TAFTA : les négociateurs sont-ils en train de brader la transition énergétique ?
Univers Nature | 4 juin 2014
TAFTA : les négociateurs sont-ils en train de brader la transition énergétique ?
Les négociations qui se tiennent à huis clos depuis un an entre Bruxelles et Washington, en vue du traité de partenariat transatlantique, ont suscité depuis quelques mois l’attention et la méfiance d’une partie croissante de la population européenne. Les craintes portent sur des domaines assez vastes et variés, de l’accès aux médicaments aux normes alimentaires.
Hier déjà synonyme de poulet au chlore, le TAFTA est désormais aussi synonyme de « gaz de schiste », depuis la fuite la semaine dernière d’un nouveau document de négociation top secret. Dans ce document, l’Union européenne propose aux Etats-Unis d’assurer « un environnement commercial ouvert, transparent et prévisible en matière énergétique et à garantir un accès sans restriction aux matières premières ».
La raison pour laquelle ces négociations effrayent, c’est parce qu’elles visent à l’harmonisation des normes environnementales et sociales en vue de rendre compatible les droits américain et européen, et qu’elles portent donc le risque d’un « nivellement vers le bas ». Certains se sont en effet inquiétés que les réglementations en matière d’environnement et de lutte contre le dérèglement climatique ne fassent pas l’objet d’une exception afin de préserver ces objectifs cruciaux pour notre avenir à tous. Comme le résume Mediapart, l’Union européenne serait en train de « sacrifier toute possibilité de transition énergétique », sur une base de décision parfaitement antidémocratique.
Mais si l’on prend le temps de regarder les faits, qu’en est-il vraiment ? Passage en revue des mesures envisagées et de ce que seraient leurs conséquences.
L’exigence de non-localité pour le développement des énergies renouvelables
La clause G1 sur le « traitement national », en discussion dans le cadre du TAFTA, interdirait aux collectivités locales de favoriser une société étrangère par rapport à une entreprise nationale. Ce serait le cas par exemple dans le cadre d’un appel d’offre pour la construction d’un parc photovoltaïque. Le danger posé par cette clause serait donc de voir se multiplier sur notre sol des projets américains massivement subventionnés via des aides à la construction et par le rachat à bon prix de l’électricité produite, au détriment du portefeuille des consommateurs. Ces derniers financent en effet les énergies renouvelables via une taxe dédiée, la CSPE, qui est déjà en progression constante depuis 2002.
Comme le souligne Maxime Combes du mouvement Attac, l’article O prévoit même que les pays ne doivent pas « exiger la création de partenariats avec des entreprises locales » ni imposer des « transferts de droits de propriété intellectuelle », des exigences pourtant légitimes en vue du développement d’une filière renouvelable pérenne. Pour faciliter les investissements internationaux, le TAFTA privilégierait donc systématiquement l’entreprise la plus compétitive.
Mais dans les faits, les industries de construction des énergies renouvelables en Europe sont en réalité parfaitement compétitives en comparaison de leurs homologues américaines, avec toutefois des écarts au sein de chaque domaine. Des pays comme l’Allemagne, l’Angleterre et la France ont développé une expertise très solide dans le développement des éoliennes terrestres et offshore. L’industrie photovoltaïque est cependant mal en point, aux prises avec les importations à bas coût en provenance de la Chine, et c’est peut-être là que les importations américaines pourraient venir aggraver la situation.
L’augmentation des importations de combustible américain
L’article C2 prévoit l’abolition de toutes les restrictions sur les échanges de combustible, parmi lesquels le charbon, le pétrole et le gaz naturel. Cette disposition aurait pour principale conséquence de débloquer l’importation de pétrole à bas coût en provenance des Etats-Unis. Dans ce pays, la mise en exploitation du gaz de schiste au moyen de la fracturation hydraulique a en effet conduit à la chute du prix du gaz à un prix trois fois moins élevé qu’en Europe. Selon le mouvement Attac, cette disposition promeut donc « une consommation insoutenable d’hydrocarbures », qui renforcerait notre dépendance aux énergies fossiles au mépris des enjeux climatiques. Quel sens y a-t-il à favoriser l’accroissement de notre consommation énergétique, alors que les Etats devraient au contraire inciter les ménages et les entreprises à la sobriété ?
Ce que le responsable d’Attac a perdu de vue, c’est qu’il serait difficile de se passer des importations de combustible dans l’immédiat. Les centrales thermiques de production d’électricité, bien que polluantes, sont un mal nécessaire pour accompagner le développement des énergies renouvelables car celles-ci ont une production trop fluctuante. Or en l’état actuel, deux pays forment la majorité des importations de gaz de l’Union européenne : la Norvège (24%), et la Russie (29%), dont les menaces répétées ont poussé l’UE à vouloir réduire l’influence de ce pays sur sa politique énergétique.
Enfin, il faut rappeler que les centrales à charbon profitent actuellement d’un prix du charbon très bas qui leur donne la priorité sur les centrales fonctionnant au gaz, un combustible dont le prix est pourtant aujourd’hui en phase de stagnation. Plus rentables, ces centrales à charbon sont aussi beaucoup plus polluantes et disposent d’une production moins flexible que les nouvelles centrales à gaz à cycle combiné. Les importations de gaz américain seraient donc bénéfiques à l’Europe en ce sens qu’elles contribueraient à rendre les centrales à gaz enfin plus rentables que les centrales à charbon.
L’extraction du gaz de schiste sur le sol européen ?
Le point le plus polémique du TAFTA réside sans doute dans la clause du « traitement national », qui vise à la mise en place d’une justice « arbitrale », en remplacement des cours nationales telles que le Conseil d’Etat en France dans les cas de figure où une entreprise étrangère voudrait porter plainte contre une législation nationale. La vocation de cette cour arbitrale, basée à Washington, serait d’être plus neutre que les cours nationales dans le règlement de différents internationaux, contrairement par exemple au Conseil d’Etat qui a tendance à favoriser systématiquement le droit français. Ce genre de disposition de « délocalisation » de la justice existe déjà dans le cadre de structures comme l’OMC, où l’on a déjà pu observer des entreprises exercer leur « droit souverain » à investir en territoire étranger.
Dans le domaine de la fracturation hydraulique, en l’occurence, l’entreprise canadienne Lone Pine Resources a obtenu le droit d’exercer ses activités au Québec, au mépris du moratoire imposé par la région sur le gaz de schiste. La plupart des multinationales pétrolières possèdent aujourd’hui des permis d’exploration à des fins d’extraction du gaz de schiste sur le sol français et européen. Dans l’hypothèse d’une validation de cette clause du TAFTA, elles seraient vraisemblablement en mesure de poursuivre les Etats européens afin d’y imposer la mise en œuvre de projets de fracturation hydraulique à des fins d’extraction du gaz de schiste, avec alternativement de lourds dommages et intérêts à la clé.
Il faut préciser qu’en l’état actuel, cette clause du TAFTA n’a pratiquement pas de chance de se voir validée. La vague de protestations qu’elle a suscité a convaincu les gouvernements français et allemands de lui retirer leur soutien au sein des négociations. Et si cela ne suffisait pas, rappelons tout de même que le TAFTA, une fois les négociations abouties, devra faire l’objet d’un passage devant le Parlement européen, qui décidera (ou non) de le valider suivant un principe… démocratique.