Une zone de libre-échange: de l’utopie?
Inter Press Service | 10 Nov 2011
Une zone de libre-échange: de l’utopie?
Kristin Palitza
LE CAP, 10 nov (IPS) — Les chefs d’Etat africains ont des plans ambitieux visant à créer une zone de libre-échange, regroupant 26 pays et plus de 600 millions de personnes sur le continent.
Les experts en économie indiquent que le projet est une initiative audacieuse qui vient avec une pléthore d’obstacles juridiques, administratifs et politiques. D’autres suggèrent que ce plan pourrait être une promesse en l’air.
"L’accord de libre-échange est une entreprise extrêmement complexe quelle que soit la mesure prise", a indiqué Liepollo Pheko, experte en commerce international et directrice générale du cabinet-conseil en économie, ’Four Rivers’, à Johannesburg.
Elle parlait avec le ministre sud-africain du Commerce et de l’Industrie, Rob Davies - l’un des principaux défenseurs du projet – lors d’un débat public organisé au ’Centre for the Book’ (Centre du livre) au Cap, en Afrique du Sud, le 3 novembre.
Au début de cette année, les chefs d’Etat africains avaient annoncé des plans pour une zone de libre-échange (FTA) d’un trillion de dollars dans trois communautés économiques régionales existantes, notamment le Marché commun pour l’Afrique orientale et australe, la Communauté d’Afrique de l’est et la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC).
Cette FTA, qui dispose actuellement d’un produit intérieur brut (PIB) de 650 milliards de dollars, facilitera le mouvement sans droit de douane et sans contingentement des biens d’ici à 2014, des services et des hommes et femmes d’affaires d’ici à 2016 ainsi qu’une zone économique et monétaire dans toute l’Afrique d’ici à 2025.
Des partisans du projet, comme Davies, espèrent que cet accord renforcera considérablement le commerce interrégional et atteindra un PIB de 1,5 trillion de dollars au sein de la zone d’ici à 2015.
"Cette FTA nous conduira sur une nouvelle voie de croissance, ce qui est important en termes de création d’emplois et de développement industriel", estime Davies. Il espère que la production économique au sein de la zone augmentera de 50 pour cent au cours des cinq prochaines années, avec une croissance économique annuelle moyenne de 5,5 pour cent. "Le PIB par habitant en Afrique augmentera de 30 pour cent", a en outre prédit le ministre.
Mais des experts du commerce comme Pheko sont moins optimistes quant à l’accord économique proposé. Une grande préoccupation est de savoir comment les pays feront face à l’énorme travail de bureau associé au commerce interrégional, a-t-elle expliqué, puisque la FTA ne dispose pas d’un emplacement institutionnel pour gérer l’administration.
Pheko a également fait état de potentiels problèmes juridiques, étant donné qu’un certain nombre de blocs commerciaux régionaux existent déjà en Afrique, tous avec des règles et règlements différents et à diverses étapes d’intégration. "Non seulement ces blocs pourraient ralentir la construction d’une zone de libre-échange, tous ont eu du mal à profiter des accords de libre-échange, même à une petite échelle", a-t-elle prévenu.
L’autre grande question sera de savoir comment intégrer des points chauds géopolitiques comme le Zimbabwe, le Soudan, la Somalie et la Libye dans un tel accord commercial. "Il reste à voir si nous serons en mesure de négocier les asymétries économiques sur le continent", a ajouté Pheko.
Il y a quelques avantages évidents pour une zone de libre-échange en Afrique. Plusieurs économies africaines sont si minuscules qu’elles ne sont pas viables seules. Les recettes des pays comme le Malawi, le Mozambique et le Lesotho représentent moins de quatre pour cent des recettes totales de la SADC, par exemple. Le regroupement des marchés régionaux peut aider à tirer profit des nouvelles opportunités de croissance. "A l’échelle régionale, nous aurions une importante poussée", a affirmé Davies.
Mais des puissances régionales comme l’Afrique du Sud, le Kenya et la République démocratique du Congo seront-elles disposées à prioriser les intérêts régionaux par rapport à ceux nationaux?
"Les éléphants dans la salle ont tous des tendances hégémoniques", a expliqué Pheko, indiquant que s’ils essaient de dominer les négociations commerciales au profit de leurs propres intérêts nationaux, tout en refusant de payer les coûts d’ajustement, les inégalités économiques seront aggravées.
L’incapacité à corriger ces inégalités pourrait conduire à "de grandes tensions ou même à un bouleversement économique et social", a prévenu Pheko. "La FTA n’est pas en soi un facteur d’intégration régionale. Elle peut opposer les pays les uns aux autres, tels que les pays à revenu intermédiaire et les pays les moins avancés".
Davies a admis qu’il y a encore du chemin à faire pour intégrer les économies régionales: "Nous avons besoin d’un accord judicieux qui n’oblige pas les pays à faire des choix irréalistes", a-t-il souligné, reconnaissant "qu’il y aura de dures négociations quand il s’agira de développement industriel".
Il a également reconnu un certain nombre de défis que la zone de libre-échange aura à relever, notamment des structures de production peu diversifiées et sous développées, des infrastructures inadéquates, la prévalence des barrières non tarifaires et le manque de structures de gouvernance commerciale.
Les investisseurs étrangers ont remarqué depuis longtemps que des infrastructures peu satisfaisantes sur le continent ont été les principaux obstacles retardant les investissements.