale, et non au cas par cas, pour l’industrie américaine. L’IFAC-3 est un véritable pépinière des colossales sociétés américaines. Parmi ses membres figurent Pfizer, Merck, Eli Lilly, l’Organisation de l’industrie biotechnologique (Biotechnology Industry Organisation), le Syndicat des laboratoires pharmaceutiques américain (PhRMA), Time Warner, Anheuser-Busch, et la coalition du secteur privé pour les industries américaines liées aux droits d’auteur, l’Alliance internationale pour la protection de la propriété intellectuelle. [9] Selon les mots de l’expert en propriété intellectuelle, Peter Drahos, « l’IFAC est le comité qui se salit les mains en révisant et en rédigeant des accords spécifiques. Il effectue ce travail technique pour toutes les initiatives commerciales américaines en propriété intellectuelle et ce, qu’elles soient bilatérales, régionales ou multilatérales. Il est, par conséquent, capable de coordonner, au niveau technique, le travail qu’il effectue sur les différents forums, s’assurant ainsi que les initiatives de négociation commerciales américaines poussent les normes de propriété intellectuelle dans la direction souhaitée par l’industrie américaine. L’expertise technique de l’IFAC, ainsi que l’expertise disponible qui lui est offerte de la part des départements juridiques de ses membres, signifie, par exemple, qu’il peut évaluer en détail les normes de propriété intellectuelle d’un pays lorsque ce dernier souhaite son accession à l’OMC et il peut fournir des évaluations détaillées des normes que les négociateurs du commerce américain doivent rapporter dans leurs bagages. » [10]

Le secrétariat de la Coalition des entreprises pour l’ALE États-Unis-Thaïlande comprend le Conseil des entreprises USA-ASEAN, représentant les grandes sociétés américaines ayant des intérêts dans l’ASEAN, et l’Association nationale des fabricants, la NAM (National Association of Manufacturers), le plus grand groupe de pression industriel aux États-Unis. La NAM est fière de déclarer : « Notre voix n’est pas troublée par des intérêts non industriels. » [11] FedEx, General Electric, New York Life, Time Warner et Unocal sont les entreprises qui président cette coalition. Les membres du comité directeur incluent : AIG, Cargill, Caterpillar, Citigroup, l’Association des raffineurs de maïs (Corn Refiners Association), la Coalition des industries de services (Coalition of Services Industries), Dow Chemical, Ford, le Conseil national des producteurs porcins (National Pork Producers Council), PhRMA, PriceWaterhouseCoopers, l’Association de l’industrie des valeurs (Securities Industry Association), United Parcel Service et la Chambre de commerce américaine. [12] Ces coalitions d’entreprise jouent un rôle complet dans la formation des objectifs de négociation américains pour les ALE et elles ne cachent pas leur intérêt propre et leur empressement à faire monter les enchères. Une force importante derrière l’ALE récemment signé entre les États-Unis et la Corée a été l’Association américaine des assureurs (American Insurance Association), qui cherche à ouvrir le huitième marché mondial des assurances. BusinessEurope (anciennement l’Union des industriels et employeurs européens, l’UNICE) est également très direct quant à ses objectifs dans les accords ALE : « Étant donné le rôle sans cesse croissant des services dans les exportations européennes, tous les ALE futurs doivent comprendre la libéralisation exhaustive des secteurs clés, y compris les services financiers, les télécommunications, les services professionnels et d’entreprise et les services de courrier rapide. ... L’UE a un avantage comparatif dans tous les domaines en termes de services et elle doit s’assurer que cet avantage soit préservé dans de futurs ALE. » [13]

Nippon Keidanren — la fédération des grandes entreprises japonaises — s’est révélé un groupe de pression clé dans le façonnement des ambitions pour les ALE de Tokyo avec Singapour, le Mexique, la Corée du Sud et l’Indonésie. Le conglomérat de produits laitiers néo-zélandais, Fonterra, formé par la fusion des deux plus grandes coopératives laitières du pays et la Fédération des laiteries néo-zélandaises (New Zealand Dairy Board), jouit d’une étroite relation avec les represéntants du ministere du commerce et il est un farouche opposant de la libéralisation du commerce agricole. Fonterra est un ardent partisan d’un l’ALE Chine-Nouvelle-Zélande, car il veut profiter de la demande croissante en produits laitiers de la Chine. Le Conseil des entreprises Australie-Chine, qui fait activement pression pour un ALE Chine-Australie, compte, parmi ses vice-présidents, les présidents d’Australia/Asia Gas et de BHP Billiton Petroleum, et un dirigeant des relations d’entreprises de Rio Tinto.

