Pourquoi la nouvelle proposition sur l’accès aux vaccins est-elle insuffisante ?
par Réseau québécois pour une mondialisation inclusive (RQMI)
13 avril 2022
Enfin, une nouvelle proposition sur la vaccination gratuite et universelle est en discussion à l’OMC. L’Afrique du Sud, les États-Unis, l’Inde et l’Union européenne en sont venus à un accord de principe sur la dérogation aux droits de propriété intellectuelle sur les vaccins anti-coronavirus. Alors que nous avons attendu impatiemment que les vaccins anti-coronavirus soient libérés du carcan de la propriété intellectuelle, hélas, la nouvelle proposition est insuffisante.
À l’origine de la bataille entre les anti-dérogations et les pro-dérogations
En octobre 2020, l’Afrique du Sud et l’Inde ont soumis une proposition de dérogation aux droits de propriété intellectuelle sur les vaccins anti-coronavirus, notamment, pour atténuer les inégalités vaccinales entre le Nord et le Sud.
En mai 2021, l’Afrique du Sud et l’Inde se sont engagés à revoir leur proposition initiale afin que celle-ci puisse satisfaire aux attentes des anti-dérogations, une proposition ayant été bien accueillie par 65 membres de l’OMC dont la plupart sont des pays en développement.
Bien que l’administration américaine ait appuyé l’idée d’une dérogation, les États-Unis n’ont pas soutenu officiellement la dérogation telle que proposée par l’Afrique du Sud et l’Inde.
En septembre 2021, lors d’une réunion informelle du Conseil des aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), le Royaume-Uni, la Suisse et l’Union européenne se sont opposés diamétralement à la proposition de l’Afrique du Sud et l’Inde. Bien que les anti-dérogations ne soient pas opposés à la vaccination gratuite et universelle, leur proposition appelle à une alternative articulée autour de trois conditions, à savoir, la fin des restrictions à l’exportation des matières premières et des produits intermédiaires nécessaires à la production des vaccins, l’octroi des licences obligatoires aux producteurs de vaccins n’ayant pas les droits de les produire et, en dernier lieu, l’incitation des entreprises pharmaceutiques à distribuer les vaccins dans les pays en développement (TWN, 2021). En réalité, derrière l’opposition européenne se cache des enjeux économiques colossaux. Non seulement les lobbys pharmaceutiques sont bien établis à Bruxelles mais l’Union européenne aspire à devenir le premier producteur et distributeur de vaccins anti-coronavirus.
En attendant qu’un accord final soit établi, les inégalités vaccinales persistent entre le Nord et le Sud. Sachant que le pourcentage des personnes ayant reçu au moins la première dose dans les économies à revenu élevé est estimé à 81,20 %, dans les économies à faible revenu, ce pourcentage n’est que de 14,50 %. Alors que nous avons désormais accès à la troisième dose, voire à la quatrième dose au Canada, le pourcentage de la population canadienne totale ayant reçu au moins une dose est de près de 85 %.
Un processus plutôt exclusif qu’inclusif
En réalité, la nouvelle proposition est le résultat de discussions secrètes entre le "QUAD", un mot qui désigne les quatre parties prenantes engagées dans la résolution de l’impasse à l’OMC, à savoir, l’Afrique du Sud, les États-Unis, l’Inde et l’Union européenne. Clairement, il s’agit d’un processus de négociation exclusif qui impose en pratique des limitations géographiques.
L’Administration Biden aurait suggéré de limiter le champ d’application géographique de la dérogation, laissant noter que les membres admissibles sont les pays en développement ayant exporté moins de 10% des doses de vaccins anti-coronavirus en 2021.
Alors que l’Afrique du Sud et l’Inde auraient le droit de recourir à la dérogation, la Chine est exclue, nonobstant son statut de pays en développement à l’OMC. Bien que l’exclusion des producteurs chinois repose probablement sur des considérations géostratégiques, hélas, à cause d’une telle décision, la nouvelle proposition exclut l’atelier du monde qui a d’énormes ressources de production et de distribution des vaccins anti-coronavirus. « La Chine a des capacités manufacturières qui pourraient être utilisées pour fabriquer des produits pour des pays qui ne peuvent les produire pour eux-mêmes. Exclure la Chine de l’équation apparaît ridicule. Pourquoi se lierait-on une main dans le dos? » , selon Brook Baker, professeur à l’Université Northeastern.
Pire encore, étant donné que la nouvelle proposition impose une limite géographique réservée uniquement aux pays en développement, nous nous demandons si les pays les moins avancés auraient le droit d’importer les vaccins non brevetés ou s’ils seront servis uniquement par le programme COVAX.
Un accord de principe extrêmement limité
Lorsque cet accord de principe a été annoncé et que le texte a fait l’objet d’une fuite, l’euphorie est rapidement retombée. Tandis que son champ d’application est plus étroit que la proposition révisée par l’Afrique du Sud et l’Inde en mai 2021, ses solutions sont a priori insuffisantes, voire inapplicables.
