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Accord UE-Mercosur : un libre-échange aux enjeux environnementaux et sociaux préoccupants

Photo : Quinoa ASBL / Facebook

CNCD 11.11.11 | 1 février 2025

Accord UE-Mercosur : un libre-échange aux enjeux environnementaux et sociaux préoccupants

L’accord UE-Mercosur favorise les industries exportatrices européennes et le secteur agroalimentaire du Mercosur, mais les agriculteurs européens et les industries du Mercosur seront perdants. Il n’est pas cohérent avec les objectifs de développement durable, notamment en matière de normes sanitaires, de déforestation et d’émissions de gaz à effet de serre.

Le 6 décembre 2024, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et quatre dirigeants du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) ont annoncé à Montevideo la conclusion des négociations de l’accord UE-Mercosur. Il s’agit d’un accord d’association qui comporte un pilier politique, un pilier institutionnel et un pilier commercial. Négocié depuis 1999, il a fait l’objet d’un accord de principe en juin 2019 pour son volet commercial. Après avoir été laissé en suspens durant la présidence de Jair Bolsonaro au Brésil, de nouvelles négociations ont eu lieu en 2023 et 2024 dans le but d’adopter un instrument additionnel censé améliorer le contenu de l’accord de libre-échange. Le texte de l’accord signé par les deux parties a été publié par la Commission européenne quelques jours après sa conclusion.

Des gagnants et des perdants

Cet accord de libre-échange prévoit la libéralisation de plus de 90% des échanges commerciaux entre les deux blocs régionaux, qui pèsent ensemble environ un quart du PIB mondial. Il est parfois résumé sous la formule « bœufs contre voitures », car il permettrait à l’Union européenne d’exporter plus de produits industriels vers le Mercosur, et en échange le Mercosur pourrait exporter plus de produits agricoles vers l’Union européenne.

D’une part, la réduction des tarifs douaniers sur 91% des produits européens exportés vers le Mercosur favorisera les industries européennes, notamment dans les secteurs de l’automobile, des produits chimiques et des pesticides. D’autre part, la réduction des tarifs douaniers sur un quota de 99 000 tonnes de bœuf exporté par le Mercosur vers l’UE (à 7,5%), ainsi que sur 180 000 tonnes de volailles (à 0%), 180 000 tonnes de sucres et d’autres produits agricoles comme des fruits et légumes favorisera le secteur agro-alimentaire du Mercosur.

Les accords de libre-échange ont pour effet de créer des gagnants et des perdants en modifiant les prix des biens et des services et en redistribuant les emplois et les revenus entre les différents secteurs des partenaires commerciaux. L’accord UE-Mercosur crée ainsi des gagnants (l’agro-industrie du Mercosur et les exportateurs industriels européens qui sont sans surprise les premiers défenseurs de l’accord), mais aussi des perdants (les agriculteurs européens et les industries et les services du Mercosur).

Pas de mesure miroir

Parmi les perdants, les agriculteurs européens dénoncent cet accord comme le dernier avatar des accords de libre-échange les soumettant à une concurrence internationale exacerbée. Non seulement les firmes agro-alimentaires du Mercosur sont plus compétitives que les agriculteurs européens, mais elles ne sont en outre pas soumises aux mêmes normes environnementales et sanitaires. Le modèle agroindustriel des pays du Mercosur a en effet recours à des pesticides, OGM, hormones et antibiotiques qui sont interdits dans l’Union européenne. Une solution pour mettre fin à cette course au moins-disant environnemental et sanitaire est d’instaurer des « mesures miroirs », dans le but d’imposer une réciprocité des normes en pénalisant les importations de produits agricoles qui ne respectent pas les standards environnementaux et sanitaires les plus élevés, mais elles n’ont pas fait l’objet des négociations et n’ont pas été intégrées dans l’accord UE-Mercosur.

Au contraire, l’accord favorise les exportations européennes de pesticides vers le Mercosur, y compris des pesticides interdits en Europe en raison de leur toxicité pour la santé et l’environnement… et qui pourraient revenir dans les assiettes européennes par la voie des importations agro-alimentaires. Entre 2018 et 2019, l’UE a exporté vers le Mercosur près de 7 millions de kilos de pesticides dont l’utilisation est interdite sur le territoire de l’UE. La Belgique a récemment adopté une législation pour mettre fin à cette incohérence, mais elle risque d’être contournée par l’accord UE-Mercosur.

