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Vers une euroméditerranéité à la carte

L’Economiste maghrébin | Tunisie | Mardi, 8 Août 2006

Vers une euroméditerranéité à la carte

L’Union européenne, confrontée à l’échec du processus de paix au Moyen-Orient, au refus de l’adhésion de la Turquie à l’Union et à sa marginalisation probable dans la reconstruction de l’Irak, pourrait l’inciter à redéfinir sa politique méditerranéenne et à lui apporter des ajustements. L’hypothèse plausible consisterait pour l’Union à axer, désormais, ses efforts sur ce que ses stratèges appellent "le noyau utile", l’Euro-Maghreb ou l’UE-Afrique du Nord, Egypte en plus. Plusieurs approches militent en faveur de cette thèse de redéploiement de l’Union européenne.

La première proposition est formulée par M. Romano Prodi, président de la Commission européenne, qui a exposé récemment devant le Conseil des ministres de l’Union une nouvelle approche globale des zones de proximité de l’Union. Dénommée, "le voisinage de l’Europe élargie", cette approche englobe les zones de proximité après l’élargissement : Russie, Biélorussie, Ukraine, Moldavie et les Partenaires méditerranéens.

Le voisinage de l’Europe élargie

Selon M.Prodi, qui a eu l’occasion de développer cette nouvelle approche lors d’une conférence donnée à Tunis (31 mars 2003), l’Union propose à ces pays comme objectif global "une mise à niveau identique à celle des pays adhérents, sauf les obligations financières, et la participation aux institutions : du marché intérieur à l’environnement en passant par les réseaux transeuropéens de transport, de télécommunications et d’énergie, la coopération en matière de sécurité et de conflits et un dialogue renforcé des cultures et des civilisations".

Et M. Prodi de préciser sa pensée : « Nous voulons bâtir des relations véritablement spéciales avec nos voisins, des relations qui nous permettent de dépasser le clivage entre "ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors" et de réaliser un nouveau régionalisme politique, économique, social et culturel. Je suis convaincu que ce projet deviendra un modèle pour le monde entier. Nous avons une expérience réussie d’un demi-siècle d’intégration européenne. Nous avons des objectifs partagés par tous, au nord et au sud de la Méditerranée, sur ce que nous voulons atteindre ensemble ».

Mieux, M.Prodi a évoqué pour la première fois la possibilité d’appuyer cette approche par la création d’une institution financière : « Nous avons aussi, en filigrane, a-t-il déclaré, la perspective de créer une banque euroméditerranéenne qui ajouterait au dispositif du Partenariat euroméditerranéen un élément politique important : il s’agirait de la première institution financière conjointe où les décisions seraient prises avec la pleine participation des Etats du nord et du sud de la Méditerranée. »

Des statuts avancés

Cette approche est soutenue par des revendications et propositions formulées, dans le même sens, par des pays du Sud et qui s’inspirent dans leur ensemble des concepts de "co-appartenance", de "codéveloppement", de "bon voisinage" et de "sécurité coopérative".

Il en est ainsi de la Tunisie. En recevant M. Prodi, à Tunis, M. Mohamed Ghannouchi, Premier ministre, a souligné « l’ambition de la Tunisie de promouvoir son association avec l’Union européenne et de passer à cette fin, à un stade intermédiaire se situant entre le statut d’associé, et celui de membre. »

Le Premier ministre a ajouté que l’Association de la Tunisie avec l’UE transcende le simple partenariat économique pour l’édification d’une société moderne en harmonie et en convergence totale avec les sociétés européennes : « Nous souhaitons, a-t-il dit, des relations de partenariat plus diversifiées et plus fécondes pour instaurer une solidarité, à toute épreuve et dans tous les domaines. »

M. Ghannouchi est allé plus loin. Dans le souci d’accélérer l’arrimage de la Tunisie à l’Union, il a proposé à l’Union européenne d’engager, sans attendre, les négociations sur la libéralisation des échanges des services, et ce, avant même que de telles négociations soient engagées dans un cadre multilatéral, celui de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Il s’agit-là d’une évolution notable de la position tunisienne qui s’était auparavant employée à retarder cette échéance par crainte de la concurrence et de ses retombées sur le secteur des services du pays qui n’est pas encore conforme aux normes internationales, et qui semble, désormais, acquise aux thèses européennes.

Une zone de libre-échange horizontale

Pour sa part, le Maroc a réclamé à Bruxelles, par la voix de son ministre délégué aux Affaires étrangères, Fassi Fehri, "un statut avancé", dans le processus de son association avec l’Union européenne.

En même temps, les signataires de l’accord d’Agadir (Egypte, Jordanie, Maroc et Tunisie) ont décidé d’accélérer la mise en place, entre eux, d’une zone de libre-échange horizontale (ZLE) qui viendrait appuyer et accompagner la ZLE euroméditerranéenne.

Paraphé le 11 janvier dernier, cet accord devrait constituer une étape décisive sur le chemin de l’intégration régionale parmi les pays de la rive sud de la Méditerranée. L’Union européenne devrait accompagner la mise en œuvre de cet accord par un apport financier de 4 millions d’euros.

Compte tenu des difficultés, de nature essentiellement politique rencontrées au niveau de l’édification de l’Union du Maghreb arabe et de l’impact, pour le moins limité de la ZLE arabe, cet accord pourrait représenter pour le thème de l’intégration, une réelle avancée.

Les quatre pays partenaires avaient déjà posé des jalons en faveur de l’intégration en se liant individuellement par le biais de ZLE bilatérales et en s’associant chacun de son côté à l’Union européenne par un accord d’association. En paraphant l’accord d’Agadir, ils se sont entendus pour adhérer au système de cumul paneuropéen, ce qui simplifiera donc désormais, au sein du nouvel ensemble, la gestion des règles d’origine.

La mise en œuvre prochaine de l’accord, qui prévoit l’élimination totale des barrières tarifaires, sans exclusion de produits, dans un laps de temps très bref (d’ici janvier 2006) devrait conduire à la création d’une zone de libre-échange entre l’UE et les quatre pays concernés qui représentent un marché de 115 millions d’habitants.

Un Barcelone à la carte

L’Union européenne a réagi positivement à l’ensemble de ces initiatives et propositions de son flanc sud. Pour le moment, elle s’est contentée d’en prendre acte. Elle constate que "le moment est venu pour une avancée dans ses relations avec les pays du sud de la Méditerranée et pour leur élargissement au-delà de la situation actuelle".

Concrètement, tout indique que l’on s’achemine vers un second "Barcelone à la carte", approche qui récompenserait les pays qui feront plus d’efforts pour hâter leur intégration à l’UE et laisserait de côté les pays à problèmes (Israël, Palestine, Syrie, Algérie, Libye...).

Khemaies Krimi


 source: L’Economiste maghrébin