Mais les sociétés transnationales du sud, telles que la thaïlandaise Charoen Pokphand (CP), jouent aussi un rôle actif pour influencer les pourparlers sur les ALE et ce, pour le compte de leurs propres intérêts, qui vont souvent à l’encontre de ceux des petits agriculteurs. « Notre premier ministre Thaksin Shinawatra s’est entretenu avec le premier ministre du Japon sur le fait que la Thaïlande abandonnera son insistance à exclure le riz des négociations [de l’ALE Japon-Thaïlande] de façon à ce que ces négociations puissent aller de l’avant. Je pense que le Japon doit prouver sa sincérité en n’excluant pas d’autres produits comme les crevettes, le poulet, le poisson et les fruits de mer » a dit Pornsilpa Patcharintanakul, cadre supérieur de CP et vice secrétaire de la Chambre de Thaïlande. [14]

Points clés permettant de comprendre les ALE

Pour comprendre le jeu joué par les ALE dans son ensemble, il nous faut voir l’ensemble des différents processus et en extraire les caractéristiques principales de ces accords. Ce n’est pas difficile — et c’est essentiel pour comprendre leur puissance et définir comment nous pouvons les combattre.

Les ALE ne sont qu’un outil. Malgré la puissante concentration sur les ALE, personne ne met tous ses œufs dans le même panier. Les grandes puissances comme les États-Unis ou l’UE sont particulièrement habiles lorsqu’il s’agit d’utiliser tout un arsenal d’instruments de coercition sur les petits pays pour que ces derniers suivent leurs prescriptions de politique économique. Ils utilisent les agences de l’ONU, les institutions financières internationales (la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, les banques régionales de développement), l’OMC, leurs propres mécanismes d’aide au développement, les politiques unilatérales et des accords ordinaires suivant le schéma du bâton et de la carotte pour construire des alliances et obtenir des changements de politique. Même si les ALE vont très loin, il est important de ne pas les concevoir comme la seule chose qui se passe.

Tous les ALE ne sont pas créés égaux. Certains ALE sont essentiellement basés sur la domination. [15] D’autres sont plutôt basés sur la coopération. La plupart sont inévitablement un mélange des deux, mais à de différents degrés.

Les ALE nord-sud sont généralement conçus pour ouvrir les pays du sud aux entreprises privées du nord, leur offrant une liberté d’action. Ils procèdent surtout par le biais de l’investissement, les DPI et les dispositions liées aux services. (Les traités bilatéraux d’investissement font la même chose.) Ces trois domaines sont les chapitres les plus important des ALE pour les pays industrialisés et ce, bien qu’il y en ait beaucoup d’autres aussi importants (voir encadré : Anatomie d’un ALE). Les pays du sud sont supposés y gagner un meilleur accès au marché : ils sont supposés obtenir la capacité de vendre davantage dans le pays « développé » puisque des tarifs douaniers moins élevés rendront leurs marchandises (et leurs services, s’ils en exportent) plus concurrentielles. La réciprocité entre deux partenaires inégaux ne les rend pas égaux mais elle renforce plutôt des relations de pouvoir inégales. Afin de faire fonctionner l’ensemble du projet, les pays du nord jettent souvent dans l’arène quelques cadeaux en liquide en guise d’aide à la capacité de construction du commerce ou de coopération au développement — une « douceur » amicale qui aidera à faire avaler l’amère « potion » de la domination.

Les ALE sud-sud, qui éclosent actuellement comme des champignons, sont invariablement des accords plus faibles. Jusqu’à présent, ils n’ont été que des plans de réduction des tarifs douaniers : les deux (ou davantage) parties acceptent de baisser les tarifs qu’ils appliquent mutuellement à leurs exportations réciproques et seulement pour une liste de marchandises limitée. [16] Les gouvernements latino-américains se sont engagés dans de nombreux accords de ce type tandis qu’ils s’éloignaient de la substitution des importations et qu’ils adoptaient des stratégies de développement orientées vers l’exportation, dans les années 1980. Récemment, ce genre d’ALE simpliste est devenu populaire parmi les gouvernements asiatiques, en tant que moyen d’entretenir le commerce régional et d’aller plus loin dans l’expérimentation du potentiel de l’intégration économique, qui, malgré des années de déclarations officielles, n’est pas très développé en Asie. Aujourd’hui, néanmoins, les ALE sud-sud commencent à se répandre et vont du simple plan de réduction des tarifs douaniers au pacte de libéralisation économique plus large traitant à la fois des services et de l’investissement. Mais ils n’imposent pas encore de changements de politique aux pays signataires comme le font les accords nord-sud.

Anatomie d’un ALE

Un typique ALE américain « intégral » peut couvrir 20 questions.

