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Les dix débats qui agiteront le sommet de l’Agoa en Afrique du Sud

Jeune Afrique | 1 novembre 2023

Les dix débats qui agiteront le sommet de l’Agoa en Afrique du Sud

Julian Pecquet

Les contours et l’avenir de la loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique sont au cœur des discussions entre les ministres du Commerce américain et africains qui se tiendront à Johannesburg du 2 au 4 novembre.

Depuis un quart de siècle, la loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (African Growth and Opportunity Act – Agoa) est la pierre angulaire des relations économiques entre les États-Unis et le continent. Et depuis mars dernier, le corps diplomatique africain à Washington s’est associé aux milieux d’affaires américains et africains pour former l’Alliance pour le renouvellement et l’amélioration de l’Agoa (Area), afin de soutenir le renouvellement immédiat et à long terme du programme, moyennant quelques améliorations techniques ciblées. Mais aujourd’hui, ces relations traversent quelques turbulences.

C’est cette situation que les ministres du Commerce américain et africains devront appréhender au mieux lors du forum annuel de l’Agoa, qui se tiendra à Johannesburg du 2 au 4 novembre. Au menu des discussions : l’orientation de la loi pour la prochaine décennie alors que de nombreux législateurs américains remettent en question la valeur des préférences commerciales unilatérales, et que les Africains s’inquiètent de l’avenir du programme et des conditions strictes d’éligibilité.

Et ce, alors que Washington a annoncé le 31 octobre qu’à compter du 1er janvier 2024, le Gabon, le Niger, l’Ouganda, et la République centrafricaine seront exclus du programme en raisons de « violations flagrantes » des droits de l’Homme en Centrafrique et en Ouganda et parce que le Niger et le Gabon ne parviennent pas, aux yeux de l’administration américaine, « à faire des progrès continus vers la protection du pluralisme politique et de l’État de droit », explique l’agence de presse Reuters.

« Lors du forum de la semaine prochaine, nous espérons un dialogue constructif et réfléchi sur ce qui fonctionne bien et sur ce qui peut être amélioré », a déclaré Joy Basu, secrétaire d’État adjointe chargée de l’économie et des affaires régionales en Afrique, lors d’une conférence de presse organisée en prévision du sommet. Voici en substance, les dix débats qu’il faudra particulièrement surveiller au cours de ces trois jours de sommet.

1 – Prolonger l’accord, mais sous quelle forme ?

La loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique devant expirer en 2025, l’administration Biden et ses partenaires africains font pression sur le Congrès pour qu’il la prolonge immédiatement de dix ans ou plus. Si certains experts commerciaux souhaitent la moderniser, les pays qui en dépendent préfèrent un renouvellement en bonne et due forme, tout en reportant à une date ultérieure toute modification importante.

Une récente enquête menée par l’US Fashion Industry Association auprès de dirigeants américains du secteur de l’habillement a révélé que plus de 45 % des personnes interrogées avaient déjà réduit leur approvisionnement auprès des membres de l’Agoa en raison de l’incertitude entourant le renouvellement de ce programme.

« Nous ne nous opposons à aucun changement, pour autant qu’il soit raisonnable », estime Paul Ryberg, lobbyiste pour la Coalition africaine pour le commerce, membre de l’alliance Area. « Mais notre principal objectif est de ne pas laisser la quête de la perfection tuer ce qui fonctionne déjà. Nous ne proposons donc pas de changements majeurs. »

Le groupe de Ryberg soutient le projet de loi du sénateur républicain John Kennedy (républicain-Louisiane) qui demande une prolongation de 20 ans. Mais, alors que de nombreux républicains se montrent réticents à l’égard du libre-échange, le texte n’a pas encore convaincu de co-parrains.

2 – Qui entrera/reviendra dans le « club » ?

Seuls 35 des 49 pays d’Afrique subsaharienne étaient éligibles au programme en 2023, après que l’Éthiopie a été expulsée en raison de violations des droits de l’homme dans la région du Tigré, et que le Mali et la Guinée ont subi des coups d’État militaires.

Constance Hamilton, représentante adjointe du commerce des États-Unis pour l’Afrique, a toutefois déclaré que l’éligibilité de l’Éthiopie restait à l’étude. Le pays était le cinquième plus grand bénéficiaire du programme Agoa en 2020, avec 237 millions de dollars d’exportations vers les États-Unis. Ce qui explique le lobbying intense qu’il a fait pour y revenir.

