Accord UE-Mercosur : Le libre-échange au prix des enjeux sociaux et environnementaux
CNCD 11.11.11 | 8 avril 2025
Accord UE-Mercosur : Le libre-échange au prix des enjeux sociaux et environnementaux
L’accord UE-Mercosur vise à favoriser les industries exportatrices européennes et le secteur agroalimentaire du Mercosur au détriment des agriculteurs et agricultrices de petite et moyenne échelle, aussi bien en Europe qu’en Amérique latine, ainsi que des industries du Mercosur. Ratifier cet accord va à l’encontre de l’urgence climatique et des Objectifs de développement durable, notamment en matière de normes sociales, environnementales et sanitaires.
Le 6 décembre 2024, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, prenait la pose à Montevideo (Uruguay) avec quatre chefs d’Etat du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay). Ils venaient d’annoncer la conclusion des négociations de l’accord UE-Mercosur. Il s’agit d’un accord d’association négocié depuis 1999, qui comporte un pilier politique, un pilier institutionnel et un pilier commercial.
Des gagnants et des perdants
Cet accord de libre-échange prévoit la libéralisation de plus de 90% des échanges commerciaux entre les deux blocs régionaux, qui pèsent ensemble environ un quart du PIB mondial. Il est parfois décrit sous la formule « bœufs contre voitures ». En effet, il prévoit d’une part une réduction de tarifs douaniers sur 91% des produits européens exportés vers le Mercosur, ce qui favorisera les industries européennes, notamment dans les secteurs de l’automobile, des produits chimiques et des pesticides. D’autre part, il prévoit la réduction des tarifs douaniers sur un quota de 99 000 tonnes de bœuf exporté par le Mercosur vers l’UE (à 7,5%), ainsi que sur 180 000 tonnes de volailles (à 0%), 180 000 tonnes de sucres et d’autres produits agricoles, comme des fruits et légumes favorisera le secteur agroalimentaire du Mercosur.
Les accords de libre-échange ont pour effet de créer des gagnants et des perdants en modifiant les prix des biens et des services et en redistribuant les emplois et les revenus entre les différents secteurs des partenaires commerciaux. L’accord UE-Mercosur créera ainsi des gagnants (l’agro-industrie du Mercosur et les exportateurs européens de produits industriels et de services), mais aussi des perdants (les agriculteurs européens et du Mercosur de petite et moyenne taille et les industries et les services du Mercosur).
La santé et l’environnement sont également parmi les perdants. En Argentine, les sols et l’eau sont déjà contaminés aux pesticides, provoquant des taux élevés de cancers et de malformations infantiles. Or, avec cet accord, les multinationales européennes pourront vendre encore plus de pesticides en Argentine notamment, y compris des pesticides interdits en Europe pour leur toxicité pour la santé et l’environnement. Et ces pesticides interdits en Europe pourraient revenir dans les assiettes européennes par la voie des importations agro-alimentaires. Entre 2018 et 2019, l’UE a exporté vers le Mercosur près de 7 000 tonnes de pesticides dont l’utilisation est interdite sur le territoire de l’UE. La Belgique a récemment adopté une législation pour mettre fin à cette incohérence, mais elle risque d’être contournée par l’accord UE-Mercosur.
Pas de mesures miroirs
Les agriculteurs européens dénoncent cet accord comme le dernier avatar des accords de libre-échange les soumettant à une concurrence internationale exacerbée. En effet, les géants agricoles du Mercosur sont plus compétitifs car leurs fermes ne respectent pas les mêmes standards sociaux et environnementaux que les agriculteurs européens. Le modèle agroindustriel des pays du Mercosur a en effet recours à des pesticides, OGM, hormones et antibiotiques qui sont interdits dans l’Union européenne.
Pour mettre fin à cette course au moins-disant environnemental et sanitaire, l’instauration de « mesures miroirs » permettrait d’imposer une réciprocité des normes en pénalisant les importations de produits agricoles ne respectant pas les standards environnementaux et sanitaires les plus élevés. Toutefois, elles n’ont pas été intégrées dans l’accord UE-Mercosur.
Dans les pays du Mercosur, ce sont les industries qui craignent les effets négatifs de l’accord, notamment dans le secteur automobile où, selon l’étude d’impact de l’accord UE-Mercosur publiée en 2020, de nombreuses PME risquent de devoir fermer ou diminuer leur production, entraînant une baisse importante des emplois industriels dans la région. La libéralisation des marchés publics bénéficiera en outre aux firmes transnationales européennes qui sont plus compétitives que les entreprises du Mercosur dans le secteur des services (construction, IT, finance, etc.).