  • investissement : un dispositif de droits permettant d’assurer aux entreprises d’une partie de pouvoir s’établir et avoir des activités dans un autre pays sans l’interférence de l’état ; comprend la mise en vigueur de ces droits, le droit pour les investisseurs de poursuivre le gouvernement étranger, ainsi qu’un mécanisme indépendant de règlement des différends qui repose sur une arbitration à huis clos à la Banque mondiale, plutôt que par les tribunaux nationaux
  • propriété intellectuelle : un dispositif de droits permettant d’assurer aux entreprises d’une partie de posséder, en tant que propriété exclusive et pour la plus longue durée possible, toute forme de connaissance ou d’information (marques, variétés végétales et animales, formules pharmaceutiques, transmissions par satellite, pages Internet téléchargées sur les ordinateurs, méthodes d’affaires, etc.) dans un autre pays ; comprend la mise en vigueur de ces droits par le droit pénal, plutôt que par le droit civil ; comprend habituellement la conformité obligatoire avec un certain nombre de traités internationaux sur la propriété intellectuelle
  • services : le droit pour les entreprises d’une partie de posséder et d’opérer dans toutes les industries de service de l’autre pays : la banque, le droit, la comptabilité, la santé, l’éducation, l’eau, l’énergie, la culture, les communications, les transport, etc. (Un « service », comme il est dit, est tout ce qui ne peut pas vous tomber sur le pied.)
  • services financiers : dispositions particulières visant à libéraliser les assurances, les retraites et les services liés à la banque, et l’élimination des contrôles sur le capital s’ils existent
  • environnement : les deux parties s’accordent à appliquer leurs propres lois environnementales ; peut comprendre la conformité obligatoire à quelques traités internationaux sur l’environnement
  • marchés publics : le droit pour les entreprises d’une partie de fournir au gouvernement (national, provincial / état et municipal) de l’autre des biens et services aquis ou utilisés à des fins gouvernementales
  • mesures sanitaires et phytosanitaires : les normes américaines seront appliquées (par ex. absence de barrières à la commercialisation des OGM)
  • barrières techniques au commerce : les normes américaines seront appliquées (par ex. absence d’étiquetage des OGM)
  • accès au marché : des tarifs douaniers et des quotas spécifiques, notamment pour l’agriculture, la pêche et les produits textiles
  • transparence : le droit pour les entreprises d’une partie à être informées de l’élaboration de nouvelles lois dans l’autre pays et le droit de commenter ces lois avant qu’elles ne soient adoptées, pour qu’elles ne soient pas défavorables à l’investisseur étranger
  • travail : les deux parties s’accordent à appliquer leurs propres lois du travail ; peut comprendre un engagement à appliquer un certain nombre de normes du Bureau international du travail (mais pas les conventions du BIT)
  • commerce électronique : empêcher la taxation des transactions commerciales menées sur Internet
  • règles d’origine : seuils permettant de déterminer quand un produit peut être considéré « fabriqué en ___ » pour raisons d’accès à un marché ; pour les textiles, les États-Unis appliquent la règle « à partir du fil » (le fil lui-même doit provenir des États-Unis)
  • politique de concurrence : les deux parties s’accordent à appliquer leurs propres politiques de concurrence
  • douane : mesures concordées pour l’accélération des procédures douanières
  • recours commerciaux : allocation limitée pour des garanties temporaires dans le cas de surimportation, en conséquence des ouvertures de marché
  • règlement des différends : arbitrage auprès d’un forum au choix ; permet le payement de redevances en compensation, lorsqu’il s’agit d’une plainte relative au droit du travail ou à l’environnement

Plusieurs de ces questions ont été déclarées comme étant « non négociables » par les gouvernements du sud à l’OMC.

Les ALE sont motivés par des préoccupations plus larges que le « commerce » : Ils sont principalement mus par un mélange de préoccupations géopolitiques, sécuritaires et économiques. Les préoccupations géopolitiques — les relations de pouvoir entre les pays — sont très évidentes dans les ALE des États-Unis et de l’UE, non seulement dans le choix des partenaires pour les ALE, mais aussi pour leur contenu même. Quelques exemples.