Dans les pays du Mercosur, ce sont les industries qui craignent les effets négatifs de l’accord, notamment dans le secteur automobile où, selon l’étude d’impact de l’accord UE-Mercosur publiée en 2020, de nombreuses PME risquent de devoir fermer ou diminuer leur production, entraînant une baisse importante des emplois industriels dans la région. La libéralisation des marchés publics bénéficiera en outre aux firmes transnationales européennes qui sont plus compétitives que les entreprises du Mercosur dans le secteur des services (construction, IT, finance, etc.).

Plus généralement, l’accord renforcera la spécialisation des pays du Mercosur dans les matières premières, d’autant que l’accord favorise l’approvisionnement de l’UE en minerais stratégiques comme le lithium argentin ou le graphite et le manganèse du Brésil. Or cette dépendance aux matières premières est le principal talon d’Achille des économies en développement, condamnées à un échange inégal : les matières premières à faible valeur ajoutée sont échangées contre des produits industriels à plus forte valeur ajoutée des pays industrialisés.

Des normes sociales et environnementales non opposables

L’accord UE-Mercosur, comme tous les accords négociés ces dernières années par l’UE, comporte un chapitre sur le développement durable qui détaille les normes sociales et environnementales à respecter dans les échanges entre les deux blocs régionaux. Il comporte aussi un mécanisme de règlement des différends dans le cadre duquel des sanctions commerciales peuvent être appliquées contre les Etats qui ne respectent pas les termes de l’accord. Or il est symptomatique de constater que le chapitre sur le développement durable est le seul à être exclu de ce mécanisme – comme c’était le cas du CETA et des autres accords de libre-échange adoptés ces dernières années par l’UE.

Cette mesure est contraire à la nouvelle approche « Commerce et développement durable » annoncée en juin 2022 par la Commission européenne, en vue d’inclure dans les accords commerciaux de l’UE un mécanisme de sanction pour rendre opposables les chapitres sur les normes sociales et environnementales. Quelques jours après la publication de cette communication, l’UE annonçait la conclusion de l’accord de libre-échange avec la Nouvelle Zélande, qui pour la première fois liait le chapitre sur le développement durable à un mécanisme de plainte et de sanction. Mais il n’en est pas question dans l’accord UE-Mercosur.

Des modifications insatisfaisantes en matière de déforestation et de climat

La réouverture des négociations en 2023 et 2024 a permis l’adoption de modifications dans le contenu de l’accord, en particulier en matière de climat, de déforestation et de normes.

En matière climatique, l’accord UE-Mercosur entraînera une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. En particulier, les émissions provenant de l’augmentation des échanges bilatéraux de huit produits agricoles clés devraient augmenter de 34% (en grande majorité à cause de l’augmentation des exportations de bœuf du Mercosur vers l’UE). Une des principales avancées mises en avant par la Commission européenne est le fait que l’Accord de Paris sur le climat fait désormais partie des « clauses essentielles » de l’accord UE-Mercosur. Cette mesure avait déjà été intégrée dans l’accord UE-Nouvelle Zélande, ainsi que dans l’accord de libre-échange post-Brexit entre l’UE et le Royaume-Uni. En théorie, la violation d’une clause essentielle permet de suspendre l’accord. Mais telle que rédigée dans l’accord UE-Mercosur, elle ne couvre que le cas où un État signataire sortirait de l’Accord de Paris.

Elle stipule en effet que chaque État « reste Partie, de bonne foi, à la CCNUCC et à son Accord de Paris », alors que l’accord UE-Nouvelle Zélande se réfère de manière plus ambitieuse à des « engagements concernant les contributions déterminées au niveau national ». Autrement dit, l’accord UE-Mercosur pourrait empêcher un Etat de sortir de l’Accord de Paris (bien que la notion « de bonne foi » soit sujette à interprétation), mais pas d’abandonner la lutte contre le changement climatique – d’autant que, conformément aux intérêts de l’agro-industrie du Mercosur, l’accord précise que la coopération pour réduire les émissions de gaz à effet de serre doit s’opérer « d’une manière qui ne menace pas la production alimentaire ». En outre, contrairement à l’accord UE-Nouvelle Zélande, l’Accord de Paris n’est pas lié au mécanisme de règlement des différends de l’accord UE-Mercosur, ce qui en limite la portée.

Les négociations de ces derniers mois ont également permis l’ajout d’une annexe au chapitre sur le développement durable – elle aussi exclue de tout recours à des sanctions. La principale pomme de discorde concerne la déforestation. Selon le rapport publié en septembre 2020 par la commission d’experts mandatée par le gouvernement français, l’accord UE-Mercosur pourrait augmenter la déforestation de 5% à 25% par an. L’Union européenne a adopté en juin 2023 une législation visant à mettre fin à la déforestation associée aux importations de matières premières agricoles, mais son entrée en vigueur a été reportée. Bien que cette législation n’ait pas de mécanisme de sanction et qu’elle exclut de son champ d’application des écosystèmes précieux et fragiles (comme le Cerrado au Brésil), des produits (éthanol, sucre, volaille, produits miniers) et des secteurs (finance et investissements) qui jouent un rôle important dans la déforestation, le Brésil y est farouchement opposé.