Plus généralement, l’accord renforcera l’enfermement des pays du Mercosur dans la trappe des matières premières. D’autant que l’accord favorise l’approvisionnement de l’UE en minerais stratégiques, comme le lithium argentin ou le graphite et le manganèse du Brésil. Or cette dépendance aux matières premières est le principal talon d’Achille des économies en développement, condamnées à un échange inégal : les matières premières à faible valeur ajoutée sont échangées contre des produits industriels à plus forte valeur ajoutée des pays industrialisés. Rien dans l’accord impose les meilleurs standards environnementaux et sociaux pour l’extraction des minerais par les multinationales européennes. Or, elle pourrait se faire dans des écosystèmes fragiles (désert de sel, etc.) et des conditions de travail dangereuses (utilisation de produits chimiques, etc.).
Des normes sociales et environnementales non opposables
L’accord UE-Mercosur, comme tous les accords négociés ces dernières années par l’UE, comporte un chapitre sur le développement durable qui détaille les normes sociales et environnementales à respecter dans les échanges entre les deux blocs régionaux. Cependant, rien dans l’accord ne permet d’appliquer des sanctions commerciales si ce chapitre n’est pas respecté.
L’UE se contredit ainsi avec sa propre approche. Pour rappel, en juin 2022, la Commission européenne a proposé, pour la première fois, d’intégrer des sanctions commerciales en cas de violations spécifiques du chapitre sur le développement durable. L’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande, ratifié en 2024, prévoit d’ailleurs pour la première fois un mécanisme de plainte et de sanction à cet effet. En revanche, l’accord UE-Mercosur ne contient aucune disposition équivalente.
Des modifications insatisfaisantes en matière de déforestation et de climat
Sur le plan climatique, l’accord UE-Mercosur entraînera une hausse des émissions de gaz à effet de serre, notamment en raison d’une augmentation de 34% des échanges bilatéraux concernant huit produits agricoles clés.
Selon le rapport publié en septembre 2020 par la commission d’experts mandatée par le gouvernement français, l’accord UE- Mercosur pourrait augmenter la déforestation de 5% à 25% par an.
Les négociations des derniers mois de 2024 ont permis des ajouts à l’accord de commerce entre l’UE et le Mercosur, en particulier sur le climat et la déforestation, mais ils se révèlent insuffisants dans le cas des questions climatiques et même néfastes dans le cadre de la déforestation.
Parmi les avancées mises en avant par la Commission européenne figure l’intégration de l’Accord de Paris comme « clause essentielle » de l’accord. En théorie, la violation d’une clause essentielle permet de suspendre l’accord. Mais telle que rédigée dans l’accord UE-Mercosur, elle ne couvre que le cas où un État signataire sortirait de l’Accord de Paris.
En outre, l’accord entre l’UE et le Mercosur pourrait permettre aux pays du Mercosur d’échapper à la future réglementation européenne sur la déforestation. Cette réglementation, qui devait initialement entrer en vigueur en décembre 2023, a été repoussée. Cette législation ne contient pas de mesures coercitives et ne s’applique pas à certains écosystèmes, produits et secteurs clés. Malgré cela, le Brésil s’y oppose fermement. Un « mécanisme de rééquilibrage » lié au règlement des différends a été inclus à la demande du Mercosur. Il vise à s’assurer qu’en cas de « mesure unilatérale » affectant les exportations, la partie lésée puisse demander des compensations commerciales. Concrètement, cela signifie par exemple qu’une législation environnementale adoptée par l’UE et ayant pour effet de réduire les exportations du Mercosur permettrait à ce dernier de demander un meilleur accès au marché européen, y compris pour exporter des biens dont la fabrication a pollué l’environnement.
Cela constitue un précédent inquiétant, car l’UE pourra difficilement refuser un mécanisme similaire à d’autres partenaires commerciaux concernés par la déforestation, notamment ceux avec lesquels l’UE négocie actuellement un accord de libre-échange – comme l’Indonésie ou la Malaisie.
L’accord UE-Mercosur présente des risques importants pour l’agriculture en Europe et l’industrie en Amérique latine. Il soulève en outre de vives préoccupations sur les plans environnemental et social. Ces lacunes, notamment en matière de normes environnementales et sanitaires, risquent d’aggraver la déforestation et les émissions de gaz à effet de serre. En outre, le respect des engagements pris dans le chapitre sur le développement durable est incertain en raison de l’absence de mécanisme de plainte et de sanction, contrairement au nouveau « mécanisme de rééquilibrage » qui pourrait exacerber la course au moins-disant environnemental. Par conséquent, cet accord semble anachronique, tant il ne prend pas suffisamment en compte les enjeux sociaux, environnementaux et sanitaires de notre temps.
Recommandations
Au vu des impacts sociaux et environnementaux de l’Accord EU-Mercosur, le CNCD-11.11.11 exhorte :
- le gouvernement fédéral et les Régions à s’opposer fermement à la scission de l’accord de commerce UE-Mercosur, et de voter contre cet accord au Conseil de l’Union européenne.
- les membres belges du Parlement européen de refuser de donner l’assentiment à la ratification de cet accord.
- tous les niveaux de pouvoirs d’initier un réel débat sur le modèle d’accords commerciaux qui pourrait être un véritable levier de développement durable pour tous et toutes.