  • Les États-Unis utilisent les ALE pour affaiblir l’opposition politique et sociale à Israël au Moyen-Orient et dans le monde arabe en général. Les exemples sont les ALE conclus avec la Jordanie, le Bahreïn et le Maroc : l’élément palestinien de l’ALE USA-Israël ; les zones industrielles qualifiées entre Israël et l’Égypte, sponsorisées par les États-Unis ; le jeu que l’on joue avec l’Égypte (dans lequel les États-Unis tendent une carotte ALE, l’escamotent, la retendent et l’escamotent à nouveau, en fonction de la question du moment) ; et le projet d’ALE USA-Moyen-Orient dans son ensemble.
  • Les ALE des États-Unis dans le monde arabe ont créé d’importantes difficultés aux alliances régionales telles que le Conseil de coopération du Golfe (CCG) et la Ligue arabe. L’une des règles du CCG stipule qu’aucun membre ne peut s’engager indépendamment dans un ALE avec une tierce partie. Le Bahreïn a brisé cette règle en signant avec les États-Unis, causant une énorme tension dans le groupe, tension qui a duré plusieurs années. D’autres accords américains avec le sultanat d’Oman et des négociations avec les EAU ont créé un fait accompli que le CCG — et surtout l’Arabie Saoudite — a été forcé d’accepter. Le Bahreïn a du abandonner le long boycott d’Israël par la Ligue arabe à cause de son ALE avec Washington. L’accord États-Unis-Maroc empêche le Maroc d’appliquer des préférences tarifaires à des tierces parties qui ne sont pas exportatrices nettes de certains produits agricoles. Par conséquent, le Maroc n’est pas en mesure de respecter pleinement les engagements qu’il a pris dans l’accord d’Agadir, un ALE entre quatre pays arabes, qui devait servir de tremplin à l’ALE de la Ligue arabe. Et il y a aussi la tendance « le capitalisme arrête le terrorisme ». À l’annonce de l’ouverture des négociations du TBI États-Unis-Pakistan, en septembre 2004, Robert Zoellick a déclaré : « Le Pakistan et les États-Unis sont partenaires dans le combat contre le terrorisme mondial. Un TBI basé sur les normes élevées contenues dans notre texte modèle peut jouer un rôle important dans le renforcement de l’économie pakistanaise, créant ainsi de nouvelles opportunités pour les exportateurs et les investisseurs des deux économies et contribuant à satisfaire aux conditions économiques permettant de contrer le terrorisme.» [17]
  • En Amérique latine, les ALE ont été utilisés par Washington dans plusieurs objectifs géopolitiques : contrôler la frontière avec le Mexique (par le biais de l’ALENA), pour créer une zone tampon contre Chavez (en offrant un Accord Cadre d’Investissement et de Commerce (TIFA), un TBI et un ALE à l’Uruguay, ce qui a divisé le MERCOSUR, une pierre angulaire économique sur laquelle Chavez voudrait pouvoir s’appuyer), isoler le Brésil (encore une fois en courtisant l’Uruguay et en déstabilisant le MERCOSUR) et maintenir la domination économique (par ex. le canal de Panama) et militaire dans la région (notamment en Colombie, où les conseillers militaires américains sont stationnés près de la frontière vénézuelienne pour aider l’armée colombienne dans son combat contre les FARC). En ce qui concerne le Moyen-Orient, la force motrice pour les ALE de Washington en Amérique latine a également imposé une énorme tension aux blocs régionaux — pas seulement le MERCOSUR, mais aussi la Communauté andine. Lorsque le sénat américain a applaudi l’ALE États-Unis-Pérou, le monde des affaires s’épancha : « Dans la mesure où les Péruviens peuvent [désormais] faire des choix au sujet de leur futur, il n’auront pas à se tourner vers Chavez pour obtenir des réponses. » [18] Bush fait maintenant pression sur le congrès pour qu’il ratifie l’accord États-Unis-Colombie, accord qualifié de « principal instrument politique dont disposent les États-Unis » pour contrer Chavez. [19]
  • Les ALE américains traitent explicitement des questions militaires. L’accord paraphé avec la Syrie contient une disposition spéciale par laquelle Damas s’engage à rechercher « une zone moyen-orientale vérifiable sans armes de destruction massive, sans armes nucléaires, biologiques ou chimiques, et sans système de distribution de ces mêmes armes ». [20] L’UE a cherché à obtenir le même accord avec l’Iran, et a même réussi à arrêter (du moins de façon temporaire) le programme d’enrichissement d’uranium de Téhéran comme préalable à la reprise des négociations ALE. [21] Pendant ce temps, Bruxelles hésite quant à savoir s’il doit inclure ou exclure une clause sur les armes de destruction massive dans ses ALE avec cette puissance nucléaire qu’est l’Inde, [22] et évoluer vers un engagement plus large, non seulement pour prévenir la « prolifération des ADM », mais également pour « combattre le terrorisme » dans ses prochains ALE avec l’Amérique centrale et la Communauté andine. [23]
  • Les plans d’ALE du gouvernement australien commencent à fusionner sans complexe avec ses objectifs militaires. Avant d’ouvrir ses négociations ALE avec le Japon, en 2007, il a signé un pacte conjoint de coopération en matière de sécurité avec ce pays officiellement démilitarisé. [24] Des projets d’ALE Australie-Israël, devant être conclus à temps pour le soixantième anniversaire d’Israël en 2008, sont étroitement liés à des plans conjoints de coopération en matière de défense, en plus d’inclure des opportunités d’affaires en armement high-tech que l’accord devrait apporter. [25]
« Le sentiment qui est désormais transmis au monde est que la politique américaine est de ne signer des ALE avec d’autres pays que s’ils sont prêts à adhérer aux positions de la politique étrangère américaine. En d’autres termes, un ALE n’est pas nécessairement un accord par lequel toutes les parties tirent profit de l’expansion du commerce, mais plutôt une faveur à octroyer en fonction du soutien témoigné à la politique étrangère américaine. »
— Sidney Weintraub, Centre pour les études stratégiques et internationales [26]

Le puissant ordre du jour de politique étrangère qui étaie les ALE américaines aide à comprendre pourquoi Washington choisit des pays avec lesquels les États-Unis ont très peu d’échanges commerciaux pour des ALE. Il est difficile de démêler les questions géopolitiques des questions sécuritaires qui mènent les ALE. Les questions sécuritaires ne sont pas simplement une histoire de fusils et de frontières. Les ordres du jour sur la sécurité recherchés par le biais des ALE s’étendent aujourd’hui visiblement à l’énergie et à l’alimentation, même s’ils s’appuient sur le commerce.