« La réintégration de l’Éthiopie devrait figurer en tête de l’ordre du jour » du sommet, a déclaré l’ambassadeur éthiopien aux États-Unis, Seleshi Bekele Awulachew. « Moteur de l’économie africaine au sens large et partenaire commercial essentiel des États-Unis, la réintégration facilitera la croissance et la stabilité nécessaires à ce moment important de [notre] histoire. »

Même l’hôte du sommet de cette année se retrouve sur la sellette, certains législateurs ayant exhorté l’administration américaine à réexaminer l’éligibilité de l’Afrique du Sud en raison de ses liens étroits avec la Russie.

3 – Comment susciter plus d’engagement ?

L’une des préoccupations persistantes concernant ce programme est le fait que peu de pays africains s’y engagent pleinement. Un rapport de la Commission américaine pour le commerce international a révélé que plus de 75 % des importations de produits non pétroliers dans le cadre de l’Agoa pour la période 2014-2021 provenaient de cinq pays seulement : Afrique du Sud, Kenya, Lesotho, Madagascar et Éthiopie.

En effet, seuls 18 pays éligibles avaient élaboré une stratégie nationale sur la manière d’utiliser le programme en 2022. Si l’industrie de l’habillement – et les travailleuses du textile en particulier – en ont bénéficié, d’autres secteurs, tels que les produits chimiques de base, voient leurs exportations vers les États-Unis réduites. « Après presque 25 ans, nous savons que très peu de pays profitent de ce programme », confirme Constance Hamilton. « Les secteurs ouverts et disponibles sont très peu utilisés. La question qui animera les discussions lors du forum est la suivante : comment améliorer ce programme ? »

4 – Les synergies Agoa-Zlecaf

Une évolution majeure depuis la naissance de l’Agoa a été le lancement de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) en 2021. L’administration Biden américaine a signé en décembre un protocole d’accord avec le secrétariat de la Zlecaf, qui mentionne expressément leur objectif commun, à savoir la promotion de l’intégration économique régionale.

Les observateurs de l’Afrique attendent du sommet un début de réflexion sur la façon d’atteindre cet idéal, alors que les cinq pays d’Afrique du Nord – Maroc, Algérie, Tunisie, Libye et Égypte – ne font pas partie de l’Agoa. Le Maroc, en particulier, serait un ajout crucial puisqu’il est le seul pays d’Afrique à avoir signé un accord de libre-échange avec les États-Unis.

L’élargissement de l’Agoa à l’Afrique du Nord est probablement trop demander au Congrès, admet Florizelle Liser, présidente-directrice générale du Corporate Council on Africa. Qui propose plutôt d’ajouter une disposition permettant le « cumul » – le traitement des intrants d’un pays donné comme s’ils étaient originaires du pays où ils sont transformés – pour tous les pays membres de l’Union africaine qui ont ratifié la Zlecaf.

« Je ne suis pas sûre de la nécessité d’intégrer les pays d’Afrique du Nord à l’Agoa. Mais nous devrions certainement réfléchir à la manière dont nous pouvons les intégrer dans les chaînes d’approvisionnement et les chaînes de valeur de l’Afrique subsaharienne, compte tenu de la Zlecaf », estime Constance Hamilton. « J’espère que le Congrès réfléchira à cette option. »

5 – Moteurs de la révolution verte

L’Afrique est particulièrement bien placée pour bénéficier de l’appétit des États-Unis pour les minerais essentiels à la révolution de l’énergie verte. Mais le continent s’inquiète de ne pas bénéficier des subventions pour les véhicules électriques prévues par la loi sur la réduction de l’inflation (IRA) de l’année dernière. Alors que l’administration Biden va de l’avant avec ses règlements, des voix pro-africaines débattent des moyens de s’assurer que le continent est également éligible.

Dans un nouveau rapport de la Fondation Carnegie pour la paix internationale, Zainab Usman et Alexander Csanadi recommandent d’utiliser la loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique comme base de négociation d’un accord sur les minéraux critiques similaire à celui conclu avec le Japon. « Les 35 pays qui bénéficient déjà d’un accès en franchise de droits au marché américain dans le cadre de l’Agoa pourraient inclure des fournisseurs de minerais de transition ayant subi une certaine transformation et un certain raffinage », souligne le texte.

Joy Basu et Constance Hamilton ont tous deux exhorté le Congrès à envisager l’intégration des minerais dans l’Agoa, mais ont déclaré que la décision revenait aux législateurs. D’autres, comme Paul Ryberg, sont plus sceptiques et pensent qu’il existe une solution plus simple en modifiant la loi IRA plutôt qu’en « essayant de l’intégrer à l’Agoa par des moyens détournés. »

6 – Environnement, droits de l’Homme et du travail… Des critères renforcés

Les pays africains se plaignent depuis longtemps que l’Agoa mélange les avantages commerciaux avec des standards politiques telles que la démocratie et les droits de l’homme, ce qui leur vaut un traitement différencié et ce qui injecte de l’incertitude dans leurs relations économiques. Par ailleurs, certains législateurs américains sont favorables à l’ajout, et non à l’élimination, de critères auxquels les pays doivent satisfaire pour bénéficier d’un accès en franchise de droits de douane aux États-Unis.

