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Sommet de l’Agoa : le plaidoyer des Africains pour « rafraîchir » les échanges avec les États-Unis

Jeune Afrique | 6 novembre 2023

Sommet de l’Agoa : le plaidoyer des Africains pour « rafraîchir » les échanges avec les États-Unis

par Romain Chanson

Johannesburg accueillait le 20e forum relatif à l’accord de libre-échange américain avec les pays d’Afrique subsaharienne à moins de deux ans de son expiration et alors que tous veulent le voir prolongé.

L’incertitude n’est jamais bonne pour le commerce. C’est pourtant dans un climat de doute que le forum Agoa s’est tenu du 2 au 4 novembre en Afrique du Sud. La loi Agoa, pour African Growth and Opportunity Act, offre aux 35 pays d’Afrique subsaharienne éligibles, des exemptions de tarifs douaniers sur 6 800 produits exportés vers les États-Unis. Adoptée en 2000 et plusieurs fois prolongée, elle doit arriver à son terme en septembre 2025. Va-t-elle être maintenue, quand sera-t-elle reconduite, et sous quelle forme ? Les pays africains sont impatients de savoir.

À commencer par l’Afrique du Sud qui était le premier bénéficiaire de l’Agoa en 2022. Pretoria a exporté 3,6 milliards de dollars de produits vers les États-Unis dans le cadre de ce programme : vin, automobiles, vêtements, fruits, fer et acier ou encore pierres précieuses. À l’échelle de l’Afrique subsaharienne, plus du tiers des produits exportés vers les États-Unis en 2022 par les pays éligibles, l’étaient grâce au programme Agoa.

Trois milliards d’exportations pour la Côte d’Ivoire en 2025

« Les gens que vous voyez habillés dans la rue aux États-Unis, portent probablement des vêtements fabriqués au Kenya, à Madagascar, au Lesotho ou à Maurice », a souligné Ebrahim Patel, le ministre sud-africain du Commerce et de l’Industrie, évoquant l’industrie du textile comme l’un des succès du programme.

« L’Agoa a pu générer 60 000 emplois directs et 30 000 emplois indirects, surtout dans l’industrie textile, depuis la réintégration de Madagascar dans le programme en 2014 », confirme de son côté Isidore Razanakoto, directeur général du commerce et de la consommation auprès du ministère malgache du Commerce. Des enseignes comme Marc Jacobs ou Nike se fournissent à Madagascar.

La Côte d’Ivoire nourrit également de grandes ambitions pour son industrie textile grâce aux accords de l’Agoa. « Tous les investisseurs avec qui nous discutons sont très attentifs aux discussions que nous sommes en train d’avoir parce que le marché américain est important pour leurs exportations », relève Souleymane Diarrassouba, le ministre ivoirien du Commerce et de l’Industrie. En effet, le pays a mis en place une stratégie nationale Agoa pour ses produits comme le cacao, la noix de cajou, le karité, le miel et les dérivés du manioc. Le programme a permis d’augmenter les exportations vers les États-Unis de plus de 80 % depuis 2017, et représenter en 2022 une valeur de plus de 2 milliards de dollars. L’objectif est d’atteindre 3 milliards de dollars d’exportation d’ici à la fin du cycle Agoa en 2025. « Nous espérons que le Congrès américain puisse prendre une décision prochainement pour avoir une perspective sur les dix prochaines années », souhaite le ministre ivoirien.

Jouer sur la durée

Les pays africains ont appelé à renouveler l’Agoa au plus vite afin d’éviter une période de flottement entre son expiration et sa probable extension. Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a également demandé « une plus grande période d’extension », soit au-delà des dix ans, pour « inciter les investisseurs à construire de nouvelles usines sur le continent africain. » Les ministres du Commerce ont salué la proposition de loi du sénateur républicain John Kennedy (Louisiane) de proroger l’Agoa de vingt ans.

Mais à l’issue des débats, il apparaît que c’est une même durée d’extension qui est envisagée. « Certains ont demandé un programme Agoa permanent, d’autres ont demandé vingt ans, mais il me semble que la plupart des ministres africains se sont entendus sur une période de dix ans, qui est plus facilement réalisable », a déclaré le ministre Ebrahim Patel. « Plus le programme est étiré, moins il est dynamique », a mis en garde Katherine Tai, la représentante américaine au Commerce.