  • Des pays comme la Chine, le Japon, les États-Unis et l’UE — tous de fervents incitateurs aux ALE — sont hautement dépendants des pays étrangers pour leurs besoins énergétiques. Dans son accord en attente avec le Brunei, le Japon a inclus, pour la première fois, un chapitre sur l’énergie, assurant à Tokyo un approvisionnement garanti en pétrole et en gaz. C’est également ce qui a été conclu dans l’ALE Japon-Indonésie. L’ALE entre l’UE et le CCG, en attente depuis longtemps, négocié depuis 1990, est supposé permettre à l’UE de posséder des entreprises pétrochimiques dans les pays du Golfe. Les tarifs douaniers appliqués par l’Inde pour l’huile de palme, utilisée pour la production d’agrocarburant, ont constitué un problème épineux immobilisant l’ALE Inde-ASEAN.
  • Le Japon et la Chine sont hautement dépendants du monde extérieur pour leur sécurité alimentaire, et ceci se reflète dans leurs stratégies d’ALE. Les ALE fournissent au Japon l’assurance d’approvisionnement en certaines denrées pour lesquelles il peut imposer des normes sanitaires et de sécurité au pays fournisseur. Avec les pays de l’ASEAN, le Japon a élaboré des dispositions sur les fruits tropicaux et les produits de la mer ; avec l’Australie, il en élaborera sur le bœuf et les produits laitiers, et tout ALE potentiel avec la Chine couvrira certainement de façon spécifique les légumes et les oléagineux. Les préoccupations du Japon pour sa sécurité alimentaire se traduisent par l’exclusion systématique du riz de ses ALE et ce, afin de maintenir des tarifs douaniers élevés sur les importations (jusqu’à 500%), afin de conserver la viabilité de son industrie nationale du riz, et par la négociation visant à obtenir un meilleur accès aux eaux de pêche. Le programme chinois en matière de sécurité alimentaire se révèle de façon éclatante en Asie, où l’on voit que les Chinois construisent, pour le long terme, un système en sous-traitance de soutien à l’approvisionnement alimentaire. La libéralisation du commerce agricole a été le premier impact de l’ALE Chine-ANASE, l’ALE Chine-Thaïlande et les accords Chine-Philippines. [27] Un aspect de cet impact a été l’inondation du marché local par des fruits et des légumes chinois bon marché, menant les agriculteurs thaïlandais et philippins à de sérieuses difficultés. Mais l’autre aspect est le flot d’acquisitions de terrains et d’investissements d’entreprise chinois visant à développer la production alimentaire locale destinée à l’exportation vers la Chine, notamment les denrées de base, comme le riz. [28]

Des principes économiques rudimentaires, mais puissants : Les ALE et les TBI nord-sud sont vraiment des outils servant à élargir les droits d’investissement, les opportunités et les spectres d’action des sociétés transnationales du nord. Dans ce cadre, les droits de propriété — et plus particulièrement les DPI — sont un facteur crucial. Les droits d’investissement et les droits de propriété sont presque les deux faces d’une même médaille : ce qui est en jeu ici, c’est le contrôle sur les biens. Beaucoup d’ALE et de TBI incluent spécifiquement les DPI dans leurs définitions d’« investissement ». Cela signifie un contrôle privé sur des biens privés, au-dessus et contre l’intérêt public et l’idée de ce qu’était auparavant le rôle de l’État. C’est à cela que la plupart des ALE nord-sud se résument : étendre le contrôle et la propriété sur des ressources productives au bénéfice de sociétés transnationales ayant des racines historiques au nord.

Les ALE fournissent le contrôle en établissant des règlements et des normes - voulus par le nord — sur lesquels les deux parties finissent par s’accorder. Une fois qu’ils sont d’accord, les gouvernements du sud doivent souvent réécrire un certain nombre de leurs lois nationales pour qu’elles reflètent ces normes, et les deux parties désignent des organes conjoints pour voir leur accord mis en vigueur. Pour s’assurer de la bonne marche de tout ceci, un certain nombre de mécanismes de règlement des différends sont établis.

Plusieurs études de la Banque mondiale et de la CNUCED montrent qu’il n’y a pas de relation directe entre la signature d’un accord d’investissement et la réception d’une plus grande quantité d’investissement étranger. La Chine, l’Afrique du Sud et le Brésil sont des exemples de choix de pays qui ont capturé de grosses entrées de capitaux au cours de ces dernières années sans recours à de tels accords. Bien au contraire, la signature d’un tel accord peut plutôt vous impliquer dans des différends juridiques coûteux pour ne pas avoir respecté les conditions d’investissement, se traduisant par des pertes financières nettes.

Les droits des sociétés transnationales créés par ces accords comportent le droit :

  • d’être traité ni mieux, ni moins bien que les entreprises nationales (« traitement national »)
  • d’obtenir tout « meilleur » traitement qui est offert aux sociétés transnationales sous d’autres accords commerciaux (« nation la plus favorisée »)
  • de jouir d’une propriété sûre de tous ses biens : pas d’expropriation (aussi bien directe qu’indirecte), pas de nationalisation et des possibilités moindres que l’État n’émette des licences obligatoires dans l’intérêt public
  • de réaliser les bénéfices anticipés — et le droit de poursuivre l’État au cas où une mesure ou une décision d’ordre public se met en travers du chemin
  • de mener ses affaires avec le moins possible de tracas émanant du gouvernement : pas d’obligation à l’embauche de travailleurs locaux, pas d’obligation de transfert de technologie, pleine et entière liberté de transférer des fonds hors du pays et, généralement, peu de restrictions à la mobilité du capital
  • d’avoir un accès direct aux processus locaux d’élaboration des politiques
  • d’étendre leurs monopoles commerciaux à travers toute une liste de droits de propriété intellectuelle (marques déposées sur les sons et les odeurs ; brevets sur la flore et la faune ; des durées plus longues pour les droits d’auteur et les brevets ; extension des brevets pharmaceutiques pour faire des tests sur les données, pour empêcher la `commercialisation de génériques ; nouvelles indications géographiques, émises sur la base du « premier arrivé, premier servi » ; extension des droits d’auteur aux transmissions codées par satellite ; etc.) et engagement de la part de l’état en question pour qu’il fasse respecter ces droits.