Alors qu’aucun arrangement n’a été clairement présenté pour traiter les demandes de brevets en cours, la nouvelle proposition est applicable uniquement aux vaccins anti-coronavirus. Au moins deux limites sont à distinguer ici. Premièrement, l’accord de principe ne s’applique qu’à la pandémie du coronavirus, ce qui signifie qu’un processus tout aussi délicat serait nécessaire pour les futures pandémies. Secundo, il n’incorpore pas les autres produits nécessaire à la lutte contre la pandémie, y compris, les produits de diagnostics, les produits thérapeutiques, les dispositifs médicaux, les équipements de protection individuelle, leurs matériaux, ainsi que leurs méthodes de production pour la prévention, le traitement ou l’endiguement de la Covid-19. Bien qu’il promette d’inclure ces produits dans six mois, rien ne peut garantir que cet arrangement sera respecté en raison de la lourdeur administrative de l’OMC. Des scientifiques et des militants du monde entier soutiennent que les tests et les antiviraux sont essentiels pour endiguer la pandémie. En février 2022, plus de 200 organisations de la société civile mondiale, dont le Réseau québécois pour une mondialisation inclusive (RQMI), ont rappelé que toute dérogation à l’Accord sur les ADPIC doit inclure les diagnostics, les thérapeutiques et les vaccins, notamment, afin que les pays puissent s’attaquer solidairement à tous les aspects de la pandémie. « Les tests et l’accès aux diagnostics, en particulier les tests rapides d’antigènes, sont essentiels pour que les gens connaissent leur état de santé, respectent les mesures de santé publique, se conforment aux traitements et aux soins », indique la lettre. Elle-même, l’administration Biden a défendu à plusieurs reprises le rôle vital que les tests et les médicaments antiviraux peuvent jouer dans la réponse à la pandémie. « De nouveaux antiviraux qui préviennent les maladies graves de type Covid-19 et les décès, en particulier les médicaments oraux qui peuvent être pris à domicile au début de la maladie, seraient des outils puissants pour lutter contre la pandémie et sauver des vies », selon Dr Anthony Fauci, conseiller médical en chef du président Biden, en juin 2021. Clairement, l’accès mondial à ces traitements, ainsi qu’aux tests et aux vaccins, est également essentiel pour arrêter la propagation des futurs variants.
On partage les ingrédients mais pas la recette
Outre les limites mentionnées ci-dessus, l’accord de principe promet une dérogation limitée aux brevets, alors que la production des vaccins anti-coronavirus repose largement sur d’autres aspects de la propriété intellectuelle, à savoir, les dessins industriels, les droits d’auteur et les secrets commerciaux. Assurer un accès gratuit et universel aux vaccins anti-coronavirus repose, non seulement sur la dérogation aux droits de propriété intellectuelle, mais aussi, sur la création des centres de production établis un peu partout dans le monde. Toutefois, aucune internationalisation de la production vers les pays en développement n’est possible sans le transfert technologique. Formellement, il n’y a rien dans le nouvel accord qui incite ou oblige les entreprises pharmaceutiques à divulguer les informations confidentielles et les secrets commerciaux. Renoncer aux brevets est un pas nécessaire mais demeure insuffisant pour que les pays en développement puissent devenir des producteurs de vaccins anti-coronavirus.
Aujourd’hui, l’Afrique n’est pas dépourvue d’industries pharmaceutiques aptes à produire les vaccins anti-coronavirus. Au premier septembre 2021, au moins douze centres de production de vaccins anti-coronavirus sont établis ou en préparation dans six pays africains, à savoir, l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Égypte, le Nigéria, le Maroc et le Sénégal (Usman et Ovadia, 2021). En revanche, faute de transfert technologique, les avancées et les investissements que réalise le continent en la matière restent limités au remplissage et au conditionnement des vaccins, au détriment de la fabrication des substances vaccinales (Usman et Ovadia, 2021).
Un marasme procédural
La nouvelle proposition va au-delà des exigences de l’accord sur les ADPIC et risque de rendre les procédures de dérogation complexes plus que jamais. Complexes parce que les membres admissibles seraient désormais obligés de lister tous les brevets. Or, l’univers des brevets des vaccins anti-coronavirus n’est pas entièrement connu, et ce, pour deux raisons. Premièrement, les demandes internationales de brevets ne sont généralement publiées que 18 mois après leur dépôt, d’autant plus qu’il s’agit d’un univers qui est en constante évolution. À l’heure actuelle, nous avons des brevets déposés qui ne sont même pas publics, et d’autres brevets sont déposés chaque jour. Quelqu’un doit faire une vérification des brevets des 280 composantes des vaccins à ARN messager, déterminer le statut de chaque brevet et les notifier. Deuxièmement, il y a aussi la nécessité de notifier au Conseil des ADPIC les entités, produits, pays et quantités pour lesquels une autorisation a été accordée. Tout laisse entendre que l’autorisation produit par produit continue de s’appliquer, ce qui engage les gouvernements dans un processus manifestement lourd.
Tandis que l’OMC permet des flexibilités par le recours notamment aux licences obligatoires, la nouvelle proposition pourrait devenir plus contraignante et restrictive que l’accord sur les ADPIC.
Il ne fait aucun doute que l’OMC ressente une pression pour conclure un accord sur la dérogation avant sa prochaine réunion ministérielle, mais ce serait une erreur d’accepter prématurément une dérogation insuffisante voire inappropriée à la réalité à laquelle sont confrontées les populations du Sud.