La Commission européenne se félicite que l’accord UE-Mercosur engage désormais les États signataires à prendre des mesures pour arrêter la déforestation à partir de 2030, ajoutant que cet engagement est plus ambitieux que dans la Déclaration de Glasgow adoptée dans le cadre de la COP26. Pourtant, alors que cette dernière s’engage à « stopper et inverser la perte et la dégradation des forêts d’ici à 2030 », l’accord UE-Mercosur se limite à un engagement de chaque pays signataire à « mettre en œuvre des mesures, conformément à ses lois et réglementations nationales, pour empêcher la poursuite de la déforestation et renforcer les efforts visant à stabiliser ou à accroître le couvert forestier à partir de 2030 », et à « ne pas affaiblir les niveaux de protection prévus par son droit de l’environnement ».

Le pire est sans doute que les nouvelles dispositions de l’accord UE-Mercosur pourraient contribuer à exempter les pays du Mercosur de la nouvelle législation européenne contre la déforestation, puisqu’il est stipulé que « le présent accord et les mesures prises pour mettre en œuvre les engagements qui en découlent seront favorablement pris en compte, entre autres critères, dans la classification des risques des pays ».

Enfin, à la demande du Mercosur, un « mécanisme de rééquilibrage » lié au mécanisme de règlement des différends a été ajouté. Il vise à s’assurer qu’en cas de « mesure unilatérale » affectant les exportations, la partie lésée puisse demander des compensations commerciales. Concrètement, cela signifie par exemple qu’une législation environnementale adoptée par l’UE et ayant pour effet de réduire les exportations du Mercosur permettrait à ce dernier de demander un meilleur accès au marché européen pour exporter davantage de produits ayant des effets négatifs sur l’environnement. Ce mécanisme est similaire à celui de l’OMC qui a été utilisé en 2021 par le Brésil pour dénoncer les normes sanitaires imposées par l’UE en matière de salmonelle dans la volaille importée.

Il s’agit d’un précédent inquiétant vu qu’il sera difficile de le refuser à d’autres partenaires commerciaux particulièrement concernés par la déforestation et avec lesquels l’UE négocie actuellement un accord de libre-échange – comme l’Indonésie ou la Malaisie.

Quel processus de ratification ?

Pour entrer en vigueur, l’accord UE-Mercosur doit être ratifié. Il pourrait être soumis à l’approbation du Conseil dès juin 2025, puis au Parlement européen en juillet. Vu qu’il s’agit d’un accord d’association avec un volet politique et institutionnel et un autre commercial, il s’agit en principe d’un accord « mixte » qui nécessite non seulement la ratification par les institutions européennes, mais aussi par les États membres – comme c’est par exemple le cas du CETA. C’est ce que stipule le mandat de négociation adopté par le Conseil en 2018.

Toutefois, pour contourner l’opposition de plusieurs États membres, la Commission pourrait décider de scinder l’accord en un accord politique (soumis aux parlements des Etats membres) et un accord commercial (l’accord de libre-échange qui ne demande pas l’approbation des parlements des États membres et ne nécessite qu’une approbation des États membres à la majorité qualifiée plutôt qu’à l’unanimité) – comme cela a été fait pour l’accord UE-Chili ratifié en 2024. Ce passage en force faciliterait la ratification de l’accord de libre-échange, qui pourrait entrer en vigueur sans risquer d’être stoppé à terme par un vote négatif d’un parlement national.

En conclusion, l’accord UE-Mercosur présente des opportunités commerciales significatives pour certains acteurs économiques, mais aussi des risques importants pour d’autres secteurs. Il soulève en outre de vives préoccupations sur les plans environnemental et social. Ses lacunes, notamment en matière de normes environnementales et sanitaires, risquent d’aggraver la déforestation et les émissions de gaz à effet de serre – d’autant que le respect des engagements pris dans le chapitre sur le développement durable est incertain en raison de l’absence de mécanisme de plainte et de sanction, contrairement au nouveau « mécanisme de rééquilibrage » qui pourrait exacerber la course au moins-disant environnemental. Par conséquent, cet accord semble anachronique, tant il ne prend pas suffisamment en compte les enjeux sociaux, environnementaux et sanitaires de notre temps.


 source: CNCD 11.11.11