Après le programme du contrôle vient l’ouverture de nouveaux marchés. Les ALE ouvrent de nouveaux horizons alors qu’ils touchent des domaines sensibles sur lesquels les gouvernements ne peuvent se mettre d’accord à l’OMC : les services, l’investissement, le commerce électronique, et même certains domaines du commerce agricole et de la pêche. Tous les ALE nord-sud couvrent le commerce non seulement des marchandises, mais aussi celui des services. Les services représentent 60-70% des économies industrielles, en termes d’emplois et de revenus, et il s’agit du secteur du commerce mondial qui a crû le plus rapidement ces 15 dernières années. L’UE est le plus gros exportateur de services dans le monde (52%), suivi des États-Unis, de la Chine et du Japon. [29] De nombreux pays espèrent construire leur richesse future par le biais d’un commerce des services accru. Les ALE jouent un rôle clé dans ceci en engageant les pays à « ouvrir » — par la déréglementation et par la privatisation — le commerce des services au-delà des niveaux requis par l’OMC. Cela signifie permettre aux grandes entreprises étrangères de faire des affaires dans des secteurs auxquels elles n’auraient pas accès autrement. Cela peut être dans l’éducation, la banque, la comptabilité, les services juridiques, les assurances, les retraites, les médias (journaux, radio, télévision) et le spectacle, les télécommunications, les transports et les services de distribution (poste, courrier rapide), les services d’utilité publique (énergie, eau), les services médicaux (hôpitaux), la vente alimentaire de détail et même la sécurité. Dans les ALE nord-sud les plus puissants, ceci est une invitation pour les entreprises occidentales à venir se saisir d’immenses zones de ce qui était jadis considéré comme des services publics et du rôle de l’État. Comme le montre de nombreuses expériences — surtout dans la privatisation de l’eau — ceci conduit à la dégradation du niveau de vie, surtout pour les pauvres, dans la mesure où les prix augmentent (rendant ainsi ces services inaccessibles) tandis que la responsabilité décroît.

Pour les pays du sud, le principal intérêt des ALE est d’obtenir un accès potentiel au marché. Cela se fait à un coût exorbitant.

  • Dans les ALE nord-sud, l’accès des pays du sud au marché est en général de très petite taille. À travers l’accord de partenariat économique Japon-Philippines (JPEPA), le Japon a obtenu un meilleur accès au marché automobile philippin, de nouvelles opportunités de pêche dans les eaux philippines (pour remplacer les importations), de meilleures garanties à l’investissement et même le feu vert pour l’exportation de déchets toxiques, alors que les Philippines n’ont obtenu qu’une réduction des tarifs douaniers sur quelques fruits d’exportation et un quota leur permettant d’envoyer 100 infirmières par an au Japon. Avec l’accord Japon-Thaïlande, le Japon a obtenu de nouvelles opportunités d’investissement majeures dans les secteurs de l’automobile et de la santé, [30] alors que la Thaïlande n’a obtenu qu’un misérable quota pour envoyer des cuisiniers et des masseuses au Japon.
  • Dans l’agriculture, le déséquilibre est terrible. Les pays du tiers-monde doivent généralement démanteler leurs protections agricoles, sous la forme de contrôle sur les tarifs douaniers et les prix, alors que le pays industrialisé ne doit pas même toucher à ses subventions à l’agriculture, ce qui forme la base du dumping. L’accord États-Unis-Colombie en est un parfait exemple. Pendant la première année de l’ALE, il est estimé que les exportations agricoles américaines vers la Colombie vont grossir 73 fois plus que les exportations agricoles colombiennes vers les États-Unis. [31]
  • De nombreux ALE nord-sud dressent des pays voisins du sud les uns contre les autres pour une concurrence sur l’ouverture du marché pour quelques produits. Par exemple, le Japon a individuellement promis aux Philippines, à la Thaïlande et à l’Indonésie, dans leurs ALE séparés, de grandes ouvertures nouvelles pour leurs mangues et leurs crevettes. Mais, les Japonais ne peuvent pas consommer des mangues et des crevettes au-delà de leur capacité. Et pourtant, les exportateurs des trois pays ont été amenés à croire qu’ils obtenaient là des accords spéciaux, sur une base privilégiée. Il s’est produit la même chose en Amérique latine, où les États-Unis ont promis à la Colombie, à l’Équateur et au Pérou de grandes opportunités pour leurs mangues, en échange de ce qui sera en fait la destruction de leur production nationale de céréales, de viande, de produits laitiers et leurs cultures d’oléagineux. [32]

Alors qu’il y a des exceptions, l’accès au marché des pays du tiers-monde par les ALE nord-sud n’est le plus souvent qu’un mirage. Beaucoup de pays du sud ne sont spécialisés que dans quelques exportations primaires qui sont de plus en plus contrôlées structurellement par les sociétés transnationales. Les ALE les enfoncent davantage dans ce piège, plutôt que de soutenir la diversification — sans parler de souveraineté alimentaire. Les gouvernements du sud essaient toujours davantage d’appliquer la même formule aux accords commerciaux régionaux qu’ils signent entre eux, sans nécessairement traiter le problème de leurs similarités structurelles, ce qui mène à une concurrence inutile.