Les pays africains ont également débattu du processus d’éligibilité. Chaque année, la Maison-Blanche révise la liste des bénéficiaires. L’Agoa est un accord commercial qui sert d’outil politique aux Américains pour encourager le respect des droits de l’homme, la démocratie, le droit des travailleurs et la lutte contre la corruption. Si les pays éligibles bafouent ces critères, ils sont retirés de la liste, le temps de revenir dans le droit chemin. Ainsi, le Gabon, le Niger, la Centrafrique, et l’Ouganda ont été retirés de l’Agoa à la veille du forum. Les ministres du commerce veulent que les conditions d’éligibilité soient révisées tous les trois ans pour permettre aux pays de se remettre en conformité. Les exclusions ont un impact « sur les populations et sur les emplois créés », s’inquiète Souleymane Diarrassouba.

Révision des exclusions

Parfois, c’est la dimension politique de l’Agoa qui est contestée car elle exige des contreparties dictées par les États-Unis. « Beaucoup de pays africains pensent qu’il ne faut pas démocratiser l’Afrique, mais qu’il faut africaniser la démocratie », fait entendre Marie-Hélène Mathey Boo, ambassadrice de la République démocratique du Congo à Washington. C’est pourtant l’esprit de ce programme, rappelle Judd Devermont conseiller spécial chargé de l’Afrique à la Maison-Blanche, « partout où nous allons, nous venons avec nos valeurs, ça fait même partie de la loi [Agoa], nous avons pour obligation de regarder les questions des droits de l’homme. Mais même si nous mettons fin à l’éligibilité des pays, il y a toujours une voie de retour », assure le directeur des affaires africaines au Conseil national de sécurité.

Les pays africains ont d’ailleurs « demandé instamment que les exclusions soient revues » pour éviter qu’elles ne « perturbent l’émergence de la chaîne de valeur régionale et réduisent la contribution de l’Agoa à la transformation structurelle du continent » selon un document interne. La République démocratique du Congo avait d’ailleurs fait son retour en 2021. C’est au tour de la Mauritanie de revenir dans le programme après avoir été exclue en 2019. « La Mauritanie a fait des efforts importants sur la question des droits des travailleurs », reconnaît Judd Devermont qui qualifie l’Agoa « d’outil flexible », qui s’adapterait aux différentes situations. Mais la multiplication des coups d’État encourage davantage d’exclusions, huit depuis 2021.

Plutôt que d’exclure, les ministres du Commerce se disent en faveur d’un élargissement à tous les pays signataires de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), donc à l’Afrique du nord. « On doit s’assurer que l’Agoa soutient la mise en place de la Zlecaf, et ne porte pas atteinte, par inadvertance, aux progrès que l’Afrique a faits en termes d’intégration économique », a plaidé Wamkele Mene, le secrétaire général de la Zlecaf. Il voudrait notamment que les mêmes règles d’origine des produits échangés dans la Zlecaf soient appliquées à l’Agoa dans un souci d’harmonisation.

Vidéo de consolation

« Renouveler, affiner, compléter », voilà les maîtres mots qui ont guidé les débats au forum Agoa. La réforme de la loi reviendra in fine aux parlementaires américains. Les pays africains leur demandent de ne pas introduire d’amendement « controversé ». Le risque pour les pays africains serait de voir les critères d’éligibilité durcis par les membres du Congrès. Une partie d’entre eux avait demandé l’exclusion de l’Afrique du Sud de l’Agoa et le retrait de l’organisation du forum à Johannesburg à cause de ses relations diplomatiques avec la Russie, l’Iran ou la Chine, considérés comme menaçant les intérêts américains.

Déçu de ne pas avoir été écouté par l’administration Biden, le sénateur républicain Jim Risch a appelé le Congrès « à prendre des mesures pour corriger la situation ». Le sénateur juge « hors sujet » les arguments des personnes qui s’opposent à un durcissement des critères et dénoncent leur caractère contre-productif pour l’économie et la sécurité américaines.

Si l’administration Biden soutient fermement la prolongation de cet accord de libre-échange, il lui reste donc à convaincre les membres du Congrès américain. Malheureusement, aucun de ses représentants n’a fait le déplacement à Johannesburg, empêchés, nous dit-on, par un Congrès en crise, sans « Speaker » pendant plus de trois semaines. « Un retard pris dans les travaux » du Congrès : telle sera l’explication retenue pour excuser l’absence à des parlementaires et sénateurs états-uniens à Johannesburg.

Pour seul lot de consolation, trois parlementaires ont envoyé un message vidéo et deux autres ont publié une déclaration soutenant la prolongation du programme. « Nous pensons que la priorité est de s’assurer d’une extension rapide et réussie de l’Agoa », écrivent Michael McCaul et Gregory W. Meeks, un républicain et un démocrate dans l’esprit bipartisan qui traverse cette loi depuis sa promulgation. Reste à savoir si les parlementaires américains prendront le temps de réformer cette loi qui traverse les décennies malgré un monde en constante évolution.


 source: Jeune Afrique