« Les démocrates de la Chambre des représentants veulent ajouter des normes plus strictes en matière de droits de l’homme et de travail, ainsi que de nouvelles normes environnementales qui n’existent nulle part ailleurs », explique Paul Ryberg. « Et puis il y a la position africaine selon laquelle les conditions d’éligibilité devraient être éliminées parce qu’elles ne s’appliquent pas à d’autres accords commerciaux. »

Pour l’administration Biden, les normes en général sont logiques. « L’Agoa soutient également des politiques visant à réduire la pauvreté, à lutter contre la corruption, à protéger les droits de l’homme et les droits des travailleurs », estime Joy Basu. « Nous considérons tout cela comme un mécanisme de renforcement collectif de la croissance économique et de l’État de droit. »

7 – Une revue annuelle des bons et mauvais élèves ?

La reconduction éventuelle de l’Agoa tous les dix ans est une source d’angoisse, mais le processus d’examen annuel l’est tout autant. L’alliance Area recommande d’harmoniser l’examen de l’éligibilité à l’Agoa avec les autres programmes de préférences commerciales des États-Unis, et de le réaliser tous les trois ans. Les pays qui ne respectent pas les exigences de l’Agoa pourraient toujours être suspendus sur une base annuelle.

« Nos ambassades ont beaucoup de travail pour envoyer toutes ces informations chaque année. […] Nous proposons donc au gouvernement américain de nous aider à ne pas avoir à les renouveler chaque année. Cela donne plus de certitude aux acheteurs que ce pays, s’il continue à faire ce qu’il faut, pourra passer ses commandes au cours des trois prochaines années », recommande Florizelle Liser.

8 – Modifier les critères de sortie

À ce jour, seuls deux pays ont quitté le programme après avoir atteint le statut de pays à revenu élevé : Les Seychelles et la Guinée équatoriale, riche en pétrole. L’alliance Area recommande de modifier les critères de sortie du programme afin de favoriser l’intégration africaine.

Paul Ryberg qualifie d’ « anachronisme » le critère de classement basé sur le revenu. Selon lui, ce critère faisait partie de la loi de 1974 qui a créé le système généralisé de préférences et a été mis en place « pour s’assurer que la Corée du Sud, Taïwan et Hong Kong n’engloutissent pas tous les avantages des autres pays en développement ». Or il n’y a pas d’équivalent en Afrique, explique-t-il. « Lorsque les pays les plus développés obtiennent leur licence, ils sont moins enclins à investir chez leurs voisins et cela nuit à l’intégration régionale », poursuit le lobbyiste. Il cite en exemple les conserveries mauriciennes qui ne peuvent plus envoyer aux États-Unis de thon pêché aux Seychelles en franchise de droits.

9 – Le relèvement des plafonds d’exonération

L’alliance commerciale souhaite également relever le plafond d’exonération des droits de douane pour les vêtements africains fabriqués à partir de tissus et de fils régionaux, actuellement fixé à 7 % du marché américain total de l’habillement. Selon Paul Ryberg, la baisse des importations américaines en 2023-2024 réduit également les avantages potentiels de l’Agoa. « Pour la première fois, le plafond de l’Agoa est inférieur à celui de l’année précédente. Cela a un effet dissuasif sur les investissements. »

10 – Retravailler les visas douaniers

Enfin, l’alliance souhaite remplacer ce qu’elle appelle les exigences « dépassées » en matière de visas pour les textiles par des accords de coopération douanière. Florizelle Liser souligne que les bénéficiaires de l’Agoa et Haïti sont les seuls pays à exiger des visas spéciaux pour les vêtements, héritage d’une époque où les États-Unis craignaient que les entreprises textiles chinoises ne se contentent de coudre des étiquettes « Made in Ghana » et de transborder leurs marchandises à partir de l’Afrique.

« Ce que nous proposons, c’est de travailler avec les Africains, par le biais de nos procédures douanières, de la même manière que nous travaillons avec les plateformes douanières de tous les autres pays qui expédient des vêtements aux États-Unis », explique-t-elle. « Nous savons que c’est possible, puisque nous le faisons avec beaucoup d’autres pays. »


 source: Jeune Afrique