Tenir le public éloigné : Le secret enveloppe invariablement les ALE. Négociés à huis clos, seul un petit groupe d’experts désignés par le gouvernement y participe, les textes sont gardés secrets jusqu’à ce qu’ils soient signés et, dans la plupart des cas, les représentants élus n’ont que peu ou pas du tout d’influence sur la question. Pourquoi les pays les négocient, qu’est-ce qui est négocié, qui est impliqué dans le secteur des affaires, quels en seront les impacts : voici quelques-unes des questions qui surgissent constamment et qui reçoivent toujours les mêmes réponses bancales. On nous dit que tout le monde le fait, et que l’on ne peut pas se permettre d’en être exclus, que nous ne pouvons pas connaître les détails de ce qui est en négociation parce que c’est confidentiel, mais d’espérer que nous allons voir de nouveaux emplois et de nouvelles perspectives d’affaires comme résultat.

Finalement, le plus gros souci avec le secret qui enveloppe les négociations ALE, ce n’est pas tellement le manque d’information ou de participation au processus du public. C’est le fait que de nombreux ALE subvertissent les lois nationales, qu’ils privent les systèmes juridiques nationaux de leur autorité et qu’ils ébranlent les principes établis dans les constitutions des états.

Le tapage économique, le langage sur le combat contre le terrorisme par le biais d’un commerce et d’un investissement libéralisés, et le discours sur le soutien à la démocratie qui entourent ces accords bilatéraux nous rappellent que le néolibéralisme et la force brute de l’impérialisme marchent main dans la main, dans ce 21e siècle. Avec la diabolisation et la criminalisation en tant qu’ennemis de l’état de nombreux mouvements populaires contre les ALE et leur confrontation à la répression et aux opérations brutales des forces de sécurité, de telles connexions ne sont pas si éloignées des nombreuses luttes quotidiennes pour la justice, la dignité et la survie.

Footnotes:

[1Pour de plus amples détails, voir Scott Sinclair, "NAFTA dispute table", Centre canadien de politiques alternatives, mars 2007, à l’adresse : http://policyalternatives.ca/documents/National_Office_Pubs/2007/NAFTA_Dispute_Table_March2007.pdf.

[2Voir GRAIN et le Centre africain pour la biosécurité, « La tyrannie des accords bilatéraux de sécurité », octobre 2006, http://www.grain.org/briefings/?id=200.

[3Voir GRAIN, « Avec les accords de libre-échange, le Japon plonge ses griffes dans le cœur de la biodiversité » Against the grain, août 2007, http://www.grain.org/articles/?id=32.

[4Il y a actuellement 192 millions de migrants dans le monde, dont la plupart issus de pays du tiers-monde qui se sont déplacés vers les pays industrialisés pour y trouver du travail.

[5Ces conditions sont exposées dans ce qui est appelé l’article XXIV du GATT. Il y est dit que les membres de l’OMC peuvent entreprendre des ALE en parallèle dès lors qu’ils : (a) éliminent, et non pas seulement réduisent, leurs barrières tarifaires et non tarifaires (b) sur une période de temps raisonnable (généralement interprétée comme étant de 10 à 12 ans) et (c) couvrent « de façon substantielle tout le commerce » entre les parties (généralement interprété comme 85 à 90%). L’article XXIV du GATT ne s’applique qu’au commerce de marchandises et, en tant que tel, il ne permet pas de traitement « spécial et différencié » entre les pays. Les ALE qui couvrent le commerce des services doivent se conformer à l’article 5 du GATS, qui permet un traitement un traitement spécial et différencié, ainsi que certaines flexibilités supplémentaires.

[6Malgré toutes ses règles et sa bureaucratie, l’OMC ne surveille pas vraiment les ALE. Un comité est censé les examiner, pour s’assurer que l’article XXIV et autres sont respectés. Mais bien que le comité se réunisse, ce travail n’a pratiquement pas été fait depuis que l’OMC a commencé à fonctionner en 1994. Seuls 19, parmi les 194 ALE soumis au comité pour examen jusqu’en mars 2007, sont passés par la procédure d’examen complète — soit 9 malheureux pour cent.

[7« Transcription : entretien de Susan Schwab », Financial Times, Londres, 17 novembre 2006. http://www.bilaterals.org/article.php3?id_article=6505.

[8The US-Morocco Free Trade Agreement (FTA): The Intellectual Property Provisions. Report of the Industry Functional Advisory Committee on Intellectual Property Rights for Trade Policy Matters (IFAC-3), 6 avril 2004. http://www.ustr.gov/assets/Trade_Agreements/Bilateral/Morocco_FTA/Reports/asset_upload_file164_3139.pdf.

[9Ibid.

[10Peter Drahos, "Expanding intellectual property’s empire: the role of FTAs", Research School of Social Sciences, Australian National University, Canberra, novembre 2003. http://www.grain.org/rights/tripsplus.cfm?id=28.

[11NAM en un coup d’œil. Site institutionnel NAM : www.nam.org/s_nam/doc1.asp?CID=53&DID=224181.

[12Site institutionnel de la Coalition des entreprise pour l’ALE États-Unis-Thaïlande. http://www.us-asean.org/us-thai-fta/.

[13"UNICE strategy on an EU approach to free trade agreements”, Union des industriels et employeurs européens, Bruxelles, 7 décembre 2006, http://www.bilaterals.org/article.php3?id_article=7265.

[14Cité dans le SiamRath Daily du 27 octobre 2004.

[15Mis à part leur spectre domination-coopération, les ALE diffèrent énormément, par leur nom et leurs nuances. Nous avons les accords de libre-échange (ALE), les accords d’échanges préférentiels (AEP), les accords de coopération économique (ACE), les accords de partenariat économique (APE), les accords de partenariat économique globaux, les accords de partenariat économique stratégiques, les accords de coopération économique globaux, les accords commerciaux régionaux (ACR), les accords d’association (AA), etc.

[16On y fait généralement référence en tant qu’« accords commerciaux préférentiels » (ACP) ou même ACP « partiels ».

[17"United States, Pakistan Begin Bilateral Investment Treaty Negotiations", déclaration de presse USTR, 28 septembre 2004, http://www.state.gov/e/eb/rls/prsrl/2004/36573.htm.

[18"Peru is in, now where’s Colombia?" Business Investor’s Daily, éditorial, 4 décembre 2007. http://www.investors.com/editorial/editorialcontent.asp?secid=1501&status=article&id=281664179614983.

[19Agence France-Presse, "Bush wields Colombia trade deal to halt Venezuela", Washington DC, 8 décembre 2007, http://www.bilaterals.org/article.php3?id_article=10626.

[20Accord d’association États-Unis-Syrie de 2004, article 4, à l’adresse : http://www.bilaterals.org/IMG/pdf/com2004_0808en01.pdf.

[21Dilip Hiro, “No Carrots, All Stick”, Mother Jones, 8 novembre 2004, http://www.bilaterals.org/article.php3?id_article=941.

[22"EU aide worried by calls to drop India WMD clause", Reuters, 2 mars 2007, à l’adresse : http://www.bilaterals.org/article.php3?id_article=7311.

[23Avant-projet de directive de négociation du projet UE-Canada à l’adresse : http://www.bilaterals.org/article.php3?id_article=8334 et avant-projet de directive de négociation du projet UE-Amérique centrale à l’adresse : http://www.bilaterals.org/article.php3?id_article=8336. Il n’est pas fait mention du terrorisme ou des ADM dans la directive de négociation du projet UE-ASEAN.

[24Kyodo, "Japan, Australia strike strategic security cooperation agreement", Tokyo, 13 mars 2007. http://www.bilaterals.org/article.php3?id_article=9759.

[25Mark Dodd, "Israeli deal to boost defence", The Australian, 26 septembre 2007. http://www.theaustralian.news.com.au/story/0,25197,22483470-15084,00.html.

[26Sidney Weintraub, "The politics of US trade policy", BBC, 3 septembre 2003. http://news.bbc.co.uk/1/hi/business/3169649.stm.

[27Voir : la section sur le Chine-ASEAN de bilaterals.org à l’adresse http://www.bilaterals.org/rubrique.php3?id_rubrique=95; Kingkorn Narintarakul, "Thai-China free trade agreement for whose benefit?", Asia Pacific Network on Food Sovereignty (APNFS), 2004 à l’adresse http://www.apnfs.org/docs/apnfs2004kingkorn.pdf; Natividad Bernadino, "The ASEAN-China free trade area: issues & prospects", APNFS, 2004 à l’adresse http://www.apnfs.org/docs/apnfs2004naty.pdf.

[28GRAIN, "China-Philippines hybrid rice tie-up", 29 octobre 2002 at http://www.grain.org/hybridrice/?lid=18 et "Hybrid rice and China’s expanding empire", 6 février 2007 at http://www.grain.org/hybridrice/?lid=176. Voir aussi TJ Burgonio, "Probe sought on biofuels pacts between RP and China", Philippine Daily Inquirer, 20 mai 2007, à l’adresse http://newsinfo.inquirer.net/breakingnews/nation/view_article.php?article_id=67037.

[29OMC, « Rapport sur le commerce mondial 2006 », p. 12.

[30Il est prévu que le Japon investisse lourdement dans l’industrie du tourisme de santé en Thaïlande pour les riches Japonais vieillissants.

[31Aurelio Suárez Montoya, "Agrio balance del agro en el TLC", RECALCA, mars 2007, à l’adresse http://www.recalca.org.co/AAdoceducativos/4_AGRIO_BALANCE_AGRO_TLC.pdf.

[32Aurelio Suárez Montoya, "La CAN obtiene nichos para comida exótica y entrega todos sus mercados masivos de cereales", BolPress, 5 novembre 2005, à l’adresse http://www.bolpress.com/art.php?Cod=2006051132.


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